Chapitre 8 - Retour
Nous marchons depuis quelques minutes déjà, silencieusement, n’échangeant que des regards complices, des sourires et des caresses furtives du bout des doigts. Puis, nous arrivons devant la maison d’Aleksy.
A : Je dois passer prendre mon sac, vite fait.
Il passe le petit portillon et se dirige vers la porte d’entrée. Je reste immobile, ne sachant pas si je dois l’attendre dehors ou bien le suivre à l’intérieur. Après tout, il n’en a que pour quelques secondes, non ? Aleksy se retourne et remarque que je n’ai pas bougé d’un poil.
A : Tu viens ?
Je souris, bêtement. Heureux, peut-être à tort, de se sentir important pour quelqu’un, au point que celui-ci ne souhaite pas se passer de ta présence, ne serait-ce que quelques secondes. Et puis je m’injurie intérieurement, d’avoir encore une fois trop réfléchi au lieu de le suivre instinctivement. Sois instinctif Niels, in-stinc-tif.
Nous passons tous les deux la porte d’entrée et dès que celle-ci est refermée, Aleksy se jette sur mes lèvres comme un drogué se jetterait sur un joint, après une semaine de sevrage.
A : Je sais pas comment je vais faire pour tenir pendant huit heures de cours, moi. Entre deux équations chiantes à en mourir, je vais craquer, c’est sûr !
N : Ouais… ça serait bien si on avait pas besoin de se cacher pour le faire...
Un silence s’installe entre nous deux. Aleksy recule d’un pas et me regarde, l’air désolé. Je comprends alors que je n’ai pas réfléchi avant de sortir cette phrase, et maintenant c’est le malaise. Note à moi-même : instinctif, mais pas trop.
N : Enfin, je disais ça comme ça, hein ! Juste une envie… Non, un rêve… Non, une utopie même ! Je voulais pas te lancer un message ou quoi que ce soit, je… enfin, c’était maladroit quoi, pardon…
A : En soit, tu as raison... Je sais déjà que ça va être horriblement frustrant de faire comme si l'on était que de bons amis devant les autres. En théorie, on a rien à cacher, et puis on s'en fout pas mal de l'avis des autres, mais... c’est juste que j’ai peur de la réaction de certains, quoi…
Il baisse les yeux, pensant sûrement à un certain groupe que j’ai très certainement deviné, et donc je comprends son appréhension. Et je regrette aussi de l’avoir plongé dans des doutes pas forcément nécessaires aujourd’hui. Des fois, je ferais mieux de la fermer. Je tente de rattraper ma bourde en le rassurant du mieux que je peux.
N : Écoute, pas besoin de se prendre la tête avec ça aujourd'hui, d'accord ? On regarde comment ça se passe, on laisse passer la semaine et puis... après, on essaye d'y aller progressivement ?
A : C’est-à-dire ?
N : On pourrait… je sais pas… prévenir nos parents et nos amis avant les autres, histoire de… d’avoir du soutien, enfin j’espère, et puis c’est peut-être mieux pour eux qu’ils l’apprennent avant les autres, pour leur montrer qu’on leur fait confiance… tu vois ?
A : Ouais… t’as raison.
N : Par contre… on le fera quand on le sentira, pas programmé à un jour et une heure précise, juste… quand on sera vraiment prêt, ok ? Enfin, je parle surtout pour moi là… mais je te promets que je ne te ferai pas attendre des plombes. J’ai juste besoin de… me conditionner, de me préparer avant et… oh putain, j’ai l’impression de faire un gros quiproquo… Désolé, tu dois me trouver ridicule…
Aleksy explose de rire et me prend dans ses bras, puis dépose un doux baiser sur mes lèvres en me tenant les joues.
A : T’inquiète pas, j’ai tout compris… de A à Z. Et non, tu n’es pas ridicule, t’es juste… mignon, puis très gentil aussi, et un peu froussard mais je respecte. Et puis... c’est pour ça aussi que je suis dingue de toi.
N : Froussard, hein… dit celui qui n’a jamais osé me dire ce qu’il ressentait.
A : Humm… un point partout.
On sourit tous les deux puis on se dirige dans sa chambre pour prendre son sac. Celui-ci récupéré, on s’apprête à ressortir dehors.
N : Attends Aleksy, une dernière question.
A : Oui ?
N : Euh… depuis combien de temps… je te plais ?
Aleksy place sa main sous son menton, signe qu’il se met vraiment à y réfléchir et qu’il prend la question au sérieux.
A : En y réfléchissant bien… depuis toujours, je pense. Je me rappelle que quand on était petit, je voulais toujours être avec toi et j'ai harcelé mes parents pour qu’ils m’inscrivent dans le même collège que toi, mais ils n’avaient pas les moyens… Tu t’en rappelles quand j’adorais grimper sur ton dos, ou quand tu me caressais la tête à chaque fois que je faisais semblant de faire mes yeux de chien battu ?
J’acquiesce en riant. Ça me rappelle de bons souvenirs…
A : Eh bah, je pense qu’à cette époque déjà, c’était le cas. Mais je ne m’en suis rendu compte que plus tard, bien sûr. Je l’ai compris quand on s’est retrouvé à la rentrée. Mais quand je t'ai vu tourner autour de Laurène, j’ai abandonné l’idée que c’était possible, alors… j’ai pris un peu mes distances, pour ne pas me faire du mal… Et même quand elle est partie, j’étais persuadé que tu étais hétéro vu l'état dans lequel ça t'avait mis. Alors, j’ai jamais osé te le dire… tu comprends ?
N : Ouais…
Un petit rire nerveux s'échappe de ma gorge.
N : C'est marrant, j'ai l'impression de me revoir, quand je n'arrivais pas à supporter de te voir avec Cassandra.
A : Nan, ça n'avait rien à voir, tu le sais très bien... C'était juste pour donner le change.
N : Ah bon... Donc, ça n'aurait jamais pu marcher... avec une autre fille ?
Aleksy fronce les sourcils et me regarde bizarrement, entre l’embarras et l’incompréhension.
A : Euh… bah non Niels… Pourquoi ?
N : Je… non rien, c’était débile comme question, oublie.
Il me regarde, totalement perdu. Puis, soudain, ça lui fait tilt, et il ouvre grand la bouche.
A : Ahhh d’accord, je vois… Tu sais, ça ne me dérange pas que tu sois bi.
N : C’est… plus compliqué que ça…
Et je l’ai reperdu.
A : Compliqué ? Comment ça ?
N : Eh bien… avant toi, je n’avais jamais rien ressenti pour un… mec... et même quand j’ai commencé à réaliser, après ce qu’on a fait dans mon garage… bah, j'ai pas l'impression que ça ait changé. Je ne suis pas attiré par les autres mais… juste par toi.
Aleksy me sourit, sûrement pour ma déclaration timide, ou peut-être un peu par fierté d’être le seul représentant de la gent masculine accepté par mon cœur ? Il me tient par les épaules et me regarde, droit dans les yeux.
A : Je t’aime, Niels Møller. Et toi, est-ce que tu m’aimes ?
Mon cœur se compresse d’un seul coup. Mon cerveau surchauffe et tous mes membres se raidissent. Il l’a clairement dit, sans hésitation. Et moi… je dois lui dire en retour. Même si cette phrase, si courte mais si lourde de sens, et si difficile à dire bien que très facilement prononçable phonétiquement, elle me paralyse. Mais je dois passer outre, je dois lui montrer que, ce que je ressens pour lui, c’est sérieux. Je prends une grande inspiration.
N : Oui… je t’aime, Aleksy Wolski.
A : Alors, il n’y a rien d'autre à savoir. Pas besoin de te prendre la tête ou de mettre un mot dessus, juste… profitons-en, ok ?
Je penche ma tête vers lui et l’embrasse en guise de réponse. Quel idiot je fais… J’ai encore trop réfléchi. Les habitudes ne sont pas faciles à effacer, on dirait… Je jette un coup d’œil à ma montre, celle qu’Aleksy m’a offerte quelques jours auparavant, et je sursaute de panique.
N : Oh merde ! On doit être à l’école dans trois minutes !
A : T’es prêt à courir ?
N : Pas trop le choix !
On sort de chez Aleksy, sans oublier de fermer la porte à clé, bien évidemment, et nous nous précipitons en direction du lycée. J’ai du mal à suivre Aleksy qui est bien plus véloce que moi. Nous esquivons de peu les piétons, nous anticipons la trajectoire et la vitesse des voitures pour traverser à temps, jusqu’à arriver devant le grand portail du lycée.
Les mains sur les genoux, le corps plié, j’essaie de reprendre mon souffle alors qu’Aleksy ne semble pas avoir fourni le moindre effort. Je relève la tête et je vois les élèves commencer à rentrer dans le bâtiment. Heureusement, nous sommes arrivés juste à temps.
Les derniers retardataires passent à côté de nous, en me dévisageant, et rejoignent chacun leurs groupes d’amis respectifs, qui se mettent eux aussi à me regarder et à parler entre eux. Et puisque la curiosité est contagieuse, les têtes se tournent peu à peu jusqu’à ce qu’à peu près tout le monde se mette à m’observer, certains discrètement, d’autres me fixent carrément. Je reste planté devant le portail, n’osant pas franchir cette frontière qui me sépare encore virtuellement de ces regards pesants.
N : Je… Je suis censé faire quoi, là ?
A : Bah… avancer et rejoindre notre salle de cours, en les ignorant.
N : Et tu as une technique miracle pour ça ?
A : Non… mais je suis là, et je resterai à côté de toi tout le long.
Aleksy pose délicatement sa main sur mon dos et me sourit, en essayant d’être le plus rassurant possible. Ce simple contact suffit à baisser un petit peu mon niveau de tension.
A : Enfin si, j’en ai peut-être une. Je me mets à poil et je cours tout autour du lycée pour détourner leur attention, pendant que toi tu t’infiltres en douce dans le bâtiment.
Je souffle du nez en imaginant la situation. Il a réussi à me détendre d’un seul coup.
N : Nan, je vais t’épargner ça. Et puis… il n’y a que moi qui aie le droit de te voir comme ça…
Je lui adresse un regard faussement lubrique, et je commence à marcher en direction du bâtiment, avant d’être tenté de l’embrasser devant tout le monde. J’ai déjà assez de regards posés sur moi pour en encaisser d’autres. Aleksy emboîte le pas et me chuchote à l’oreille : « ce soir, si tu veux ». Cette invitation, si lourde de sens, me fait frissonner.
Je marche tout droit, aux côtés d’Aleksy, en essayant d’éviter tout contact visuel avec les autres élèves. Ils n’ont rien de mieux à faire que nous espionner comme, je sais pas moi, rejoindre leur salle de cours, peut-être ? Nous apercevons deux silhouettes bien familières se diriger vers nous.
B : Eh bah, c’est pas trop tôt ! On pensait que vous alliez pas venir, on va être en re…
Benjamin s’arrête au milieu de sa phrase et observe mon visage, dont les traits sont sûrement tirés par le stress. Il fait la moue et se gratte derrière la tête, visiblement embarrassé.
B : J’suis con… ça doit pas être simple pour toi de retourner ici, désolé…
N : T’inquiète, ça va pour l’instant.
Z : Mais ouais p’tit Niels, faut pas se prendre la tête avec ces cons qui n’ont RIEN D'AUTRE À FOUTRE QUE DE TE FIXER.
Zayn a intentionnellement dit la fin de sa phrase assez fort pour que les autres élèves puissent l’entendre. Directement, tout le monde détourne le regard et chacun se dirige sans vagues vers le hall du bâtiment. Sacré Zayn… fidèle à lui-même.
N : Merci… je suppose.
Z : Y a pas de quoi. Et puis, s’il y en a qui insistent, je peux toujours leur foutre mon poing dans la gueule, pour montrer l’exemple.
N : Euh… ça sera pas nécessaire, mais merci quand même.
Z : Leur tordre le bras ?
N : Non plus.
Z : Juste le pouce, alors ?
A : Zayn, t’es pas obligé de blesser quelqu’un, tu sais.
Z : Roh ça va, je déconne. C’était ma façon de dire que je le soutiens.
B : La façon Cro-Magnon ?
Z : Désolé Aleksy, mais je vais devoir le blesser.
A : Vous êtes fatigants… Bon, nous, on va en cours avec Niels.
Je souris en les regardant se taquiner gentiment. Ça m’avait presque manqué toutes ces semaines. On se dirige rapidement vers notre salle de classe. Les couloirs sont vides, le cours a déjà dû commencer. Aleksy toque trois coups distincts et ouvre la porte. Le professeur s’arrête au milieu de l’appel, et tous les élèves se taisent. Il rentre à l’intérieur, suivi de Benjamin, Zayn et moi, tout derrière.
M. Deschênes : Eh bien, jeunes gens, quel est le motif de votre re… Oh ! Bonjour à vous Niels et… bon retour parmi nous. Vous pouvez aller vous asseoir, tous les quatre.
Finalement, il est passé outre, sûrement ne souhaite-t-il pas me contrarier dès le premier jour. Pour cette fois, ça passe, mais il faudra qu’on fasse gaffe à l’avenir. Nous allons nous asseoir à notre place, Aleksy à côté de moi et Zayn à côté de Benjamin, sous les regards furtifs de tous mes camarades de classe.
Pendant toute la durée du cours, je sens des regards dans mon dos. Je ne saurai pas comment l’expliquer, mais j’ai une sensation très désagréable. Aleksy, s’apercevant de mon malaise, colle discrètement sa jambe contre la mienne. Même à travers nos pantalons, je peux ressentir sa chaleur caractéristique qui m’apaise. Je lui souris en retour, mais pas trop longtemps pour n’éveiller aucun soupçon.
Je me penche pour attraper un cahier dans mon sac, et en me relevant, je regarde rapidement derrière moi. Les quelques personnes qui m'observaient détournent très rapidement les yeux, comme si de rien n’était. Mais un regard en particulier a attiré mon attention, un regard beaucoup plus appuyé, qui a duré quelques dixièmes de secondes de plus, un laps de temps infime que j’ai pourtant aperçu.
Ce regard, c’était celui de Xavier. La mâchoire serrée, posée sur ses deux mains entremêlées et les coudes sur le bureau, son regard noir m’a mis encore plus mal à l’aise que je ne l’étais déjà. J’ai ressenti dans ses yeux, l’espace d’un instant… une colère sourde, une hostilité palpable. D’habitude, je n’ai pas peur de lui, mais là je suis terrifié.
Je me remets droit dans ma chaise, la main tremblante et les frissons dans le dos.
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