Chapitre 1 - Bibliothèque

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A : Hey Niels, attends-moi !

Je me fige instantanément et me retourne mollement vers Aleksy. Dès la fin du dernier cours, je suis parti comme une furie, sans réfléchir, cherchant à tout prix à m’éclipser sans donner d’explications. Mais comment ai-je pu penser une seule seconde que ça allait fonctionner aussi…

A : C’est nouveau, tu pars comme un voleur maintenant ?

Je sens comme une pointe d’agacement dans sa voix. J’esquive son regard pour ne pas perdre mes moyens, ce qui doit, à coup sûr, me donner un air coupable.

N : Euh… désolé ?

Aleksy me fixe en fronçant les sourcils, ce qui me déstabilise encore plus.

A : Pourquoi t’es désolé ?

N : Je… je sais pas.

A : T’es vachement bizarre depuis le déjeuner, tu parles à peine et t’as l’air absent. T’es sûr que ça va ?

N : Ouais… tout va bien, je t’assure.

A : J’espère bien, une bonne soirée nous attend, alors c’est pas le moment de te morfondre tout seul dans ton coin.

Une bonne… merde ! Comment j’ai pu oublier ça, moi ? Ce message de Mathis m’a tellement perturbé que j’ai totalement zappé ! C’est ce soir que je vais manger chez lui avec mes parents, et rester dormir en plus. Impossible de m’écarter sans donner une raison valable.

Comment faire pour aller à mon point de rendez-vous, sans éveiller ses soupçons ? Ou alors… peut-être que je ferais mieux d'y aller avec lui ? Non… non, ce n’est pas une bonne idée. Il m’empêcherait d’y aller, c’est certain. Je ne sais pas pourquoi, mais… j’ai l’impression que je dois m'y rendre, coûte que coûte. Mathis n’aurait pas eu besoin d’utiliser un tel subterfuge si ce n’était pas important. D’ailleurs, je me demande bien ce qui l’a obligé à agir aussi discrètement…

Une idée me vient alors à l’esprit. Une idée complètement éclatée, mais je n'ai rien d'autre en stock.

N : Non, c’est pas ça Aleksy, c’est que… je voulais aller t’acheter un petit cadeau sans que tu ne le saches, mais j’ai été con de penser que partir sans te le dire était une bonne idée. C’est pour ça que je suis désolé.

Le visage renfrogné d’Aleksy se détend un peu, mais il n’a toujours pas l’air persuadé de la véracité de mes propos.

A : Mouais… je t’accompagne, alors !

N : Ce n’est plus une surprise si tu m’accompagnes.

A : Une surprise, hein… Pour quelle occasion ?

N : Parce qu’il y a besoin d’une raison pour que je te fasse plaisir ?

Son visage s’empourpre délicatement et un léger sourire se dessine sur son visage. Je me sens mal de devoir lui mentir comme ça, mais je n’ai pas trop le choix.

A : Tu sais que j’ai follement envie de t’embrasser, là, tout de suite ?

Je regarde autour de moi et aperçoit la masse de lycéens déambulant dans tous les sens, certains rejoignant leurs bus respectifs tandis que d’autres se dirigent vers le centre-ville, ou rentrent chez eux à pied.

N : Viens, suis-moi.

Je m'extirpe loin de cette foule, suivi d’Aleksy. Après avoir tourné deux ou trois fois, et à l’abri des regards indiscrets, nous nous faufilons entre deux vieux bâtiments et nous cachons derrière un décroché. Le dos plaqué contre le mur de pierre, j’agrippe ses hanches et l’attire à moi pour que nos lèvres se joignent.

Ses doigts délicats se posent le long de mes joues et il me dévore littéralement la bouche. Nos langues s’entremêlent, se lient, se délient, se tournent autour frénétiquement. Après de nombreuses secondes d’une intensité rare, nous nous séparons à bout de souffle.

N : Wouah... Ça t’avait manqué, on dirait.

A : Ne viens pas me dire que t’en avais pas envie, toi aussi.

N : Ce serait mentir.

Je lui souris et dépose un baiser furtif sur ses lèvres humides. Il se met à faire la moue.

A : Allez, reste avec moi ! Tu pourrais pas me faire un meilleur cadeau !

Je me mords la lèvre inférieure. J’en crève d’envie de rester avec lui, et puis c’est si difficile de lui refuser quelque chose quand il boude comme ça… Putain, pourquoi aujourd’hui Mathis ?

N : Je te promets que j’en ai pour pas longtemps. Je te rejoins chez toi direct après !

Son air déçu me fait un pincement au cœur, il faudra que je me rattrape après ça.

N : Et… après, je ferai tout ce que tu veux.

Ses yeux regagnent de l’éclat et un petit sourire lubrique s’esquisse au coin de ses lèvres.

A : Tout ?

Je m’approche tout proche de son oreille.

N : Vraiment tout.

Je ressens un frisson le parcourir de haut en bas. Puis il se met à soupirer.

A : Bon... ok, j’accepte le deal, malgré moi.

N : T’es vachement gagnant dans l’histoire quand même, tu vas pas te plaindre en plus !

A : Le prix de ma patience a explosé le plafond ces derniers jours, ce sont les aléas du marché mon cher Niels.

N : Je te hais.

A : Tu n’en penses pas un mot.

Il pose ses lèvres sur les miennes une dernière fois, avant de se mettre à rentrer chez lui.

A : Je t’attends chez moi, et le moindre retard te coûtera cher.

Je n’arrive pas à décrocher ce sourire béat de mon visage. Puis, dès qu’il disparaît de mon champ de vision, je m’affale contre le mur et je soupire bruyamment. Ce n’est pas mon style de mentir de cette manière, je déteste faire ça. Je jette un coup d’œil à ma montre fétiche et le cadran affiche 17h54. Si je me dépêche, j’arriverai pile poil à l’heure du rendez-vous. Je ne sais pas ce qu’il me veut, mais je ne compte pas m’éterniser.

Je me mets droit sur mes jambes, et je me dirige vers la bibliothèque, à un rythme soutenu. Je traverse les différentes rues, je slalome entre les vieux qui marchent bien trop lentement et les parents qui tirent leurs gosses turbulents par la main, je passe même quand le feu est rouge si j’estime que la route est dégagée. Et j’arrive finalement devant ce grand bâtiment des années 50, avec sa toiture en tuiles grises, ses grandes fenêtres aux frontons arqués, ses pilastres et ses corniches moulurées. J’aperçois, depuis l’extérieur, des étudiants assis, en train de consulter des ouvrages.

Je prends une grande inspiration, et je pénètre sans hésiter plus longtemps dans le bâtiment. À l’intérieur, je regarde machinalement dans toutes les directions pour voir si personne ne m’observe, et surtout je recherche la présence de Mathis. La salle est immense, parsemée d’innombrables étagères remplies de livres en tout genre et de grandes tables communes, et je n’arrive pas à le repérer. Je me déplace alors lentement entre les travées d’archives en tout genre, faisant semblant de rechercher un livre, tout en inspectant chaque recoin de la bibliothèque.

Finalement, assis à une table isolée et logée vers les rayonnages sur la géologie et les mouvements tectoniques, je l’aperçois. Il me cherche du regard, avec un air peu confiant. Je me rapproche naturellement de sa table pour ne pas attirer l’attention, je récupère un livre au hasard et je m’installe juste à côté de lui. Mathis sursaute lorsque je tire la chaise, puis il pousse un soupir de soulagement en me reconnaissant.

Je lui souris timidement, ce à quoi il répond par le même geste. Je prends une position décontractée, j’ouvre le livre devant mes yeux et j’attends. J’attends qu’il m’annonce la raison de son invitation. J’attends de voir ce qu’il a de si important à me dire. J’attends. Mais il n’ouvre pas la bouche. Il se contente de regarder vers le bas, en se triturant les doigts, l’air gêné.

Me serais-je trompé ? Ce message ne m’était peut-être pas destiné ? Nan… nan, ça me paraît trop gros. Il y a quelque chose, c’est certain. Le regard méfiant de Xavier au self ne trompe pas, Mathis a quelque chose à voir dans cette histoire. Et puis, sa façon de venir prendre de mes nouvelles vers Aleksy, alors que je ne le connais ni d’Adam ni d’Eve, c’est quand même étrange.

J’aperçois alors de gros cernes que je n’avais pas remarqués tout à l’heure. Son visage porte les traces d’une grande fatigue physique et morale. Je me penche légèrement vers lui.

N : Alors ?

Coupé au milieu de ses pensées, Mathis a de nouveau un petit sursaut. Il me regarde, puis ouvre la bouche, puis la referme, puis tourne la tête et se met à rougir. Là, par contre, ça devient agaçant, je n’ai pas toute la vie devant moi.

N : Je sais pas pourquoi tu m’as fait venir ici, mais je n’ai pas le temps d’attendre que tu te sortes les doigts du cul.

Il me regarde, légèrement apeuré. J’avoue avoir été un peu trop incisif, mais au moins, j’ai été clair. Je vois bien qu’il essaye de former des mots, de construire des phrases, mais il se contente de cligner des yeux nerveusement et de faire des gestes incomplets avec ses bras. Je soupire de désespoir. Pourtant, je suis quelqu’un de patient et d’habitude, j’aurais attendu calmement qu’il se détende. Mais, en voyant les précieuses minutes que je pourrais passer auprès d’Aleksy s’envoler, ça m’horripile.

Je ferme mon livre, le pose sur la table et commence à me lever. Mathis se met à paniquer et m’agrippe par le poignet.

M : Attends !

Les quelques personnes aux alentours se tournent vers nous et nous lancent des regards contrariés. Je leur fais signe qu’on est désolé, puis je me rassois et regarde Mathis, droit dans les yeux.

N : Ça y est, tu t’es décidé à me parler ?

M : Oui, excuse-moi…

N : Tu n’as pas choisi le meilleur endroit pour discuter…

M : Désolé, mais c’était le seul lieu public où j’étais sûr que Xavier ne mettrait jamais les pieds.

Sa phrase m’arrache un petit rire au fond de la gorge. Pour le coup, il n’a pas tort. Puis je déchante rapidement en réalisant qu’il cite Xavier, sans que je lui en parle.

N : Quel est le rapport avec Xavier ?

M : Il…

Mathis s’arrête au milieu de sa phrase et scrute du coin de l’œil les environs, pour voir si personne ne nous observe ou nous écoute. À priori, personne. Agissant tout de même avec prudence, Mathis se rapproche de moi afin de parler le plus bas possible.

M : C’est… Xavier qui l’a fait.

N : Qui a fait quoi ?

M : Qui…

Mathis s’en remet au langage corporel pour communiquer. Je le vois en train de mimer quelqu’un qui débouchonne une bouteille d’eau, puis qui verse quelque chose de... Mon visage devient blême et un frisson gelé court le long de ma colonne vertébrale. Ma gorge s’assèche soudainement et mon cœur tambourine dans ma poitrine.

N : Co… comment tu le sais ?

M : Je l’ai vu…

Je le fixe avec des yeux ronds. Mon cerveau a du mal à trier les informations. Je plonge mon visage entre mes deux mains pour tenter de reprendre à peu près mes esprits. J’expire lentement pour purger toutes ces pensées entremêlées. L’information partiellement digérée, je replace mon regard dans le sien.

N : Mais… pourquoi tu n’as rien dit ?

M : Pardonne-moi Niels, je… je ne pouvais pas. Il m’a menacé…

N : Mais j’ai failli mourir, Mathis ! Et il y a quelqu’un qui est accusé à tort pour quelque chose qu’il n’a pas commis !

Je regarde autour de moi, en espérant de pas l’avoir dit trop fort, mais personne ne nous regarde. Mathis a un mouvement de recul et fait le dos rond.

M : Je suis désolé Niels, je m’en veux… vraiment…

Son regard se trouble et fuit le mien. J’ai beau être en colère, je ne peux m’empêcher de le prendre en pitié. Je vois bien, dans ses yeux, qu’il se sent coupable de ne pas avoir eu le courage de tout avouer, et il a l’air d’en souffrir, au moins autant que moi. Je calme mes ardeurs et tente d’être rassurant.

N : Oui, je le pense bien… Mais… pourquoi maintenant ?

M : Parce que c’est trop ! Je me sens trop mal en voyant tout ce qui arrive, et pourtant je suis incapable de le dire. Je n'arrive plus à me regarder dans un miroir tellement la culpabilité me ronge ! Xavier m’observe en permanence, il scrute tous mes mouvements au lycée. Il m'a dit que, peu importe ce que je tente, il le saurait tôt ou tard et que je le regretterai. Il fallait que je te le dise, alors j’ai tenté ça, mais… je crois que Xavier l’a capté. Je… j’ai peur, Niels.

Vu ce que j’ai pu apercevoir à midi au self, c’est possible qu’il ait compris que Mathis soit entré en contact avec moi. Il faut que je le rassure, et que je me rassure aussi moi-même.

N : Il est venu te voir cet aprèm ?

M : Oui…

J’en ai des sueurs froides. Il doit vivre un véritable calvaire au quotidien depuis que je suis revenu au lycée. Je m’en veux de lui imposer indirectement ça.

N : Et… il a vu le message sur ta main ?

M : Non… je l’ai effacé, en allant me laver les mains.

Bien joué, Mathis ! J’imagine un court instant ce qui aurait pu m’attendre, s’il avait vu le message. Lui, accompagné de ses sbires, me prenant en embuscade pendant que je rejoins le point de rendez-vous. Ou même pire, je me serais retrouvé seul dans la bibliothèque pendant qu’ils démolisseraient Mathis. Je ferme les yeux et secoue vigoureusement la tête pour ne plus y penser. J’ai eu vraiment chaud pour le coup.

N : Et qu’est-ce que tu lui as dit ?

M : Que je n’avais pas remarqué que tu étais juste à côté des couverts, et que je suis vite reparti sans t’adresser la parole. Puis il a fouillé mon portable et m’a menacé de ne plus t’approcher si je ne voulais pas finir défiguré.

N : Il a même fouillé ton portable ?

M : Il le fait tous les jours depuis plusieurs mois, pour être sûr que je ne t’envoie pas de message. J’ai essayé de créer un autre compte Facebook sur mon ordinateur, pour te contacter, mais tu n’as jamais répondu.

Je me rappelle alors avoir ignoré tous les messages qui ne provenaient pas de mes amis proches ou de ma famille pendant ma période de rééducation, et je regrette amèrement.

N : Désolé… Je recevais trop de messages, alors je ne répondais qu’à ceux que je connaissais…

M : Je comprends…

Nous restons silencieux quelques secondes, histoire d’assimiler toutes ces informations.

N : Tu… tu penses qu’il t’a suivi ?

M : Je ne pense pas… Je l’ai vu partir de l’autre côté, et j’ai souvent regardé derrière moi en allant à la bibliothèque, mais je ne l’ai pas vu.

N : Alors ça devrait aller, tu n’as pas à t’inquiéter…

Je lui souris comme je le peux, même si ça ne paraît pas très naturel. Ses lèvres se relèvent légèrement, mais son visage trahit son inquiétude. Nouveau blanc de plusieurs secondes, où l’on réfléchit chacun de notre côté. Puis, je sens qu’il se met à remuer.

M : Je pense que je vais y aller, je t’ai dit tout ce que je savais. Je pars tout de suite, mais attends au moins cinq minutes avant de sortir, on ne sait jamais.

J’acquiesce de la tête. Il se lève, mais je l’arrête avant qu’il s’en aille.

N : Merci de m’avoir prévenu Mathis, et… désolé pour tout ce que tu subis par ma faute.

M : C’est pas ta faute… c’est la sienne.

N : Oui, je suppose… Fais attention à toi, et ne prends plus de risques pour moi.

M : Merci Niels… et… j’espère que tu réussiras à prouver que c’est lui.

Je lui promets muettement que je ferai tout pour que ça arrive.

N : Quand tout ça sera fini… on se fera une vraie sortie… entre amis ?

Une petite lueur d’espoir éclaire le visage tiraillé de Mathis.

M : Ouais… j’aimerais bien.

Il m’adresse un dernier sourire avant de se retourner. Ou pas tout à fait, puisqu’il se penche une dernière fois dans ma direction.

M : Une dernière chose… pourquoi il t’en veut à ce point ?

Je hausse les épaules. À vrai dire, je suis complètement dépassé par les événements. Il affiche un air triste, puis me fait un petit signe de la main avant de s’éclipser. Je me laisse tomber sur ma chaise et réfléchis à tout ce que je viens d’apprendre ces dernières minutes.

C’est complètement fou, tous les espoirs d’avoir enfin trouvé le coupable, en la personne de Thibaut, tombent à l’eau. Je dois tout recommencer depuis le début, mais je dois faire attention. Si je balance tout maintenant, il comprendra que c’est Mathis qui m’a tout dit, et je ne veux pas qu’il souffre plus qu’il n’a déjà souffert. Je vais devoir rester naturel, pour ne pas éveiller les soupçons. Et puis, j'ai cru comprendre qu'il n'agissait pas seul. Qui d'autre est dans le coup ? Tant que je ne connais pas leur identité, ils pourront continuer d'agir, même si la justice met la main sur Xavier. Trop risqué de tout balancer maintenant, alors que j'ignore encore le danger qui plane au dessus de ma tête, de nos têtes. Mais comment trouver des preuves…

Je me lève de ma chaise et repousse mes questionnements à plus tard. Je dois prendre du recul sur tout ça, et profiter de ma soirée pour me vider l’esprit. Dois-je partager ça avec Aleksy ? Sûrement, mais pas ce soir. Demain, peut-être. Je sors de la bibliothèque, l’esprit encore plongé dans mes pensées. Je traverse la route sans trop faire attention.

? : NIELS, ÉCARTE-TOI !

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