Chapitre 2 - Frénésie

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11 Septembre 2015

Xavier allume sa cigarette, non sans mal, protégeant la flamme de son briquet des bourrasques de vent. Assis sur ce muret en pierre naturelle, cerné de haies de cyprès taillées au millimètre, il observe calmement les gens déambuler dans ce parc paisible de la banlieue parisienne, son sac de cours jonchant le parterre de chrysanthèmes bigarrés. Les bruits de pas et les roues de poussette qui sillonnent entre les gravillons blancs de l’allée créent une euphonie lénifiante, bien loin du brouhaha des couloirs du lycée.

L : Alors… tu t’es réconcilié avec ton père ?

Xavier sursaute imperceptiblement. Il en avait presque oublié la présence de Laurène à ses côtés. Paradoxal, alors que cette virée d’après cours était justement son idée. Il aspire une copieuse bouffée de tabac et soupire amèrement.

X : Avant de me réconcilier, il faudrait déjà que je me sois entendu un jour avec lui.

L : Ne dis pas ça... Ça s’arrangera avec le temps.

X : Seulement quand j’aurai fini le lycée pour prendre un appart’. Tant qu’on se trouvera dans la même pièce, on ne pourra pas se blairer.

Laurène baisse les yeux, attristée par la relation que Xavier entretient avec son père. Il lui tend sa cigarette, qu’elle attrape pour en aspirer une bouffée à son tour.

X : T’en fait pas, je fais avec depuis toujours.

L : Même si tu dis ça, je trouve ça injuste… Tu mérites mieux.

X : Merci…

Bien qu’il ne le montre pas, Xavier sourit intérieurement. S’il devait énumérer les personnes qui, un jour, lui ont dit quelque chose de similaire, les doigts d’une seule main suffiraient. Et c’est bien loin de son foyer qu’il a pu récolter ces rares compliments.

Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il est seul. Toute une troupe de potes gravite constamment autour de lui, et ce n’est pas du manque de popularité dont il souffre. Sous la crainte ou la convoitise, les gens se rallient à son groupe, font en sorte de bien s’entendre avec lui, et développent une certaine forme de respect. Un respect bien stérile, toutefois, dénué de considération et d’estime.

Il en est bien conscient, que ces liens ne tiennent qu’à peu de choses, mais il s’en contente. S’il peut créer de maigres attaches, même éphémères, avec des gens ayant un minimum d’intérêt à ses yeux, ça permettra de rendre ces moments loin de chez lui moins désagréables.

Mais ce manque de sincérité, il ne le ressent pas chez Laurène, sa voisine et amie d’enfance. Peut-être parce qu’elle semble spontanée quand ils échangent, ou bien parce qu’elle ne calcule pas le moindre de ses mots comme les autres. Mais surtout, parce qu’il y a cette lueur chaleureuse dans ses pupilles, exempt d’arrière-pensées et d’aprioris. La même qu’à cet instant précis, le perçant à jour après qu’il ait murmuré un remerciement bref.

Tous deux profitent de ce silence contemplatif, l’indus passant d’une main à une autre. Non pas qu’ils n’aient aucun sujet de conversation, ni même qu’ils s’ennuient à mourir, mais ils laissent simplement leur esprit vagabonder dans cette atmosphère anxiolytique.

L : Dire que c’est la première fois qu’on se retrouve dans la même classe, alors que ça fait des années qu’on est dans le même bahut.

Laurène a prononcé cette phrase entre deux pensées, innocemment, dans un mélange de réflexion et de nostalgie. Xavier hausse les épaules.

X : Et ça te fait plaisir ?

L : Évidemment, j’en aurais pas parlé sinon. Mais c’est dommage qu’on ne se voie pas tant que ça quand on est là-bas.

Xavier se gratte la tête, l’air penaud. Elle vient de le prendre de court, car c’est justement quelque chose qu’il souhaite éviter. Ces moments privilégiés, il souhaite les conserver, mais rien que tous les deux. Pour qu’elle garde exclusivement en mémoire cette facette de lui.

Là-bas, en public, il s’est construit une personnalité froide et hautaine pour prendre émotionnellement ses distances. Au moins, il n’est pas emmerdé et il garde le contrôle, sur lui-même et sur les autres. Dominer, maîtriser, soumettre, c’est un processus assez grisant, il tient cela de son père. Alors, propulsé au sein d’un cortège d’adolescents incertains, il laisse agir ses pulsions.

Et il ne veut pas afficher cette vulnérabilité dont seule Laurène connaît l’existence aux yeux de tous, ni même son immoralité à cette dernière. Alors, s’il devait mélanger ces deux mondes, de quelle manière devrait-il se comporter ? Il souhaite que cette question reste sans réponse.

X : On traîne pas avec les mêmes potes, et je suis pas sûr que tu t’entendrais bien avec eux.

L : Et alors, t’aurais honte de me présenter à eux ?

X : Mais non, j’ai jamais dit ça… C’est juste qu’avec toi, je préfère être tranquille pour parler.

L : Pourquoi ?

X : Parce qu’avec toi, c’est… différent.

Laurène plante son regard dans celui de Xavier, le sourcil relevé pour marquer sa confusion. Lui l’est tout autant, conscient du poids de ses mots. Mais il ne peut revenir en arrière, il lui doit une explication quant au sens de sa phrase. Alors, délaissant la parole au geste, il se penche doucement vers le visage de Laurène.

Surprise, elle effectue un mouvement de recul et interrompt l’avancée de Xavier.

L : Je… suis désolée. Je t’aime beaucoup Xavier, mais… je ne te vois que comme un très bon ami…

Aussitôt, Xavier se redresse et son visage se ferme. Dissimulant toute émotion, il porte la cigarette à sa bouche et range son autre main dans la poche de sa veste.

X : Ok.

Un malaise pesant s’installe entre eux deux. Laurène, pensant avoir été maladroite, tente de désamorcer cette tension.

L : Tu sais, ça ne change rien pour moi… Y a rien de bizarre entre nous, juste… Je suis sûre que tu trouveras la personne qui te correspond.

X : Génial.

Cette réplique ironique plonge Laurène dans un embarras encore plus grand. Honteux de s’être livré à cœur ouvert, déçu de s’être bercé d’illusions et irrité d’avoir essuyé un refus, Xavier écrase son mégot contre la surface granitique et attrape son sac de cours.

X : Je dois y aller.

Laurène est tentée de le retenir, mais que pourrait-elle lui dire ? Elle sait que s’il a décidé de fuir plutôt que d’en discuter, elle ne pourra pas l’en empêcher. Alors elle se ravise et acquiesce muettement. Xavier disparaît lentement de son champ de vision tandis qu’elle reste coite, plongée dans ses pensées.

Cet après-midi au parc était le dernier qu’ils aient organisé à deux.

21 Novembre 2015

Avachi sur sa paillasse, la joue écrasée contre la paume de sa main, Xavier ignore immuablement les consignes de son professeur. Porter cette blouse blanche hideuse est déjà bien assez agaçant, il ne compte pas faire plus d’effort, à savoir travailler comme tous les autres étudiants de la classe, ou presque.

? : Dis Xavier, tu pourrais… écrire les réponses des expériences ? Comme ça, on irait plus vite et…

X : Tu peux très bien te démerder tout seul.

Son partenaire de travaux pratiques, les mains chargées de béchers et d’erlenmeyers, s’attèle à la tâche sans contester, le regard fuyant. Il faut dire que Xavier l’a choisi consciencieusement en début d’année afin d’être assuré d’avoir des bonnes notes sans lever le petit doigt. De temps en temps, il fait mine de manipuler les fioles en verre et de gratter du papier pour ne pas éveiller les soupçons.

Un rire familier perturbe l’apathie de Xavier. Du coin de l’œil, il aperçoit Laurène s’amuser avec son voisin de paillasse, Niels. Il ne peut s’empêcher de laisser échapper un bruit d’agacement en les observant. Il se demande bien ce qu’elle peut lui trouver d’intéressant à ce gringalet blond coincé du cul et ennuyeux comme la pluie. C’est pour ce genre de boulet qu’elle l’a repoussé ?

Les voir s’esclaffer en se chamaillant niaisement lui refile la nausée. Exaspéré, il se lève de sa chaise et se dirige vers la sortie.

M. Deschênes : Où allez-vous comme ça ?

X : Aux toilettes.

Sans même attendre une réponse, il referme la porte derrière lui et va à l’endroit indiqué. Il s’asperge le visage d’une bonne rasade d’eau pour se rafraîchir les idées. Confronté à son reflet dans le miroir, il aperçoit cette grosse veine gonflée au niveau de ses tempes. Pourquoi est-ce que ça l’énerve autant ? Si elle s’amuse tant avec cet abruti, c’est qu’elle n’en vaut pas la peine. Qu’est-ce qu’il a de plus que lui ? Rien, que dalle.

Cette situation ne le concerne pas, et pourtant elle a le don de l’agacer. Non, c’est juste ce gars-là qu’il ne peut pas supporter. Intello, lèche-bottes, bienséant jusqu’au bout des cils. Tout ce dont rêvent les professeurs. Tout ce dont rêverait son père.

Ses poings se crispent sur le bord du lavabo à cette idée. Lui qui pensait que Laurène comprenait son calvaire, elle s’éprend de ce que l’on cherchait à le faire devenir. Alors quoi, tout tombe entre les mains de ceux qui n’ont jamais connu de tourments ? Il suffit d’obéir sagement à ce qu’on nous dicte pour être récompensé ? Ce Niels représente tout ce qu’il déteste. S’il ne peut pas avoir Laurène, alors ce ne sera certainement pas quelqu’un comme lui qui l’aura.

Le briser par tous les moyens, pour apaiser la furie qui grandit en lui.

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