Chapitre 5 - Interrogatoire

16 minutes de lecture

26 Janvier 2016

Pressés par le temps, Xavier et Cassandra gravissent les marches de l’escalier deux par deux. Déambulant à toute vitesse dans les couloirs déserts, ils s’arrêtent brusquement devant la porte de la salle 206, là où ils ont cours tous les mardis après la pause de midi.

X : Fait chier, on a perdu trop de temps dans la file d’attente au self.

C : C’est bon, tranquille… Les cours recommencent dans vingt minutes, y a pas le feu…

X : J’te rappelle que les fayots arrivent toujours quinze ans à l’avance. Et s’ils me choppent sur le fait, ce seront les premiers à aller tout cafter.

C : Tu deviens parano avec ton délire, t’as qu’à plus le faire si ça te fait flipper…

Xavier dévisage Cassandra avec un regard noir. Elle déglutit discrètement, comprenant qu’elle aurait mieux fait de ne pas penser à voix haute.

X : Ferme ta gueule et fais ton job.

Cassandra acquiesce muettement, bien qu’elle laisse échapper un soupir inaudible. Xavier pénètre dans la classe et referme la porte derrière lui. En un coup d’œil, il aperçoit le sac de Niels et se jette littéralement dessus. Comme d'habitude, il retire d'abord sa bague et la pose sur la table, puis il sort de sa poche une paire de gants en vinyle et les enfile en vitesse. À l’intérieur, il retrouve cette fameuse bouteille d’eau. Il la sort et l’inspecte d’un air satisfait.

Sans perdre plus de temps, il enlève le bouchon et place sa chevalière juste au-dessus. D’un mouvement vif, il active le mécanisme caché et verse le contenu de la cavité dans le liquide. Dans la précipitation, une petite quantité de poudre s’échoue sur l’extérieur de la bouteille.

X : Merde, fait chier…

Vérifiant en amont qu’il n’en ait pas fait tomber par terre, il cherche dans toutes ses poches quelque chose pour effacer sa bévue. Faute de temps et de mouchoir, il essuie malgré lui le bord de la bouteille avec sa manche. Le tout refermé, il secoue précautionneusement le mélange lorsqu’il entend la porte s’ouvrir derrière lui.

X : Putain Cassandra, qu’est-ce que tu…

Il se retourne brusquement et se retrouve face à un autre élève qui n’a pas la moindre raison d’être ici. Face à son effarement, l’inconnu balbutie quelques mots alors que la porte se referme automatiquement derrière lui.

? : Euh… Tu as cours ici, après ?

X : Ouais.

? : Ah… J’ai dû me tromper alors.

L’inconnu avise innocemment la bouteille que tient Xavier entre ses mains gantées, sans y prêter une attention particulière. Un fait apparemment anodin mais qui va précipiter la première erreur de Xavier. Ce dernier intercepte le regard de son camarade et range brusquement la bouteille dans le sac de Niels.

X : Quoi ? C’est ma bouteille, t’as jamais vu quelqu’un boire ?

M : Hein ?

X : Me regarde pas comme ça, dégage si t’as rien à faire là.

M : Ok ça va, désolé…

Des toquements pressés se font entendre, accompagnés de paroles étouffées.

C : T’as fini Xav’ ? Grouille-toi si t’as pas envie de te faire choper.

Un silence glacial s’installe dans la salle de classe. Xavier grince des dents face au regard méfiant mais craintif du témoin. Trop tard, son expression montre que le doute s’est immiscé dans sa tête, impossible de le lui retirer désormais. Dès que quelque chose arrivera à Niels, il n’aura qu’à connecter quelques neurones pour faire le lien.

Au même moment, la porte s’ouvre et dévoile la traîtresse.

C : Putain Xav’, qu’est-ce que tu…

Ironiquement, Cassandra prononce la même phrase et affiche la même expression que Xavier, quelques secondes plus tôt. Seulement, ce dernier trouve cette coïncidence beaucoup moins drôle. Ses yeux lui adressent une colère sourde, si intense qu’elle pourrait presque la voir se matérialiser.

X : Ferme la porte.

Cassandra lâche le battant qui se referme tout seul, et se place silencieusement en retrait. Xavier se lève et se campe devant son camarade affolé, le dépassant physiquement d’une tête, potentiellement de deux tant son allure menaçante écrase l’autre silhouette.

X : C’est quoi ton nom ?

M : Mathis…

En l’espace d’une seconde, Mathis se retrouve plaqué contre le mur, les yeux exorbités et une main ferme autour de son cou.

X : Écoute-moi bien, Mathis. J’ai pas beaucoup de temps devant moi, alors on va aller à l’essentiel. Tout ce que tu as vu durant ces deux dernières minutes de ta putain de vie, tu n’en parles à personne. Compte sur moi pour le vérifier tous les jours s’il le faut. Sache que peu importe à qui tu le diras, je l’apprendrai tôt ou tard.

Xavier resserre méticuleusement ses doigts contre sa gorge, lui arrachant des bruits gutturaux alors qu’il se débat en vain.

X : Ça, c’est juste une infime partie de ce que je suis capable de te faire. Il n’y aura pas d’avertissement ou de deuxième chance. Tout ce qu’il te reste à faire, c’est de fermer ta gueule et d’oublier tout ce qu’il vient de se passer, c’est bien compris ?

Mathis acquiesce contraint et forcé, sans une once d’hésitation. Xavier attend quelques secondes supplémentaires avant de lâcher sa prise. Une toux incontrôlable s’empare de lui, alors qu’il porte instinctivement ses mains à son cou. Haletant, il lorgne vers la porte de sortie, souhaitant à tout prix s’échapper de cette galère.

M : J’ai rien vu, je ne dirai rien, promis…

Xavier affiche un air faussement réjoui. Il tire nonchalamment sur le bout de ses gants, les faisant claquer, avant de les ranger dans sa poche. Ses mains se rapprochent de Mathis et, alors que ce dernier se recroqueville dans un geste d’autodéfense, il se contente de remonter la fermeture éclair de son col roulé pour dissimuler le stigmate. Puis il lui tapote le dessus de la tête d'une façon dégradante.

X : C’est bien, continue comme ça.

Terrifié et humilié, Mathis s’éclipse sans se faire prier avant que les larmes ne lui montent aux yeux. Cette vision emplit Xavier d’une satisfaction malsaine. Mais la réalité lui retombe bien vite sur les épaules.

C : Xavier, je suis désolée, je te jure que…

X : Ferme-là, j’en ai rien à foutre de tes excuses.

Alors qu’il se dirige vers la porte pour ne plus se faire surprendre par un autre élève, il glisse quelques derniers mots à Cassandra.

X : T’es dans le même panier que Mathis.

15 Février 2016

Clac… Clac… Clac…

Assis au fond de la classe, comme à son habitude, Xavier se ronge ses derniers ongles jusqu’au sang. L’œil torve, il fixe irrépressiblement la place de Niels laissée vacante depuis une semaine. Précisément, depuis le jour où le poison a enfin fait effet.

Ce jour-là, il a enfin pu goûter au résultat de son périlleux labeur. Cette vendetta qu’il s’était dûment promise a éclaté sans crier gare, devant ses yeux ébaubis. Ces fraîches gouttes de sang vermeil qui perlaient le long de sa main agitée étaient la preuve irréfutable que son cheval de Troie était une réussite totale. Voir son impuissance et son effroi face à cet ennemi invisible et incontrôlable remplissait Xavier d’une jubilation morbide.

Le bruit des sirènes qui emmenaient Niels vers un destin inéluctable formait une symphonie exquise à ses oreilles. Les chuchotements inquiets de ses camarades composaient les chœurs au sein de ce chef d’œuvre créé de toutes pièces par son génie.

Cette scène, il se l’est repassée en boucle dans sa tête, comme quand on revisionne son film préféré pour la énième fois, ou quand on déguste un vin d’exception, gorgée après gorgée. Seulement, ce subterfuge mental ne pouvait dissimuler éternellement la cruelle vérité qui s’immisçait dans tout son être.

Cette image, bonifiée par ses soins, qui était censée se graver dans son esprit comme un souvenir impérissable de son triomphe, n’était en fait qu’une chimère. Sa mémoire ne faisait que rendre le décor plus morne à chaque réminiscence, il perdait de sa superbe chaque seconde.

Xavier n’arrivait plus à se persuader que tout allait mieux, car il savait pertinemment que c’était faux. Tout cela n’avait été qu’un shot d’adrénaline intense mais éphémère. Niels a subi son courroux comme il l’avait planifié, mais ça n’a en rien refermé le vide qui s’agrandissait en lui. En voulant combattre le feu par le feu, il n’a fait qu’incendier au lieu de cautériser. Laurène avait été la mèche, et Niels la dynamite. Il venait d’ouvrir la boîte de Pandore.

Quelques jours plus tard, Xavier eut le déplaisir d’apprendre en même temps que le reste de la classe que Niels était sain et sauf, et vraisemblablement hors de danger. À cette annonce, son corps bouillonna de rage.

Il ne comprenait pas. Son plan était pourtant infaillible. Pour quelle raison les médecins avaient-ils pensé aussi rapidement à faire des examens toxicologiques ? Les empoisonnements sont extrêmement rares à ce jour, et complètement invraisemblables dans un lycée. Il y avait des centaines d’autres diagnostics possibles pour ses symptômes, et ils n’avaient qu’un laps de temps extrêmement court pour le sauver.

Mais les faits étaient là, Niels était toujours vivant. Xavier ne put expliquer ce miracle que par une seule explication : la chance. Une chance démesurée, presque de l’ordre du divin. Le karma avait choisi son camp, et cette évidence mit Xavier encore plus hors de lui.

Depuis cette annonce, il redoute chaque jour le retour de Niels au lycée. Parce que son retour matérialiserait son nouvel échec et les failles de son plan. Même s’il refuse de le reconnaître, il sait pertinemment que l’étau se resserre autour de lui. Il n’est plus le seul maître de son destin, maintenant que d’autres personnes ont la possibilité de précipiter sa chute. Il a beau tout faire pour couvrir ses arrières et faire taire ses témoins, il lui faudra être extrêmement prudent pour que son piège ne se referme pas sur lui.

Sceptique quant à la confiance qu’il accorde à Cassandra et Mathis, il est aux aguets du moindre de leurs mouvements suspects. Bien qu’il surveille quotidiennement la véracité de leur silence, il ne peut s’empêcher d’intercepter tout regard d’un camarade comme un aveu de leur connivence.

Tiraillé entre la hargne et l’amertume, il se retourne brusquement lorsqu’il entend quelqu’un toquer franchement à la porte de la classe. Derrière l’oculus en verre martelé, il lui semble distinguer trois silhouettes. Un mauvais pressentiment l’envahit, et celui-ci se confirme lorsque le directeur se présente sur le seuil de la porte, accompagné de deux policiers.

M. Collomb : Bonjour à tous. Je vous prie de m’excuser d’interrompre votre cours de la sorte, mais je vais devoir vous demander de quitter votre salle et de vous réunir dans la cour arrière, et ce dans le calme.

Un brouhaha confus anime soudainement les élèves somnolents. Des questions sans réponses fusent de toutes parts, et la présence des forces de police n’aide pas à atténuer l’agitation.

M. Collomb : Bien entendu, je vous invite à laisser toutes vos affaires ici. Vous reprendrez votre cours de mathématiques juste après, il n’est question que d’une dizaine de minutes. Merci de bien vouloir me suivre.

Cette déclaration trop procédurale soulève quelques protestations hésitantes, très rapidement dissipées. Si certaines proviennent d’une vieille habitude qu’ont les lycéens de faire front commun contre le corps enseignant, la plupart résulte de l’incompréhension de la situation. Seuls Xavier et potentiellement Cassandra comprennent ce qui est en train de se dérouler.

Le visage blême, cette dernière suit le mouvement d’un air crispé. Xavier la remet à l’ordre d’un discret coup de coude dans l’épaule, lui commandant silencieusement de se taire et de faire profil bas. Sans échanger un mot, ils patientent à l’écart de leurs camarades et leurs débats et hypothèses.

D’un coup d’œil, Xavier repère Aleksy dans un coin de la cour. Assis sur un banc, les bras sur les genoux, il s’est lui aussi isolé du reste du groupe et observe prudemment les autres. Les yeux plissés, Xavier le surveille, visiblement agacé. Il semble bien trop calme et détaché pour ne pas être au courant de quelque chose.

Fatalement, il sent que la situation est de moins en moins sous son contrôle absolu. Même en ayant sérieusement couvert ses arrières, trop de personnes commencent à être liées à cette affaire. Il aura fallu d’un grain de sable pour faire dérailler la machine entière.

Un ordre, une action. Une cause, une conséquence. Autant de facteurs planifiables et contrôlables si tout a été parfaitement préparé en amont. Mais quid d’un comportement imprévisible, d’une confession inopinée ? Alors quoi, réduire au silence toute personne susceptible de le condamner serait la solution la plus sûre ? Mais comment, qui, quand, où ?

Une douleur vive le sort de ses pensées macabres, sa lèvre inférieure saignant abondamment. Sa concentration était telle qu’il n’a même pas senti ses dents se refermer sur sa chair.

X : Merde…

C : Qu’est-ce que…

X : T’occupe. Je reviens, bouge pas de là.

Xavier se dirige vers les toilettes extérieures. En se déplaçant, il intercepte le regard d’Aleksy dans sa direction. Ni une ni deux, ce dernier détourne les yeux, visiblement gêné. Xavier ignore ce bref échange et continue son chemin, l’air de rien. S’il ne souhaite pas attirer les soupçons, la meilleure solution est de ne rien laisser paraître pour l’instant. À l’heure actuelle, il ne représente aucun danger.

Après quelques minutes à nettoyer sa plaie pour arrêter le saignement, il sort au moment où tous les autres élèves s’apprêtent à rentrer dans le bâtiment. Il en profite pour se fondre dans la masse et réintégrer la salle de classe. Le professeur reprend hâtivement le cours dès que les élèves se sont assis, comme si cette parenthèse n’avait jamais existé.

Sur un fond de chuchotements abondants, Xavier vérifie discrètement le contenu de son sac. Le désordre dans ses affaires montre clairement qu’elles ont été fouillées, mais rien n’a à priori été récupéré. Un bref mouvement de tête vers Cassandra et une réponse muette lui confirment qu’il en est de même pour sa camarade.

Xavier soupire, à moitié rassuré. Bien qu’il n’y ait rien dans leurs sacs qui puissent l’incriminer, il préfère savoir les policiers loin de ce lycée, au risque qu’un coup du sort ne les emmène vers lui. Ses craintes sont rapidement vérifiées, alors qu’une succession de coups secs s’abattent sur la porte de la classe.

? : Monsieur De Fontenille ? Le directeur vous demande. Veuillez me suivre s’il-vous-plaît.

D’un mouvement uniforme, tous les yeux se tournent dans sa direction. Il se maudit intérieurement d’avoir espérer s’en sortir aussi facilement. Ne laissant rien transparaître, Xavier se lève et suit sans sourciller la surveillante qui transite entre la salle de cours et le bureau du principal.

Pendant le trajet, Xavier se prépare à toute éventualité. Il leur est impossible de savoir avec certitude qu’il s’agit de lui, il n’a laissé aucune preuve derrière lui. Au pire des cas, il ne peut s’agir que de simples soupçons. Ils sont là pour récolter des indices, il est encore en position de force. À moins qu’un des deux témoins ne l’ait trahi… Ce serait alors leur parole contre la sienne. Mais il dispose encore d’un atout.

Arrivé à destination, la surveillante prend congé après lui avoir ouvert la porte d’une salle polyvalente, légèrement à l’écart des autres. À l’intérieur l’attendent le directeur et les deux inspecteurs de police qui l’accompagnaient. Il s’avance prudemment, ne laissant néanmoins aucune faille exploitable dans son comportement.

Inspecteur : Monsieur le directeur, pourrions-nous nous entretenir seuls avec vos élèves ? Question de protocole et de confidentialité…

M. Collomb : Oui, bien entendu.

Le directeur s’éclipse, en n’oubliant pas d’adresser un regard furtif, mais pas moins réprobateur, vers le suspect potentiel. Xavier serre les dents pour ne pas révéler son agacement.

Inspecteur : Bien… Monsieur De Fontenille, c’est ça ? Je me présente, je suis l’inspecteur Gadbois. J’aurais quelques questions à te poser.

X : À quel sujet ?

Insp. Gadbois : Cela concerne ton camarade de classe récemment hospitalisé, monsieur Møller.

Comme il s’y attendait, leur présence est liée à cette affaire. S’ils se sont directement tournés vers lui, c’est bien qu’ils doivent le soupçonner de quelque chose. Reste à savoir quoi… Pour récolter des informations, Xavier tente l’étonnement.

X : Oh ? Pour quelle raison ? Ce n’est pas à cause d’une maladie ou quelque chose du genre ?

Insp. Gadbois : Malheureusement, il nous est interdit de divulguer de plus amples informations à ce sujet. Mais nous étudions l’hypothèse que son état ait pu être provoqué ici-même. C’est pour cela que nous sommes venus aujourd’hui.

X : Ah… Mais qu’est-ce que j’ai à voir avec ça ? Vous ne me soupçonnez pas quand même ?

Un léger sourire se dessine sur les lèvres jusque-là neutres de l’inspecteur, alors qu’il se réinstalle confortablement dans son siège.

Insp. Gadbois : Je n’ai encore émis aucune supposition. Pourquoi en arrives-tu à cette conclusion ?

Xavier se mord la langue, maudissant son manque de prudence. Il n’imaginait pas le policier le piéger de la sorte. En se montrant impatient, il n’a fait qu’alimenter les soupçons au lieu de les faire disparaître. Pas le choix, il doit se montrer plus bête qu’il ne l’est, bien que ça l’irrite. Moins il rentrera dans le jeu de la persuasion et de l’éloquence, moins il ne paraîtra dangereux à leurs yeux.

X : Bah… Parce que je suis ici.

Insp. Gadbois : Tu es juste le premier. Il est prévu que tous tes camarades de classe soient interrogés.

X : Ah… On m’a demandé de venir ici sans rien me dire, alors j’ai cru que…

Insp. Gadbois : Certes. Ce n’est pas non plus totalement un hasard. J’ai cru comprendre que tu avais eu quelques accrochages avec ton camarade, une explication ?

Évidemment, le directeur a dû lui en parler. Xavier imagine bien que cette espèce de fourbe n’a pas raté l’occasion de lui faire porter le chapeau, bien qu’il ait vu juste. Cela explique le regard acide qu’il lui a lancé tout à l’heure. Néanmoins, il est rassuré de constater qu’ils ne savent presque rien.

Inutile de nier à ce niveau-là, mieux vaut jouer la carte de la franchise tout en dédramatisant.

X : Oui, c’est vrai. On s’est vite fait embrouillé dans la classe, mais c’était juste des insultes et des menaces en l’air, rien de plus. On n’en a plus reparlé après ça.

Insp. Gadbois : Comment est-ce arrivé ?

X : Je sais plus trop, c’était rien d’important. On était en train de rigoler avec mon amie et il a cru qu’on se moquait de lui. Puis le ton est monté, c’est tout.

Insp. Gadbois : Donc il n’y avait rien de personnel ? C’était la première fois que vous vous disputiez ?

X : Oui, on ne s’était presque jamais adressé la parole avant ça.

Insp. Gadbois : Eh bien, tu dois être sacrément sanguin. On m’a dit que vous aviez failli en venir aux mains, tu t’emportes souvent contre des personnes que tu ne connais presque pas ?

X : Non, je devais juste pas être dans un bon jour…

Insp. Gadbois : Ça a l’air d’arriver relativement souvent, dis-moi…

En disant cela, il observe avec insistance la lèvre tuméfiée de Xavier. Ce dernier essuie avec son pouce la plaie légèrement sanguinolente.

X : Ça n’a rien à voir avec ça. Je me suis mordu tout à l’heure…

Insp. Gadbois : Sacré coup de dent… Revenons-en à ton camarade. Votre embrouille s’est déroulée dès le premier jour de la rentrée, tu me confirmes que plus rien ne s’est passé après ça entre vous ?

X : Oui.

Insp. Gadbois : Entre temps, est-ce que tu as observé un comportement étrange chez l’un de tes camarades de classe à son encontre ?

X : S’il s’est disputé avec quelqu’un d’autre ?

Insp. Gadbois : Par exemple, ou si tu as entendu des personnes parler de lui, ou même si tu as aperçu l’un de tes camarades trainer plus souvent qu’à l’accoutumée dans les salles de classe ou à fouiller les sacs… N’importe quel indice pourrait nous être utile.

Elle est là, l’ouverture qu’il attendait. La clé de voûte de son plan, son alibi parfait, sa porte de sortie. Mais il doit faire attention, l’information doit être distillée. En dire assez pour les mettre sur la piste, mais pas trop pour ne pas paraître trop informé. Il faut la jouer fine.

X : Ça ne me dit rien. Euh… ou peut-être en soirée, je crois que quelqu’un a parlé de lui à un moment.

Insp. Gadbois : Mais encore ?

X : Je ne me rappelle pas très bien, j’avais un peu bu. Un truc entre la mère du gars et le père de Niels, je crois.

Insp. Gadbois : Une liaison ?

X : Peut-être, mais il parlait boulot, alors je ne sais pas…

Insp. Gadbois : Tu ne te rappelles rien de plus ?

X : Non, désolé…

Insp. Gadbois : Et l’identité de cette personne ?

X : Je vous le dis, j’avais bu ce soir-là. J’ai quelques images floues en tête, mais impossible de mettre un visage sur lui.

Insp. Gadbois : Dans ce cas-là, chez qui s’est déroulée cette soirée ?

X : Chez moi.

Insp. Gadbois : Alors tu dois bien savoir qui est venu à cette soirée, non ?

X : À vrai dire, je laisse un peu la liberté à mes potes de ramener qui ils veulent, alors…

Insp. Gadbois : Fait un effort, tu dois bien te rappeler d’un détail physique, ou n’importe quoi d’autre ?

X : Mhh… Brun, peut-être. À part ça et le fait que ce soit sûrement un gars en Terminale, je préfère ne pas dire n’importe quoi…

Insp. Gadbois : Je vois. Ça nous permettra tout de même de lancer des recherches plus précises. Je te remercie pour ces informations, elles pourraient être cruciales.

X : De rien.

Insp. Gadbois : Tu peux retourner en cours.

D’un acquiescement poli de la tête, Xavier sort de la salle. La surveillante, qui l’attendait dehors, l’accompagne de nouveau dans l’autre sens, une liste d’élèves à la main. Sûrement les prochains à être interrogé. Il dissimule de sa vue un sourire satisfait. Il avait réussi à semer la graine de la discorde, il ne lui restait plus qu’à attendre que les policiers la fassent germer.

Pour réussir à créer de toutes pièces ce bouc émissaire, il lui avait fallu préparer le terrain. Avec l’aide de Bono et de son réseau, ils ont réussi à corrompre le consul de l’ambassade du Danemark pour qu’il force le licenciement de la mère de Thibault, au risque de dévoiler à tous ses petites escapades nocturnes qu’ils avaient réussi à prendre sur le vif. Il n’a pas été très dur à convaincre, il tenait à sa petite réputation et il lui en faisait déjà voir de toutes les couleurs au quotidien.

Pour ce qui est du père, il leur avait suffi de créer un faux prospectus sur l’opportunité de l’orpaillage clandestin et de le placer dans leur boîte aux lettres. Ils y expliquaient absolument tout : comment s’y prendre, selon quels procédés, avec quels outils et produits, à quels endroits, comment faire fortune facilement et rapidement en somme. Pour quelqu’un dans une situation aussi désespérée, c’était une aubaine.

Plus qu’à faire porter le chapeau au fils, et le tour est joué. Avec ça, le coupable est tout trouvé pour les enquêteurs. Il ne lui restait plus qu’à apprécier le spectacle de ce scénario qu’il avait entièrement composé.

Annotations

Vous aimez lire Dobingu ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0