10. Incompréhension
Je ne finis pas ma phrase. Je reste muette, figée telle une statue face au spectacle qui s'offre à moi. Nathan. Mon Nathan. Il est aux côtés de Lou. Et me regarde d'un air que je ne lui connais pas. Il aurait même tendance à me faire peur. La preuve, je viens de faire un pas en arrière. Mon dos vient se coller contre le torse de Gabriel. Sa chaleur me rassure. Même si je ne comprends pas très bien la situation. J'ai senti une distance entre Nathan et moi, mais de là à penser... Non ! Mon frère n'a pas pu faire cela !
— Anna, qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? Trop fragile, trop sensible ! Mademoiselle veut sauver le monde ! Mais apprends déjà à te sauver !
— Nathan... Mais que...
— Oh, tais-toi ! J'en ai assez de t'entendre. Lou a raison, tu n'es qu'une pauvre chose fragile !
— Que... Pourquoi ? C'est toi ? Toi, qui as parlé de notre évasion à cette traite ?
Je n'ai pas besoin d'une réponse. Je la connais. Je le vois dans sa posture, son regard et son sourire vicieux. Souris vicieux ? Oui. Ce sourire que je vois sur son visage ne m'avait encore jamais été destiné. Pourtant, il est là, face à moi. Près de notre ennemi. Ou peut-être est-ce moi son ennemi. Je ne sais plus. Tout est figé autour de moi. Le temps s'est arrêté. Il me laisse apprécier et comprendre la situation. Une situation trop douloureuse. Je sens mon cœur et mon âme se briser en mille morceaux. Mon frère n'est pas avec moi. Ce n'est pas mon allié. Mais...
« Ne le laisses pas entrer dans ta tête, Anna. » Gabriel. Mon ange, mon protecteur. Ma moitié, voilà ce qu'il me reste. Il m'entoure de ses bras. Il veut me protéger. Il a compris avant moi. Personne ne bouge, personne n'attaque. Je comprends à présent. Ils ne mettaient pas toute leur puissance car c'est lui. C'est Nathan leur chef... Pouah! Cette vérité fait mal, elle me transperce la poitrine. Me la comprime. Je... J'ai du mal à respirer. A reprendre mon souffle. Même les murmures de Gabriel ne sont plus efficaces. Je sombre.
— Je te l’avais dit. Tu vas souffrir encore et encore. Plus tu tenteras d’aider et plus tu en souffriras. Tu le comprends maintenant.
— Lou, elle a compris. Rentrons à présent.
— Hors de questions ! Je veux la voir sombrer. Je veux lui faire du mal. Je veux lui arracher ses dernières plumes ! Tu m’entends ? Nathan, nous en avons parlé. Je laissais les enfants partir à condition que tu me laisses m’occuper de ta chère petite sœur.
— Bien. Comme tu voudras.
Quoi ? Non… Cette phrase me blesse tellement. Comment peut-il me faire ça ? Comment peut-il me tourner le dos de cette manière ? Littéralement, il me tourne le dos et retourne sur nos pas. Il rentre dans sa cage, notre cage, notre prison de l’enfer. Il y retourne sans même osciller. Qu’ont-ils fait de lui ? « Va-t’en. » Les murmures. Ses murmures. Pourquoi ? Mon être tout entier reste bloqué sur l’image de son dos. Son dos s’éloignant de moi. « Tu dois partir, Anna. » Encore. Nathan. Je ne comprends plus rien. Il se dresse fier et furieux devant moi, et maintenant, il me murmure presque comme une supplication de partir. Pourquoi ?
Cette question tourne dans ma tête. Alors que Nathan n'est plus là. Son dernier murmure ne m'a même pas fait réagir. Rien. Aucuns gestes. Je ne me sens pas capable de partir. Pas sans lui. En fait, nous avons toujours été ensemble. Sauf... Oh, les expériences! Oui! Que lui ont-ils fait? Pourquoi me trahir ? Nous sommes frère et sœur, jamais il n'aurait pu me faire du mal. Pourtant. « Princesse. » Non ! Je sais ce que Gabriel va murmurer et je ne veux pas l'entendre. Je ne veux pas fuir sans lui. Sans mon frère. Impossible. Je ne peux pas avancer en sachant que je le laisse derrière.
— Alors petite, tu te sens prête à m'affronter ?
— Tu en as assez fait !
— Oh mais c'est que tu parles ! Le guerrier Gabriel au secours de sa belle. Oh. Mais attends ! Ne me dis pas que... Ah si, c'est ça ! Ah, tu es bloqué avec cette petite ? Cette enfant ! Pauvre vieux !
— Que de belles paroles...
— Bon, tu vas me laisser faire à présent. Je vais la détruire et tu n'y changeras rien !
Me détruire. Ils ont tous cette idée en tête. Je ne comprends rien. La seule chose. Oui, il doit bien avoir une chose qui explique tout. Une chose pour que tous souhaitent nous détruire. Même mon frère s’éloigne de moi. Même lui, souhaite ma fin. Alors, je ferais mieux de l’accepter. Cette fin, tout le monde l’attend, non ? Alors, je suis prête. Je me dégage lentement des bras de Gabriel. Il est trop occupé à s’énerver contre Lou pour voir mes gestes. Je me rapproche dangereusement de celle qui veut ma mort. Mais ce n’est rien. Je suis totalement dans le flou. Je préfère en finir. Aujourd’hui. Maintenant.
Gabriel ne m'a peut-être pas vu mais Lou, elle oui. Elle profite même de son inattention pour me sauter dessus. Véritablement. Son poing s'abat sur ma joue en un rien de temps. Je suis sonnée. J'essaie de répliquer. Je sais, je veux en finir, seulement je ne me laisserais pas avoir si facilement. Je reste fière malgré tout. Je n'ai pas survécu à tout ça pour plier le genou dès le premier coup. Bizarrement, elle n'a pas utilisé sa force, son aura n'est pas venue renforcer son poing. Etonnant. Je suis pourtant à sa merci. Faible. Et sans aucun repère. « Anna ! » Gabriel m'attrape le bras. Je ne veux pas fuir, plus maintenant. La seule chose dont j'ai besoin, c'est de mon frère. Mais il s'est détourné. Il a disparu. Comme envoler.
— Où tu crois aller avec elle ?
— Loin de toi ! Tu es devenue folle ! As-tu vraiment oublié qui ils sont ? Ce qu'ils représentent ?
— Qui ils sont ! Ils ne sont rien! Tu ne l'as pas encore compris, Gabriel? C'est Omaël, l'origine de la légende! Tout ça pour eux! Pour les protéger! Ils ne représentent rien, aucun espoir.
— Tu te trompes ! Elle est ma moitié !
— Et alors ?
Ils se disputent comme des enfants. Lou en a profité pour se rapprocher encore de nous. La voilà, qui nous attaque. Cette fois avec l’aide de son pouvoir. Le choc est violent. Je percute de plein fouet, l’arbre situé à la lisière des bois. Quand je relève la tête, je la vois, elle fonce à nouveau sur moi. Je ferme les yeux, cette fois, ça va faire très mal. Mais rien n’arrive. Quand j’ouvre mes paupières, je vois le visage de Gabriel à quelques centimètres du mien. Déformé par la douleur.
— « Gabriel...
— Je vais bien. Ecoute-moi, Anna. Tu dois fuir. Nous trouverons un moyen de faire revenir ton frère.
— Je... Je ne pars pas sans toi! »
Il hoche la tête, se remet debout. Lou croit être sur le point de gagner. Remarque, c'est pratiquement vrai. Elle a gagné mon frère. Mon frère est du côté de la crèche. Je suis perdue. Elle se prépare, son prochain coup sera surement le dernier. Je lance un regard plein de désespoir à Gabriel. « Accroche-toi. » A ces mots et sans en être consciente mes bras s'enroulent autour de son cou. Au moment exact où Lou amorce son coup, Gabriel prend son envol. Nous prenons la fuite accompagnée d'un cri de rage, et de mes larmes qui coulent.
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