chapitre trois
Si Marinette devait se séparer de l’un des deux hommes de sa vie, lequel serait-ce ? Elle s’était longuement posé la question et l’affreuse réponse la hantait.
Luka était l’amour de sa vie, celui qui la comprenait le mieux, avec qui elle partageait son quotidien, ses pensées, son cœur. Elle l’aimait plus que tout au monde. Sans lui, elle se serait écroulée à de nombreuses reprises. Il la soutenait et savait la remettre sur le bon chemin lorsqu’elle déviait. Il était tout ce dont elle avait besoin, tout ce qu’elle avait toujours cherché sans le savoir.
Chat Noir était son meilleur ami. Il la connaissait mieux qu’elle-même parfois. Maintenant qu’il connaissait son identité, il devait la comprendre mieux encore. Elle se tournait vers lui quand elle voulait parler. Il l’avait toujours poussée vers ce qui lui semblait le plus juste, quitte à mettre ses propres sentiments de côté.
Le cœur de Marinette balançait. Elle était effrayée à l’idée de trouver un sens à la question de Veritae. Pour une demande finale, elle avait fait un choix étrange. L’expression troublée qu’elle avait prise chiffonnait la Coccinelle.
Cependant, elle ne pourrait plus obtenir de réponses à ses questions : Veritae avait repris son apparence usuelle. Après avoir lancé le trousseau de portes-clés dans le ciel, ses cheveux coupés par Ryuko avaient repoussés et la civile écoutait désormais attentivement le résumé de Queen Bee sur les derniers évènements. Chat Noir se tenait à coté d’elle. Ryuko, Rena Rouge et Carapace étaient déjà partis.
Ladybug préférait rester à distance au vu de leur passif plutôt compliqué. Elle cessa de les observer pour rejoindre Vipérion qui attendait en bordure du toit.
« Tu rentres avec moi ? s’enquit-il en la voyant approcher.
– Je te rejoindrais plus tard. J’ai une discussion à avoir avec Chat. »
Luka sembla hésiter un instant à la laisser, bien conscient du trouble dans lequel sa petite amie était plongée. Mais Ladybug lui offrit son regard le plus sincère et déterminé. Cette discussion avec Chat Noir la ferait avancer.
« J’espère que le poids sur ton cœur se sera un peu allégé lorsque tu reviendras, » sourit finalement Vipérion en l’enlaçant.
Ladybug se laissa porter par cette étreinte chaleureuse qui réchauffait son corps tout entier. Elle entoura le dos de son amant et murmura :
« Dis…
– Qu’y a-t-il? »
Marinette s’écarta légèrement pour voir son visage. Luka avait ce sourire. Ce sourire qui avait le don de la faire fondre plus vite que de la neige au soleil. Luka était le soleil de Marinette : sans lui, la petite plante qu’elle était flétrirait. Elle avait donné une réponse juste à Veritae. Si elle venait à perdre Luka, elle serait dévastée.
Sans une seconde d’hésitation, elle se détransforma. Après tout, ses camarades – ainsi que le monde entier, finalement, – savaient qui elle était. Et elle tenait à parler à Luka en temps que Marinette, à partir du courage qu’elle seule avait accumulé.
« J’ai quelque chose à te dire. »
Elle vit une légère appréhension passer brièvement sur le visage de son aimé, qu’il chassa rapidement devant l’expression douce de Marinette.
Dans sa poitrine, son cœur martelait ses côtes. C’était dans ces instants là qu’elle se mettait soudainement à perdre l’usage de la parole et bafouiller des phrases incompréhensibles. Alors elle prit son courage à deux mains, saisit celles de Luka et, rivant son regard dans les yeux lagons de celui avec qui elle voulait faire sa vie, affirma simplement :
« Oui. »
Elle crut que le jour se levait en avance tant Luka étincelait de bonheur. Le jeune homme se pencha légèrement pour déposer son front contre celui de Marinette. Il éclata d’un rire musical.
« Je pensais que je n’aurais jamais de réponse, » souffla-t-il en réduisant encore la distance entre leurs visages.
Ils s’embrassèrent. Ce baiser avait un goût d’amour inconditionnel. Il avait le goût de la victoire, du courage et de l’affection démesurée. Il avait le goût de la complicité, des moments uniques, des souvenirs heureux. Il avait le goût d’un futur plein de lumière.
« Je t’aime. »
Marinette l’avait glissé ainsi, alors que Luka s’écartait de ses lèvres. Il déposa son front contre celui de son aimée et il sourit.
« Je t’aime aussi. »
Chat Noir était perché sur l’une des barrières jouxtant la terrasse. Le soleil levant – qui teintait tout doucement l’horizon de jaune verdâtre – se reflétait sur ses boucles blondes, l’entourant d’une aura angélique.
Ils se trouvaient sur la même terrasse où, des années plus tôt, Chat Noir lui avait préparé un rendez-vous galant. Ce soir-là, elle n’était venue qu’après qu’ils aient combattus le glacier André alors akumatisé.
Étant donné qu’il avait usé de son Cataclysme, il avait dû quitter le champ de bataille avant de se détransformer. Ladybug et lui avaient convenu de ce lieu avant de filer.
En l’attendant, Marinette avait fini de peaufiner son plan. Elle avait débattu du combat et de ce qu’il impliquait avec Tikki en faisant attention à garder ses idées sous silence. Elle savait que si son kwami se rendait compte de quoi que ce soit, elle tenterait de la dissuader.
« Alors… qu’est-ce que tu voulais me dire ? » demanda Chat Noir d’une voix tendue.
Marinette vint s’accouder à ses cotés et riva les yeux loin devant elle, vers l’horizon. Du coin de l’œil, elle remarqua qu’il l’observait. Elle se demandait ce qu’il pouvait bien penser. Il n’y avait plus de trace de la colère qu’il semblait éprouver lorsqu’ils étaient chez Chloé, et cela la détendit légèrement. Elle était même surprise de constater qu’il n’avait plus l’expression déçue qu’il affichait lorsqu’elle avait répondu « le Serpent ». Soit il s’efforçait de les masquer, soit son cœur était fait d’acier.
« Je voulais m’excuser. Pour tout ce qu’il s’est passé.
– C’est à dire ? »
Il tourna la tête vers elle et elle perçut dans son regard toutes les émotions qu’elle ne discernait pas dans son attitude. Un mélange de tout ce qu’il gardait en lui, et qu’elle avait deviné. Elle chercha les mots justes.
« Je ne sais pas trop par où commencer, avoua-t-elle.
– Par le début ? suggéra Chat. Qu’est-ce qui te semble le plus important ? »
Marinette se mordit la lèvre. Elle ferma les yeux, essaya de faire le vide, puis enfin, elle se lança :
« Je suis désolée de t’avoir évité après l’annonce sur mon identité. Je n’aurais pas dû fuir comme je l’ai fais ; j’avais tellement peur, Chat !
– Peur de quoi ?
– De trop de choses, je ne sais pas exactement... J’avais peur que tu rejettes celle que j’étais sous le masque ou que tu sois déçu, je crois. Ladybug a toujours été si importante pour toi et je ne suis qu’une pâle copie de la super-héroïne que j’incarne... »
Chat Noir ne répondit pas immédiatement, ce qui laissa le temps à Marinette de s’imaginer les pires scénarios. Il allait tempêter, l’insulter, la haïr et ne plus jamais vouloir lui parler. Ce serait normal, elle le méritait.
« Je suis tellement désolée, souffla-t-elle en sentant les sanglots monter.
– Ne le soit pas, dit le héros. A ta place, j’aurais fait pareil. Tout le monde a toujours prêté une grande importance à nos identités, et je pense qu’on doit avoir l’impression d’être mis à nu une fois que le public est au courant. Je me suis imaginé un nombre incalculable de fois comment j’aurais réagi dans ce cas, et me terrer chez moi était le choix le plus évident. Je n’aurais pas réussi à te faire face. »
Marinette avait levé la tête vers lui. Il regardait en contrebas les passants qui débutaient leur journée.
« Ma raison me dictait que ta réaction était juste, parfaitement normale et surtout humaine, ma Lady. Mais mon cœur me murmurait tout autre chose. J’avais beau essayer de te comprendre, je souffrais de ton absence et de toutes ces fois où tu m’ignorais. Je savais que c’était pour le mieux, mais enfin… tu comprends.
– Je suis vraiment désolée, Chat…
– Arrête de t’excuser ! » râla-t-il.
Il lui sourit, puis reprit :
« Et puis tu sais, je ne suis pas déçu que ce soit toi. Pourquoi l’aurais-je été ? Je me suis souvent demandé qui était la fille sous le masque, et bien qu’on se connaisse depuis des années, je n’ai pas été capable de le deviner. Avec du recul, je me demande comment j’ai pu être aussi aveugle ! »
Il rit doucement. Le grain de sa voix tintait comme un joyeux grelot dans l’aube, et réchauffa le cœur de Marinette.
« Tu es une femme formidable. Tu as toujours été comme ça : imaginative, altruiste, courageuse et fiable. On peut te faire confiance. Il ne pouvait pas y avoir de personne plus digne du Miraculous de la Coccinelle. Je ne suis pas déçu, au contraire : je suis très heureux que tu sois Ladybug, Marinette. »
Le sourire qu’il lui adressa était tellement affectueux que la brune ne put pas retenir ses larmes. Elle renifla bruyamment et les laissa rouler sur ses joues sans les essuyer. À quoi bon ? Chat Noir l’acceptait pleinement, telle qu’elle était ! Son meilleur ami l’aimait autant avec et sans le costume de la Coccinelle.
Devant un tel débordement d’émotions, Chat Noir passa de l’autre coté de la rambarde, sur la terrasse, et la serra contre lui. Bien loin de la réconforter, cela renforça sa crise de larmes. Sentir cette chaleur réconfortante et cette senteur si familière lui rappelait tous les instants de joie avant que leurs vies ne soient bouleversées. Ces moments de leur ancien quotidien mouvementé n’étaient plus là. Ils ne reviendraient jamais, maintenant qu’on connaissait son identité.
Elle entoura Chat Noir de ses bras et se cramponna à son dos du plus fort qu’elle le pouvait pour ne pas s’effondrer. Lui caressait sa tête en murmurant que tout allait bien.
Sauf qu’après les songes passés venaient les plans pour l’avenir et Marinette se détestait pour ce qu’elle allait leur faire vivre.
Or, ce serait nécessaire. Pour le bien de tout le monde.
« Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ? » demanda Chat plusieurs minutes plus tard.
Ils s’étaient assis le dos contre les barrières. Marinette avait fini de pleurer. La tête posée sur l’épaule du blond, elle jouait avec sa ceinture pour s’occuper les mains.
« J’hésite, » marmonna Marinette pour ne pas s’étendre sur le sujet.
Il y avait beaucoup de choses qu’elle pourrait faire désormais. Les possibilités étaient si nombreuses que Marinette, malgré des semaines à y réfléchir, n’avait pas pu en faire le tour. Ou plutôt, elle ne l’avait pas voulu car elle savait parfaitement ce qu’elle comptait réaliser. Pour le moment, elle préférait repousser le moment d’annoncer à Chat Noir quel serait leur avenir, d’autant plus qu’il leur restait un sujet à aborder.
« Tu veux que je te raccompagne ? proposa son meilleur ami.
– Non, répondit-elle. Je veux rester encore un peu ici. »
Il fallait que ce soit Chat Noir qui l’aborde car Marinette savait que c’était lui qu’il tracassait le plus. Elle ne pouvait pas rentrer tant qu’il n’avait pas trouvé le courage d’en parler. Durant le silence qui suivit, elle mit au point ses réponses.
« Est-ce que je peux te parler de quelque chose d’important ?
– Bien sûr. »
La voix de Marinette était rocailleuse à force d’avoir pleuré. Son cœur battait fort même si elle s’était préparée à la discussion qui allait suivre.
« Ce que tu as répondu à Veritae… est-ce que tu le pensais vraiment ? »
Même en ayant sa réplique en tête, Marinette marqua une pause. Elle ne s’attendait pas à entendre la voix de Chat Noir trembler de la sorte. Elle déposa une main sur l’avant-bras de son camarade et se lança :
« J’ai des tas de désirs, Chaton : vivre avec celui que j’aime, devenir une grande styliste, savoir aider mes parents… Veritae force à avouer la vérité dans l’instant, et dans la précipitation et le bazar de mes sentiments, c’est ce souhait là qui est sorti. Mais ce n’était que l’envie d’un instant ! Je ne le pense déjà plus. Tu sais, je suis reconnaissante à Maître Fu d’avoir fait de moi Ladybug. Je ne le remercierai jamais assez d’avoir été choisie pour protéger Paris à tes côtés. »
Elle déplaça sa tête pour pouvoir faire face à Chat Noir. Il tourna la sienne.
« Là, tout de suite, maintenant, ce que je désire, c’est de regarder le soleil se lever à tes côtés. »
Le sourire qui éclaira son visage était si pur que Marinette culpabilisa aussitôt – de lui avoir causé tant d’inquiétude avec sa réponse, entre autres. Il prit sa main et la serra fort. Elle déposa de nouveau sa tête contre celle de son meilleur ami et ils contemplèrent le soleil percer, passant du vert pâle au rose sucré.
Il ne restait plus de zone d’ombre entre eux. Tout avait été mis à plat, tout était clair. Chacun allait pouvoir reprendre le cours de sa vie en embrassant pleinement leur passé et en se préparant à vivre avec les conséquences de leurs actes. Ou pas.
Les deux super-héros discutèrent ensuite de leur stratégie pour venir à bout de Veritae, se repassant le combat dans les moindres détails pour déterminer ce qui était à approfondir. Marinette fit en sorte de dévier la discussion légèrement pour en revenir à leur chasse au Papillon toujours en cours. L’air de rien, elle lui indiqua de tourner ses recherches dans le secteur Six où elle avait été repérée car elle était convaincue que le Papillon s’y trouvait. Elle n’osait pas donner le nom de son suspect par peur que Chat Noir ne proteste. Ses conseils étaient clairs et précis.
Marinette ne sut pas quand elle avait lâché la main de Chat Noir mais, quand elle s’en rendit compte, elle sut que c’était le moment de répondre à sa demande.
Malheureusement pour elle, l’aube n’était pas éternelle. Le rose se teintait de mauve, puis d’un bleu ciel. Elle se leva et s’étira. En baillant, elle réprima les larmes qui manquèrent de couler, mélange de fatigue et de la peine qu’elle déniait.
Dos à Chat Noir, elle porta la main à son oreille et décrocha l’une des boucles de la Coccinelle. Aussitôt, Tikki se précipita vers son visage. Marinette ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce soit.
« Tu m’as demandé ce que je comptais faire, maintenant… et j’ai pris ma décision.
– Qu’est-ce que tu fais ? demanda Chat Noir d’une voix où perçaient le doute et la peur.
– Oui, Marinette, qu’est-ce que tu fais ? » s’écria Tikki en écho.
La jeune femme décrocha la seconde boucle d’oreille et observa la paire longtemps, là, dans sa paume.
Son Miraculous lui avait permis de vivre une adolescence hors du commun et dont elle garderait pour toujours ses meilleurs comme ses pires souvenirs. Ne plus sentir leur poids à ses oreilles lui donnait l’impression d’avoir oublié quelque chose de très important. Elle se sentait libérée d’un travail lourd. Elle se sentait affreusement vide.
Marinette fit face à Tikki. Malgré l’étrange sensation qui frémissait dans son torse, elle ne se défilerait pas. Il était temps pour elle de tirer sa révérence et d’offrir sa chance à une autre.
« Ce n’est pas la meilleure solution, j’en ai bien conscience… mais c’est la plus sûre. Ma vie personnelle ne doit pas impacter celle de la ville entière. Je peux continuer d’encaisser les avis. Les gens finiront par se lasser et s’intéresser à la prochaine Ladybug ! »
Marinette ferma le poing dans lequel elle tenait les boucles d’oreilles et le frappa contre sa paume pour affirmer son idée. Elle pivota vers Chat Noir, la tête haute et avec un sourire confiant. Assis au sol, le blond semblait statufié.
« Une fois certaine que tout se passera bien, je me chargerai de confier la Miracle Box à un nouveau gardien. Ainsi, j’oublierai tout ce qui concerne les Miraculous et vous pourrez continuer à protéger la ville l’esprit en paix !
– Tu comptes effacer ta mémoire ? demanda enfin Chat Noir d’une voix étranglée. Mais… et tout ce que nous avons vécu…
– Restera à jamais dans mon cœur, à défaut d’être dans ma mémoire. Chaton, s’il te plait, ne rends pas la situation plus difficile... »
Le blond ne répondit rien, les yeux rivés au sol. Alors Marinette se lança :
« Chat Noir, j’aimerai que tu choisisses une autre Ladybug pour veiller sur Paris avec toi. »
Cette demande agit comme une décharge électrique sur le héros qui se leva net pour venir se planter devant elle. Marinette ne recula pas, mais elle ne réussit pas à regarder son meilleur ami dans les yeux. Jamais elle ne pourrait affronter la douloureuse stupéfaction qu’il affichait d’aussi près.
Elle l’entendit soupirer et s’apprêta à une recevoir une avalanche de reproches, au lieu de quoi, Chat Noir demanda :
« Ma Lady, tu es certaine que c’est ce que tu veux ?
– Oui. »
Le ton de Marinette était ferme. Sa voix n’avait pas tremblé. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser une once de douleur transparaître – bien qu’au fond, elle mourrait d’envie de hurler que non, bien sûr que non, elle ne le voulait pas !
Ce qu’elle désirait le plus, c’était d’effacer ce qu’il s’était passé ce maudit jour pour profiter de ses fiançailles avec Luka, continuer à travailler main dans la main avec Chat Noir, finir ses études de mode afin de devenir une styliste renommée… sauf qu’il était trop tard pour changer leur passé.
Marinette inspira.
« Tikki, souffla-t-elle. Prends bien soin de Chat Noir et de la prochaine Ladybug. »
Elle savait que son kwami avait des tonnes de choses à lui dire. Mais si elles discutaient, Marinette verrait sa volonté faiblir et elle n’avait plus le droit de se laisser aller aux larmes. Elle avait assez pleuré sur son canapé, et ce matin dans les bras de Chat Noir.
Tikki comprenait Marinette. Bien qu’elle n’ait aucune idée de ce qu’elle préparait, elle savait que sa porteuse avait mûrement réfléchi avant d’annoncer sa décision. Plutôt qu’essayer de la convaincre, Tikki vint se frotter contre sa joue. Marinette entoura son amie délicatement de ses mains en prenant garde à ne pas faire tomber ses boucles d’oreilles.
« Toi aussi, fais attention, dit Tikki.
– Je te le promets. Merci pour tout. »
Marinette écarta les mains de son visage pour laisser Tikki voltiger face à son visage, exactement comme le jour où elles s’étaient rencontrées. Elles se sourirent une ultime fois, puis Marinette clama :
« Tikki, je renonce à toi. »
Au lieu de se laisser le temps de déprimer, Marinette continua sur sa lancée. Elle fit face à Chat Noir en clignant plusieurs fois des paupières pour chasser ses larmes, et tendit le bras droit vers lui.
« Chat Noir, je te confie le Miraculous de la Coccinelle, qui confère le pouvoir de Création. Tu t’en serviras pour le bien d’autrui. »
Sa voix flancha complètement sur la fin mais elle ne retira pas son bras.
« Et je devrais te le rendre à la fin de la mission ? »
Marinette sentit son cœur se briser dans sa poitrine, en tellement de petits morceaux qu’il lui serait impossible de le reconstituer. Elle ne répondit pas. Sa vue était troublée par des larmes qu’elle venait juste de s’interdire de verser. Elle percevait à peine la silhouette de son meilleur ami.
Alors Chat Noir, qui, elle le devinait, pleurait également, s’approcha d’elle et l’enlaça. Il la serrait si fort qu’elle crut que ses membres allaient se casser à leur tour. Elle se sentait incapable du moindre mouvement tant la douleur était forte. La seule chose qu’elle réussit à faire fut de l’entourer de ses bras. L’héroïne aurait pu fondre dans cette étreinte tellement pleine de sentiments et des souvenirs de moments partagés.
Désormais, elle l’avait dit, elle le ferait. Elle renonçait à être Ladybug. A jamais.
Marinette se ressaisit et força Chat Noir à s’écarter légèrement. Elle leva une main pour essuyer les joues trempées de larmes du blond. Elle qui s’était promis de ne plus craquer, qui pensait avoir tout donné, avait encore une fois abaissé ses barrières.
Ils devaient avoir fière allure là, en larmes tous les deux. Les imaginer fit pouffer Marinette, qui expliqua par la suite à Chat Noir la raison de son esclaffement. Il sourit aussi.
Et puis, Marinette lui prit la main. De celle qui tenait ses boucles d’oreilles, elle attrapa celle qui portait la bague du Chat.
Un sourire fort et tendre éclairait le visage de son meilleur ami. Elle ne réussit pas à le regarder dans les yeux alors qu’il attendait sûrement une dernière déclaration, un « bien joué », un mot de réconfort ou un adieu.
Elle ne pouvait pas le regarder en face, parce qu’au lieu de lui adresser d’ultimes paroles pleines d’espoirs, Marinette ferma les yeux et prononça :
« Je souhaite... »
Quand elle les rouvrit, elle crut rêver. Comment un tel lieu pouvait-il seulement exister ? Il était si fantastique qu’elle n’aurait jamais pu l’imaginer ; ce fut cela qui lui fit réaliser que tout était bel et bien réel.
La main de Chat Noir trembla dans la sienne mais aucun d’entre eux ne pipa mot. Ils étaient trop occupés à admirer l’étendue galactique qui se déployait à perte de vue, monde infini et magique hors du temps et de l’espace. Lieu de tous les possibles.
Car c’était là que les vœux se réalisaient.
Marinette continua de déposer son regard sur tout ce qui était visible mais il y avait tant à voir et tout bougeait si vite qu’elle avait du mal à saisir exactement ce qu’elle apercevait. Étaient-ce des instants de mondes parfaits ? Des bribes du futur, des siècles passés, de réalités différentes de la leur ?
Elle riva le regard à ses pieds où, elle le constata seulement à cet instant, se trouvait le centre d’un cercle orné de motifs complexes qui s’étirait sur plusieurs mètres. Des flèches pointaient jusqu’au bord du-dit cercle et chaque kwami flottait au-dessus de l’une de celles-ci. Tous leurs petits yeux curieux, amusés, soucieux, surpris, tristes et aigres étaient posés sur eux.
Marinette tourna la tête pour essayer d’englober cette réalité, de se faire une vision d’ensemble… jusqu’à reconnaître Tikki.
Là, son air déçu la ramena de force à l’instant présent, en lui coupant le souffle. Elle détourna aussitôt le regard, comme si ne pas avoir Tikki en visuel pouvait effacer sa présence.
Sans s’en rendre compte, elle serra la main de Chat Noir un peu plus fort. Ce fut en entendant ses boucles d’oreilles tinter au sol suite au mouvement de recul du blond qui la tira de son immobilité. Marinette recula de plusieurs pas et fut surprise de constater que, peu importe où elle se déplaçait, le centre du cercle la suivait. Pas Chat Noir, mais bel et bien elle.
Elle eut l’impression de peser infiniment lourd, comme si le poids du monde reposait sur ses épaules. Marinette assimilait enfin la portée de ce qu’elle allait concrétiser.
« Marinette Dupain-Cheng, quel est votre souhait ? »
La jeune femme sursauta et se retourna vers cette voix qu’elle ne connaissait que trop bien. Tikki la couvait de son regard le plus compatissant, tout en restant formelle et s’appliquant à masquer sa peine. Marinette ne répondit pas sur l’instant, encore soufflée par tant de fantaisie.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Chat Noir, encore sous le choc. Marinette, qu’est-ce qu’il se passe ? »
Il avait répété sa question d’une voix précipitée, signe qu’il ne paniquait pas qu’à moitié. Marinette avait toujours pensé venir ici seule. Elle n’avait jamais imaginé devoir révéler la vérité sur ses réels projets à autrui.
« Est-ce que s’il sort du cercle, il retournera sur la terrasse ? demanda-t-elle en se tournant vers Sass.
– Il sera retiré de toutes les réalités existantes. Je suis navré, mais je crois que tu vas devoir affronter les conséquences de tes actes dès à présent.
– Tu dis cela comme si mon idée était mauvaise.
– Personne ne porte de jugement, intervint Plagg. On a mieux à faire. »
Visiblement, Plagg et Chat Noir pouvaient coexister dans le lieu. Étant donné que Marinette ne pouvait pas éviter son meilleur ami, elle inspira, expira et décida de lui faire face, la tête haute. Ce qu’elle vit dans son attitude la blessa malgré toutes les barrières qu’elle avait dressées autour de son cœur. Il avait l’air furieux et surtout trahi. C’était précisément pour cela qu’elle voulait le tenir éloigné : elle avait parfaitement deviné sa réaction s’il apprenait ce qu’elle projetait de réaliser.
« Marinette… gronda Chat Noir.
– Je suis désolée, Chaton.
– Arrête de t’excuser ! »
Son cri avait claqué comme un fouet dans le silence qui régnait. Marinette se fit violence pour ne pas bouger. Elle ne pouvait plus reculer. Pas si près du but !
« A quoi est-ce que tu penses ?! Je croyais que cette histoire de souhait n’était que de passage, que ce n’était pas ton désir le plus sincère et le plus profond ! Est-ce que tu m’as menti ? »
Sa voix se brisa sur la fin. Marinette, incapable de faire face à la rage qui animait Chat, se contenta de baisser les yeux en silence. Elle n’avait rien à répliquer. Il avait raison de lui en vouloir. Il avait le droit de la blâmer.
« Tu sais mieux que personne à quel point ce pouvoir est puissant ! reprit Chat Noir. Tu as toujours eu conscience qu’il fallait éviter à tout prix d’utiliser un Vœu ! Tu es la mieux placée, en temps que Gardienne, pour savoir ce que cela implique !
– Oui ! clama Marinette. Je suis pleinement consciente de chacun de mes actes. Je sais que c’est la meilleure solution.
– La meilleure solution ? tempêta Chat. Pour qui ?! Tu t’apprêtes à modifier tout notre univers ! Ce n’est la meilleure solution pour personne, Ladybug, à part peut-être pour toi ! »
Sa voix résonna. Marinette tremblait d’indignation. Comment osait-il l’accuser de la sorte alors qu’elle s’apprêtait à effacer l’une des parts les plus importantes de sa vie pour les savoir, lui, sa famille et ses amis, en sécurité ?! Il ne comprenait rien à rien !
« Tu es franchement culotté ! éclata-t-elle à son tour. Je fais ça pour protéger mes proches parce qu’au cas où cela t’ai échappé : je ne suis pas la personne la plus en danger à l’heure actuelle ! Moi, j’ai la chance de pouvoir me défendre mais mes parents et mes amis n’ont pas de Miraculous pour se battre ! Et il est hors de question que je les équipe car ce ne ferait qu’empirer leur situation ! Tu crois que je n’ai pas réfléchi ? Que j’agis sur un coup de tête ?!Une fois que j’aurais confié la Miracle Box a un autre gardien et perdu la mémoire, mes proches subiront toujours les conséquences de la révélation de mon identité ! Je ne le fais pas pour moi, mais pour eux et pour toi ! »
Chat Noir resta un instant béat, surpris par la volonté de fer de Marinette. Elle haleta, le temps de reprendre son souffle.
« Je suis consciente que cela va créer un changement majeur dans nos vies à tous, moi la première, reprit-elle plus calmement. Je suis prête à assumer les conséquences de ce souhait. Chat, est-ce que j’ai déjà pris une mauvaise décision lorsqu’on me confiait une charge aussi importante que celle-ci ? »
Il ne répondit pas. En effet, Ladybug avait toujours su agir en prenant en compte tous les éléments. Sauf que ce choix était d’une toute autre envergure.
Marinette se tenait droite. Elle était convaincue que tout irait et cette confiance en elle et en ses plans dût toucher Chat Noir, car il prit le temps de réfléchir à la prochaine manière de la faire changer d’avis – en sachant parfaitement que ce serait vain : elle irait au bout du processus quoi qu’il en dise.
« S’il te plaît ma Lady, abandonne et rentrons, supplia-t-il alors. Je veillerai à ce qu’aucun mal ne soit fait ni à toi, ni à tes proches lorsque tu auras confié la Miracle Box, si tu souhaites toujours renoncer à ton rôle de super-héroïne...
– Je ne veux pas, Chaton. J’ai pris ma décision, je ne reviendrais pas en arrière. »
Elle lui tourna le dos pour donner sa réponse à Tikki. Plus il ferait durer la conversation et plus elle aurait de mal à se résoudre à le laisser derrière elle.
« Marinette Dupain-Cheng, quel est votre souhait ? répéta Tikki.
– Je souhaite... »
Mais elle ne put pas finir sa phrase. Chat Noir s’était jeté sur elle et avait plaqué les paumes sur sa bouche, l’empêchant de parler.
« Et à Luka ?! Tu as dis à Luka ce que tu comptais faire ?
– Il n’avait pas besoin de le savoir, cracha Marinette quand il la lâcha. Je lui ai dis à quel point je l’aimais, c’était le plus important à mes yeux.
– Tu as répondu à Veritae que ce serait sa perte à lui qui te ferait le plus de mal !
– Parce que tu penses que je n’ai pas mal ?! Que j’agis par gaieté de cœur ? Je suis détruite, Chat ! Détruite parce que mes proches ne peuvent plus vivre normalement ! Détruite car vous êtes tous en danger à cause de mon manque de vigilance ! Détruite parce que plus jamais nos vies ne seront paisibles ! Je souffre d’avoir perdu ce passé et j’ai le pouvoir de changer notre futur, alors laisse-moi parler. Donne moi la chance de vous offrir un monde meilleur ! »
Elle haleta, à bout de souffle. Elle désirait tellement qu’il la comprenne, qu’il aille dans son sens… Mais elle comprit à l’expression sombre de son meilleur ami que c’était raté.
« Pourquoi es-tu si bornée ? feula Chat Noir. Tu tiens tant que cela à nous abandonner ? Qu’est-ce qu’on a fait de mal pour que tu souhaites nous oublier à ce point ? »
Et cette fois, il n’y avait pas de colère dans sa voix. Seulement une peine sans borne à l’idée d’être abandonné ; la crainte de la trahison de la part de celle en qui il croyait le plus. Alors Marinette fit un pas vers lui, aussi légère qu’une plume dans ce monde. Elle déposa une main sur la joue du blond qui s’y laissa tomber.
« Je ne vous oublierai jamais, Chat Noir. Comment le pourrais-je ? Toi, comme tout les gens qui m’entourent, avez fait de moi celle que je suis. Ladybug est importante pour toi, et même si je ne l’incarne plus physiquement, elle est moi. Chaton, je suis Ladybug. Une part d’elle vivra toujours en moi. Jamais je ne te tournerai le dos, et jamais je ne t’abandonnerai. Tu sais, le changement n’a pas que du mauvais… S’il te plaît, laisse-moi nous créer un monde de paix. »
Elle avait buté sur le « nous » mais il ne semblait pas l’avoir remarqué, car au lieu de s’énerver encore, il attrapa son avant-bras et l’attira contre lui. Il l’enlaça avec une tendresse étonnante. Il ne prononça pas un mot, mais Marinette sentit contre son cœur à quel point il l’aimait ; à quel point la voir partir l’effrayait.
Elle-même n’était absolument pas certaine de ce qui changerait une fois sa demande prononcée. Elle était la première à craindre les conséquences en sachant parfaitement qu’elle devrait les assumer car tout serait lié à elle. Quoi qu’il lui en coûte, elle protégerait ceux qui lui étaient chers.
Cette étreinte avait un affreux goût d’au revoir – ou d’adieu.
« Je déteste avoir à te dire ça, mais malgré toutes tes qualités, tu es une idiote, murmura-t-il dans ses cheveux.
– Quoi ?! Pourquoi ? demanda la brune.
– Parce que je sais que tu ne changeras jamais d’avis. Et il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. »
Marinette prit un air faussement offensé et tapa un bras de Chat Noir qui la relâcha. Ils rirent en chœur et cela fit chaud à l’âme de Marinette. Puis ils se turent et restèrent longtemps face à face, à contempler l’autre pour graver dans leurs mémoires ce qui ressemblait à un ultime souvenir.
Marinette avait gagné, Chat Noir ne la retiendrait pas. Elle le savait car tout doucement, son corps se couvrait de brume verte et qu’il n’y avait que de l’amour dans ses yeux.
« J’aurais aimé avoir une rose, dit Chat Noir, mais je vais devoir faire sans. »
Marinette leva les yeux au ciel tandis que le blond mettait un genou à terre. Le sourire sur les lèvres de la jeune femme n’avait de cesse de s’étirer. Le voir agir de la sorte lui donnait la sensation que tout irait toujours bien.
« Je t’aime très fort, ma Lady. Je me languis déjà de te retrouver à la sortie.
– Moi aussi, souffla Marinette.
– Merci d’avoir fait partie de ma vie. »
Et il disparut complètement, son sourire le plus charmeur aux lèvres et les yeux humides des larmes qu’il n’avait pas réussi à contenir. Marinette n’était pas triste, étrangement. Elle était certaine que quoi qu’elle fasse, où qu’elle aille, son fidèle acolyte serait à ses cotés.
Seule restait dans sa main la preuve qu’il avait bien été là : aux boucles d’oreilles de la Coccinelle s’était jointe la bague du Chat Noir.
Alors, pleine de courage et de l’amour que venait de lui donner son meilleur ami, Marinette gonfla le torse et leva la tête vers Tikki, déterminée.
« Marinette Dupain-Cheng, quel est votre souhait ?
– Je souhaite ne jamais avoir été Ladybug. »
« Ton vœu a été exaucé, Marinette. »
Elle se répétait encore et encore cette phrase depuis qu’elle s’était réveillée dans la chambre de son adolescence.
La pièce était sensiblement la même, si on fermait les yeux sur les caisses de tissus et les piles de croquis en vrac. La jeune femme avait du mal à se repérer dans tant de bazar, trop habituée aux rangements de Luka et surtout : à leur appartement. Elle ne se sentait plus chez elle, ici.
Marinette n’avait encore croisé personne depuis son apparition dans sa chambre, trop occupée à trier des caisses de vêtements décousus – et fuir ses parents malgré leurs interpellations. Elle n’osait pas découvrir tout ce que sa décision avait impliqué. Elle redoutait l’instant qui la propulserait dans cette réalité toute neuve.
L’unique fait qu’elle ne se retrouve pas dans son appartement aux cotés de Luka avait suffit à lui fait comprendre que plus rien ne serait jamais pareil.
Elle ne portait aucun Miraculous et le vide à ses oreilles la perturbait. Or, ce qui la surprenait le plus dans tous ces changements était sans aucun doute le fait qu’elle ait conservé toute sa mémoire: elle se rappelait de tout ce qui avait précédé le souhait. Parfois, la jeune femme perdait l’équilibre et fondait en larmes. Mais elle se reprenait vite.
De ce qu’elle avait lu sur des articles de journaux découpés pour elle ne savait quelle raison, le Papillon sévissait ici aussi, et Chat Noir et Ladybug étaient présents pour lutter contre lui. Elle était curieuse de découvrir à quoi ressemblait cette nouvelle héroïne qui, comme elle, avait porté Paris des années durant.
Marinette souleva une caisse pour l’empiler sur une autre déjà à peu près ordonnée, quand elle buta sur son bureau. Avec un glapissement, elle fit tomber le contenu du carton sur le sol et râla en s’asseyant que décidément, rien n’allait jamais.
Elle en profita pour passer distraitement une main à son oreille où l’absence de ses boucles se faisait sentir. Elle soupira.
« Flash info ! »
Marinette sursauta, surprise d’entendre la voix de Nadja Chamack aussi fort et soudainement. Elle se releva et constata qu’elle avait sorti son ordinateur de veille dans sa chute. Elle coupa le son immédiatement, avant de voir qu’il était ouvert sur une page du Ladyblog – qu’elle ne connaissait que trop bien – où s’étalaient en lettres grasses des mots que Marinette pensait ne plus jamais relire.
Et qui lui glacèrent le sang.
« L’identité de Ladybug enfin dévoilée ! »
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