Chapitre 4

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Depuis sa chaloupe ballottée par le ressac, Mathias Ribaud fixait l’horizon couvert de navires réquisitionnés pour l'évacuation de la royale armée britannique. La guerre, le front, il ne les avaient pas vus encore. Soutien de famille avait-il argué aux recruteurs de la souscription. Une mère impotente, qu'allait-elle devenir si son fils unique s'en allait à la guerre ? Qu’ils y aillent tous ces cons mourir au champ d’honneur pour une patrie qui leur jettera à la figure une minable pension et de vagues remerciements. Loin du front, loin du sang, loin même du poste de TSF. Il les a vus partir ses copains pour les terres du nord, si fiers, dans leurs beaux uniformes neufs, pimpants et fiers. Ils lui avaient dit: « Viens avec nous, on va servir la France ! Viens te couvrir de gloire ! »

Mais Mathias les avait laissés partir sans le moindre regret. À quoi sert la gloire quand on est mort ? Où est la fierté quand on est jeté sur les routes, dépenaillés, affamés ? Où ils en étaient à présent, glorieux serviteur de la patrie ? Un sentiment d'amertume le traversa tandis qu'il observait le ballet des navires battant pavillon britannique, de bâtiments de divers tonnages, chaluts, remorqueurs remplis de vies humaines. Son regard s'arrêta sur le grand transatlantique à la cheminée rouge. Derrière son imposante silhouette se profilait la ville de Saint-Nazaire, avec ses beaux hôtels particuliers en front de mer et ses plages romantiques nichées dans des écrins de verdure.

Mathias détacha son attention de cette sarabande marine pour revenir à ses casiers à homards. Indifférents à l'agitation humaine, les crustacés étaient venus se risquer dans ses pièges pour son plus grand bonheur. Il y avait un plateau rocheux au large de Préfailles et Mathias aimait y poser ses casiers. La mer à cet endroit était agitée, mais les prises qu'il faisait méritaient bien ce désagrément. Jamais pêche n'avait été plus fructueuse pour lui depuis que les autres s'étaient enlisés dans cette folie meurtrière.

Un roulement de tambour, soudain, creva le ciel. Mathias leva la tête, une main en visière sur les yeux. Le temps s’arrêta, l’Histoire s’ouvrit. Dans un immense hurlement collectif, les stuka déchirèrent le bleu céruléen du ciel et foncèrent droit vers les navires. Une pluie de bombes incendiaires s'abattit sur eux, déchiquetant la mer. Mathias plongea dans le fond de son embarcation, les mains écrasées sur ses oreilles. Poussant sur le gouvernail de toutes ses forces, il vira de bord si brusquement que la chaloupe empanna. Il manqua de chavirer. Une énorme explosion souffla l'air. Un bruit de fin du monde. Mathias risqua un regard en arrière. Une bombe venait de tomber dans la cheminée du transatlantique, atteignant la salle des machines, et le monstre des mers, éventré, coulait à grande vitesse. Les hommes se jetèrent dans l’eau enflammée pendant que les avions de la Luftwaffe continuaient leur danse macabre. Chaque tête émergeant de l'eau mazoutée était inlassablement mitraillée.

Pestant sur un vent soufflant de travers, sur l'armée qui avait réquisitionné jusqu'à la dernière goutte d'essence, l'obligeant à utiliser la voile, Mathias poussa sa chaloupe loin de ce carnage. « Bordel de merde, j’ai refusé d’aller à la guerre, et c’est la guerre qui vient à moi ! »

Le paquebot s’enfonçait dans une flaque huileuse, sa grande cheminée rouge crachait des cendres humaines… La poupe du RMS Lancastria flotta comme un bouton de liège et puis plus rien… plus rien à la surface de l’eau que les débris du transatlantique, les têtes des soldats happant leurs dernières bolées d’air avant de sombrer vers l'abîme, et les flammes dégageant une fumée à l'odeur âcre de la mort. Mathias vomit. Les cadavres calcinés flottaient sur des nappes de feu, charriés par les courants vers la baie. Et là, parmi les morts… Oh non, ce n'est pas possible ! Mathias vira à nouveau de bord et revint vers les flammes… La fumée noire qui rampait sur les flots lui brûlait les yeux et le faisait suffoquer. Il ne s'était pas trompé, c'était bien un…

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