19a. Mon essence : Matt

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Je me suis enfui de chez Valérie. La situation était devenue insupportable. Je me débats avec des sentiments que je ne connais pas et qui me font peur. Ils me font terriblement mal aussi. J’ai espéré l’impossible pour les gens de mon espèce. D’habitude, ce sont les autres qui ne me résistent pas. Mais avec elle, c’est moi qui ai succombé à la tentation. Aller si loin avec elle était une erreur et je commence à en subir les conséquences.

J’ai vu et entendu sa douleur. Je l’ai ressentie aussi quand elle est venue se joindre à la mienne.

Je l’ai observée un long moment. Ses yeux ne rient plus, son sourire s’est effacé, ses épaules se sont affaissées. Elle souffre, mais elle est bien entourée. Elle s’en remettra. Elle oubliera. Elle m’oubliera. Je l’ai vue coucher ses enfants et s’enfermer à son tour dans une chambre. La sorcière me sentait, elle pointait ses longs doigts vers moi, en signe d’avertissement. J’étais tiraillé entre mon désir de retourner auprès d’elle et celui d’abandonner ma lutte personnelle, de me laisser aller pour oublier la douleur, de mourir, de basculer. Ce serait tellement plus facile puisque je fais mon grand retour à la case départ : aucune place pour moi. J’ai récupéré la moto et roulé comme un fou. Je sentais encore sa présence derrière moi.

Je suis certain d’avoir fait le bon choix, le meilleur des choix, pour elle. Et moi dans tout ça ? Est-ce cela faire le bien ? Cela signifie-t-il toujours devoir souffrir pour épargner les autres ? Dans ce cas, je ne veux plus être quelqu’un de bien !

Sur la route, hormis des malaformes, j’ai croisé un pick-up qui roulait en sens inverse. Il était bondé. J’ai tout de suite compris. Son mari et tous les autres qui déménageaient. Au moins, la maison allait être plus paisible. J’allais pouvoir réfléchir en paix. De nombreuses idées m’ont traversé l’esprit, inspirées par l’abîme où je m’enfonce : et si je tuais ce rival ? Ou mieux, si je le transformais ? Je me suis promis d’y penser…


Je ne suis qu’à l’entrée de ma rue et pourtant des dizaines de créatures sont regroupées dans le champs, derrière le carbet. Elles ont surement commencé à suivre le pick-up qui les a semées à cet endroit. J’exécute un dérapage avec la moto et m’en extrais en attrapant mon épée. De l’autre main, je m'empare de mon revolver et me jette sur les monstres, dans un accès de fureur. Je tranche les bras qui s’agrippent à mon tee-shirt, tire sur ceux qui approchent, en transperce certains, en décapite d’autres… Je suis un dhampire, je suis plus fort qu’eux tous réunis ! Même si je suis seul, que je me trompe et que j’en meure, quelle importance ça peut avoir ? Qui pleurera ma mort ? Ma frénésie prend fin quand ils sont tous à terre, anéantis. Je me retourne, il doit bien en rester un ou deux ! Non, je les ai tous tués, mais cela ne suffit pas à apaiser ma rage. L'énergie qu'elle me procure fait bouillonner mon sang, demande à en vider les autres et en fait une idée fixe.

Mon frère et ma sœur me regardent, stupéfaits. Ils ont entendu les coups de feu, c’est sûr. Ils vont me faire subir un interrogatoire et je n'ai pas envie de répondre à leurs questions. Les « on te l’avait bien dit » vont fuser, et je me moque de leurs remontrances. Je n’ai gout à rien. J’ai juste besoin de sang pour remplacer mon essence, son essence, l’essence que j’ai perdue. Il me faut du sang à boire, à faire couler. J’éprouve même le désir de me vider du mien. Mais si je passe à l’acte, ce sera en comité restreint, seul avec moi-même.

Je remonte sur la moto et tente de la redémarrer, en vain. Jonathan et Carole m’observent toujours, sans mot dire. Puis je remarque une flaque de carburant à mes pieds. La machine a perdu elle aussi son essence, quelle ironie ! Je quitte mon véhicule, m’en éloigne légèrement et craque une allumette que j’envoie à côté de la roue.

Quand l’explosion retentit, je suis déjà loin. Je pars à la recherche de sang frais.


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