7b. L'espoir : Clément

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On se réunit tous au pied du muret de séparation de la deux fois deux voies. Une personne est bien assise devant son volant, la tête en arrière. Elle a l’air gravement blessée. Est-elle seulement encore vivante ? On aperçoit du sang. Encore !

— Papa ! On doit l’aider !

Richard suit son fils qui escalade déjà le mur de béton. Le reste du groupe les imite. Je passe en dernier pour assurer la sécurité des enfants. Ça a l’air calme, mais on ne sait jamais. Mieux vaut rester prudent…

Quand je les rejoins près de la Mercedes grise, je constate qu’il s’agit d’une femme. Une blonde. Très pale. Elle dort. Ou elle est morte. Richard lui secoue doucement le bras. Aucune réaction. Il se penche avec méfiance au-dessus d’elle pour tâter son pouls et évaluer l’étendue de ses blessures.

— C’est bizarre, aucune plaie pour expliquer tout ce sang séché, constate-t-il à haute voix, avant de chercher le pouls de la femme.

Elle se redresse soudain et l’agrippe par les cheveux, le regard et la bouche grande ouverte dirigés vers sa gorge. Elle grogne ! Il hurle !

— Débarrassez-moi de ça ! Vite !

Les enfants crient aussi, ils ont reculé sous l’effet de la surprise et de la peur.

Bob tire Richard en arrière, par les épaules. Notre ami se débat avec la blonde qui lui a attrapé une oreille.

Je frappe sa tête de toutes mes forces avec ma clé. Le sang gicle mais elle persiste à vouloir mordre Richard, hystérique. Ses bruits de gorge se font de plus en plus nombreux, de plus en plus forts. C’est comme si elle ne sentait pas mes coups ! Mes mouvements sont restreints, je manque d’espace. J’ouvre la portière arrière et cogne avec plus de puissance. Alors que l'hémoglobine gicle sur moi, les os du crâne apparaissent ! La furie s'obstine toujours ! Je m'acharne, aveuglé par la substance écarlate, ahuri par le vacarme et l'horreur qui m'entourent.

— Dans ma poche ! Le couteau ! crie notre collègue, pris au piège.

— Repousse-la ! hurlé-je à mon tour.

—Trop forte !

Mickaël s’est rapproché. Il saisit l’arme avec habileté, pousse Bob et transperce la tête de la créature. Le bruit est aussi horrible que ceux de mon outil qui rebondit sur la tête défoncée. Je continue, sans ralentir le rythme. En vain.

Le garçon observe la scène sans bouger, en état de choc, le couteau ensanglanté dans la main.

Tom récupère l’arme, se faufile entre le père et le fils et poignarde la femme en pleine poitrine. Les grognements cessent tandis que l’ado recule, pas à pas. Épuisé, haletant, je cesse enfin de frapper et regarde Bob basculer en arrière, toujours agrippé à Richard, entrainé dans la chute. Ils se relèvent, à bout de souffle. Mickaël s'agenouille et rend le peu qu’il a mangé, immédiatement suivi par mon ainé.

Nos vêtements sont couverts de tâches rouges, les mêmes qui se mêlent à notre sueur et dégoulinent sur nos visages. J'explose quand mes yeux se posent sur les joues tachées des adolescents :

— On n’aide plus personne !

— On ne peut pas réagir comme ça, Clem. On est des humains, et en tant que tels on porte secours à nos semblables. On devra être plus prudents, c’est tout, affirme Richard, encore chancelant.

— On pourrait en discuter ailleurs, s’il vous plait ? demande mon fils Jess.

Son teint anormalement pale me compresse le cœur. Ses tremblements ne l’empêchent pas de porter dans ses bras son petit frère en larmes.

— On va faire une pause dans les bois, grogné-je en me dirigeant vers les arbres. On en profitera pour faire un point sur ce qu’il vient de se passer.

On franchit le muret en sens inverse, on se faufile entre les voitures et on enjambe à nouveau la balustrade.

Je ne décolère pas. Je savais qu'il était trop risqué de retourner sur la route, et pourtant je n'ai pas été assez prudent !

— On se rapproche encore de l’aéroport et on s’y arrête pour décider de la marche à suivre, propose Richard, malgré ses traits tirés.

J'en ai assez. L'adrénaline court toujours dans mes veines. Il nous faut prendre le taureau par les cornes et en finir :

— On doit continuer sur la route. On a encore besoin d’eau, de nourriture et d’armes. Et d’un moyen de locomotion ! Il nous faut trouver aussi de quoi nous éclairer. L'heure tourne et l’obscurité tombe vite !

— Tu as vu ce qu’il s’est passé sur la route ! C’est trop dangereux ! s'écrie Bob, affolé.

— On ne s’approchera plus de personne. Si des gens ont besoin d’aide, ils devront être en état de parler …

— Et s’ils sont trop blessés pour parler ? insiste Richard.

— Ça voudra dire qu’il est déjà trop tard pour eux. Nous avant ! Ce qu’on vient de vivre nous le prouve : on n’a pas le droit à l’erreur ! Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour eux de toute façon ? On a nos enfants à porter, on est tous à bout de force et on n’est même pas sûrs de voir le bout de toute cette merde ! Comment pourrait-on aider des gens estropiés, sans doute amorphes ? On n’est même pas à l’abri nous même !

— Ce n’est pas faut… concède-t-il.

— J’ai peur, papa, avoue mon cadet. Pas de police, pas d’ambulance, cette femme immonde…

— Les enfants, vous allez devoir être encore courageux. On est toujours trop loin de chez nous pour espérer rentrer ce soir.

La voix morne de Bob nous interpelle alors qu’il se tient la tête des deux mains :

— Plus j’avançais entre les voitures, plus je flippais. Elles étaient toutes vides ! Personne n’était assis au volant, il n’y avait pas de passagers. J’ai pensé que les gens étaient partis voir s’ils pouvaient aider, après l’explosion. Mais avec les moteurs qui tournaient encore, c’était l’angoisse. J’ai quand même continué, pour trouver des explications. J’ai été soulagé quand j’ai vu un groupe qui venait vers moi. Mais quand je les ai vus… (Il ferme les yeux quelques secondes et grimace). C’étaient encore ces espèces de zombies ! J’ai couru aussi vite que je pouvais jusqu’à vous jusqu’à ce que je découvre l’horreur.

Je fais discrètement signe aux enfants de s’écarter un peu. Ils n'ont pas besoin d'entendre ça.

— Deux créatures étaient en train de déchiqueter un cou, sur un corps inerte. Il y avait du sang partout ! Je n’ai pas fait de bruit mais l’un d’eux s’est tourné vers moi et s’est relevé pour venir dans ma direction, aussitôt suivi par son pote. Je me suis remis à courir jusqu’à vous Je n’arrivais pas à vous expliquer ça. C’était une boucherie. J’étais sous le choc, je ne pouvais plus parler.

Rick et moi n’ajoutons rien. Que dire ? Bob a réussi à partager sa sombre expérience. Ça va le libérer, même si ça ne suffira pas à effacer les images. Elles vont le hanter longtemps. Comme nous tous.

Les enfants reviennent près de nous, inquiets de voir des larmes sur les joues de notre ami. Le meilleur moyen de l’aider pour l’instant, c’est de se secouer :

— Si on trouve le début du bouchon, ainsi qu’un véhicule, on pourra être à la maison ce soir. Au pire des cas, on doit trouver un refuge. On a besoin de dormir pour reprendre des forces.

— L’aéroport ! Il n’est plus très loin, dit Mickaël avec conviction. On se dépêche avant que la nuit ne tombe ! Là-bas on pourra se réfugier ou obtenir de l’aide.

— On devrait rester ici pour la nuit, conteste Richard, épuisé. Les enfants ont besoin de se reposer. La journée a été très éprouvante pour nous, alors pour eux…

Bob se range à son point de vue :

— Bonne idée. On est obligés de porter les petits et ça nous ralentit. Alors quitte à perdre du temps, autant en profiter pour récupérer un peu de forces. On va se relayer pour monter la garde. Si quelque chose approche, on entendra le bruit des feuilles mortes et des brindilles sèches. Mais dès le lever du soleil, direction l’aéroport, ok ?

J'aurais préféré me rapprocher encore un peu, mais leurs visages affichent tant de soulagement que je n'ajoute rien. La décision est prise.

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