9b. Le retour : Clément

7 minutes de lecture

Mickael tend un morceau de papier à son père, le sourire jusqu’aux oreilles, la larme à l’œil.

— Elles sont en vie ! éclate le jeune homme avant de serrer son frère dans ses bras. Elles sont venues ici ! Elles nous disent où elles se cachent !

Richard pleure, ses deux fils aussi, c’est une excellente nouvelle. On exprime tous notre joie, à grand renfort d’accolades. Quel soulagement !

Le mot passe de main en main. Val explique qu’elles vont toutes bien et qu’elles sont hébergées ensembles chez les neveux du Boss. L’adresse suit, mais aucun de nous n’a connaissance de l’endroit, pourtant situé dans la même ville que Bob.

Richard nous invite à nous servir dans le frigo et les placards pendant que ses enfants et lui se douchent.

Je salive déjà à l’idée d’une bonne bière bien fraîche. Tiens, la lumière ne s’allume pas, l’ampoule a du griller. Les bouteilles de Caribe sont là, à portée de ma main. Chaudes. Elles sont pourtant là depuis samedi, au minimum. L’odeur m’assaille, envahit ma bouche, serre mon cou, m’étrangle. La puanteur. La pourriture. Mes yeux se posent sur un rôti complètement avarié. C’est infect ! Je claque la porte du réfrigérateur et rencontre mon ami quand je me redresse et cours vomir sur les graviers. Richard est déjà là ? Il ne s’est même pas changé !

— Coupure d’eau, confie-t-il alors qu’il grimace à son tour. C’est quoi cette odeur ?

— Coupure d’électricité aussi. Il va falloir vider ton frigo… Le congel aussi, l'informé-je encore nauséeux.

Ça n'a rien de rassurant. Bob ose poser la question qui nous brûle les lèvres :

— Vous croyez que toute l’île est concernée ?

— J’en ai bien peur vu ce qui traîne dehors, confirme Sandrine, dépitée, les mains appuyée sur le comptoir de la cuisine.

L'esprit vif de Richard nous donne un léger regain d'énergie :

— On a au moins l’eau de la piscine pour se laver. On va vous passer des vêtements propres. Ensuite, on filera chez vous deux pour voir si vos femmes ont laissé plus d’indices. On aura peut-être la chance de croiser des gens vivants qui connaissent cette adresse.

— Papa, ça ne sert à rien de se précipiter, affirme Mickaël. On sait qu'elles sont à l'abri, on a même l'adresse. On ferait mieux de rester ici et de réfléchir au moyen le moins risqué de les retrouver. Ça nous permettra aussi de reprendre des forces.

Il est épuisé. On l'est tous. Pourtant, je conserve espoir et hâte. Je suis persuadé qu'on ne doit pas en rester là et qu'on doit encore creuser pour dénicher d’autres indications :

— On va commencer par se laver et détendre nos muscles dans la piscine. Après, on suivra notre plan d'origine. On ira chez moi, puis chez Bob. On sait qu'elles vont bien, mais elles ignorent où on est. Elles doivent donc se mettre en péril, de leur côté.

Kimani s’est réveillé. La température a baissé, son teint a retrouvé un peu d’éclat, mais il reste faible. Je le transporte sur le canapé, Tandis que Tom me suit avec une bassine d’eau et une serviette. Je tamponne le visage de l’enfant, étale la crasse plus que je ne parviens à l’enlever, et le rafraichit légèrement par la même occasion. Joël lui propose un verre d’eau, dans lequel il n’avale qu’une petite gorgée avant de me promettre de boire en plusieurs fois.

Malgré notre état de fatigue avancé et notre sourde inquiétude, notre bain se transforme en pure moment de détente. On saute, on s’éclabousse, comme si tout allait bien. Comme si nos femmes étaient juste sorties entre filles. On en avait besoin, voilà tout. Le malade, tenté par nos cris, s’approche du bac, dénude ses pieds et s’assied sur le bord.

Les créatures nous ramènent à la réalité quand on les entend grogner dans la rue. Nos rires les ont les attirées.

— On ne pourra pas reprendre la route, ils sont trop nombreux à nous attendre en bas, affirme Sandrine, aux aguets.

— La voie principale n’est pas loin. On passera par les jardins voisins, rétorqué-je, déterminé.

— Et les voitures ? On ne va pas repartir à pied ! On habite trop loin pour ça et les enfants n’auront pas la force de marcher encore. Nous non plus, s'énerve Bob.

J'insiste, tranchant :

— Il y a des voitures abandonnées partout. On en trouvera.

Il reste sceptique :

— On est en sécurité ici, ils ne peuvent pas entrer. On pourrait dormir. Ou se séparer. Un groupe reste ici avec les enfants pendant que les autres vont chez toi, Clem. Pense à ton fils ! Après, on échangera et on ira chez moi.

L’idée mérite réflexion. Sandrine propose de nous préparer quelque chose à manger puisque les placards sont pleins et qu’on a du gaz.

Comme c’est bon de s’asseoir autour d’une table pour partager un bon repas ! Kimani, quelque peu ravigoté, tend son assiette sans se faire prier et dévore son contenu avant qu’on ne soit tous servis.

Je dois les convaincre de me suivre. Seul, je ne m'en sortirai pas.

— On ne se séparera pas, mais on ne marchera pas. On trouvera des voitures.

— Je suis d’accord avec Bob pour dormir un peu. Il fait nuit, de toute façon. On monte la garde deux par deux et on se relaie, conclue Richard. On dit que la nuit porte conseil. Elle nous apprendra peut être où sont nos femmes.

— Je ne sais pas vous, mais j’ai l’impression que tout va s’arranger, s'exclame alors Joël, des pâtes plein la bouche et revigoré à l'idée d'un bon lit.

Nos ventres pleins et la perspective d'un sommeil réparateur nous redonnent courage et espoir, c’est vrai. Même si une dure journée nous attend encore.

J’entends des voix. Ce sont les enfants, mes deux grands, ceux de Rick et la fille de Sandrine qui discutent dans la chambre. Les petits dorment sur un matelas au-dessus, sur la mezzanine. De quoi peuvent-ils bien parler. Je suis curieux de connaitre leurs sentiments, à quel point ils sont terrifiés… C’est mal d’écouter aux portes, je m’inquiète pour eux et comme on dit, la faim justifie les moyens.

— Tom, toi qui souhaite devenir militaire, qu’est-ce que tu penses de la situation ? Que peut-on faire pour aider nos pères ?

C'est la voix de Mickaël.

— Ils nous protègent, à nous de protéger les plus jeunes. On doit trouver de meilleures armes pour se défendre face aux traqueurs.

— Quelqu’un a une idée de la manière dont on devient un de ses trucs ? demande Joël.

— Je pense qu’ils nous injectent un virus ou qu’ils nous contaminent quand ils nous mordent, répond mon grand garçon.

Il a une sacré imagination ! Je souris. Ah, la fille de Sandrine intervient :

— D’après ma mère, ce n’est pas une maladie mais quelque chose que je ne saurai pas vous expliquer. Tout ce que je peux en dire, c’est qu’on ne doit surtout pas leur permettre de nous attraper.

— On a affaire à des zombies ? se récrie Jess, incrédule.

— Oh les gars, vous avez trop joué aux jeux vidéo et maté trop de films ! Ça n’existe pas, rouspète la jeune fille.

Par le trou de la serrure, je la vois lever les yeux au ciel et écarter les bras en signe d'abandon.

— Jusqu’à aujourd’hui, tu croyais que de tels monstres existaient ? grogne Tom.

Le regard qu'il pose sur Samantha est dur, défiant. Elle baisse la tête.

— Fait chier ! Je n’ai pas envie de mourir, et je ne veux pas voir de gens mourir ! se lamente le cadet de Richard.

Ses réflexions me laissent pensifs. Si nous avons la chance de nous en sortir, et surtout si nos vies redeviennent normales, tous les ados comme eux seront complètement différents. Ils ne râleront plus pour rien, ils apprécieront l’école, ils participeront aux réunions familiales sans rechigner. Ils accepteront que tout ne leur soit pas servit sur un plateau d’argent. Maintenant que notre univers est limité, ils vont se rendre conscience de la valeur de la vie, de la chance qu’on a de pouvoir encore respirer. Joël est en admiration devant son frère et ses amis qui ont réagi quand Richard s’est fait attaquer par cette femme immonde. Ils n’ont pensé qu’à le sauver. Il s’en veut d’être resté en retrait, immobilisé par l’effroi. Ils restent silencieux et baissent la tête tandis que des sanglots étouffés jaillissent de sa bouche. Son visage est baigné de larmes, et la violence de sa frustration le force à respirer avec difficultés. Il parvient à reprendre son souffle et murmure, entre deux hoquets :

— Je ne supporte plus cette terreur permanente. Tout ce sang, ça m’oppresse. Où est ma mère ? Et ma petite sœur ? Je prie pour qu’elles ne soient pas devenues comme ces créatures. Si c’est le cas, j’espère ne jamais les croiser, car je ne veux pas que l’un d’entre nous ait à les tuer.

Ça me brise le cœur. Dois-je intervenir ?

J’espère qu’on ne subira pas de telles pertes, qu’on ne sera pas confronté à de telles décisions, à de tels actes.

— Tu devrais parler à ton père, dit Samantha, rompant ainsi le silence. Ça te soulagerait et ça vous ferait du bien de passer un moment ensemble. On devrait même tous faire pareil. Ils ont besoin de savoir qu’on les soutiens, qu’on les comprends, ils sont épuisés et je suis certain que leurs sentiments ne valent pas mieux que les nôtres. On fait ça demain, ok ?

— Et moi, je propose qu’on parte dès maintenant à la recherche de nouvelles armes, ajoute Tom avant de se lever.

C’est bien, ils vont lui changer les idées, à Joël. Ils sont soudés. Ils vont sortir, je dois me cacher. Accroupis derrière un bain de soleil, je les regarde marcher jusqu’à la remise, en file indienne. Ils ne font aucun bruit, pourtant, les traqueurs agglutinés en bas les sentent car ils s’agitent à leur approche.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ysabel Floake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0