Chapitre 2
Dans cette société tellicratique, tout le monde passait un test de QI à vingt-et-un ans. Et tous aspiraient à être Lukas Hercerg, 162 de QI, le plus élevé de toutes les populations confondues. Ça semblait inatteignable, quand même, 162, ce n’est pas rien, mais au fond, dans le plus profond de l’être, les jeunes se pensaient suffisamment différents pour le surpasser. Il n’en était rien, Hercerg était à la tête du pays depuis dix ans.
La tellicratie, un bien joli terme pour définir une société basée sur le QI. Le plus élevé se retrouvait président, les Hauts Potentiels occupaient des postes gouvernementaux et les moins favorisés finissaient sans activité professionnelle.
Line était un brin supérieure à la moyenne, ce n’était pas mal, mais pas assez extraordinaire pour Vas. Ah, Vas… Il aurait pu battre Hercerg si on lui avait laissé l’occasion, mais on ne lui avait pas laissé le choix, contraint au silence par la censure. Pas de test de QI pour lui, seulement pour Line. Et Line n’avait qu’un QI de 114.
Avec 114 de QI, elle pouvait faire partie de la catégorie socioprofessionnelle des artisans, commerçants et chefs d'entreprise. Un large choix s’offrait à elle et elle avait décidé d’être libraire. Peut-être à cause de son amour pour les livres. Elle en était heureuse, car c’était son rêve depuis toujours. Mais Vas, lui, la haïssait pour lui faire subir un tel échec. À cause d’elle, Lukas Hercerg resterait président. Non pas qu’il se comportait comme un tyran redouté, mais par pur ego, Vas aurait aimé le remplacer.
À la librairie, elle avait rencontré un libraire et une vendeuse plutôt gentils et soucieux, qui lui avaient expliqué les joies du métier.
— Tu vois, c’est ici qu’on range les romans de fantasy, expliqua l’homme.
Pendant que Line l’écoutait à moitié, elle se disait qu’il était plutôt bel homme malgré la différence d’âge. Bon, dix ans de différence, ça gênait tant que ça ? Non, elle n’imaginait rien de romantique avec lui, simplement qu’il était agréable à regarder. La vendeuse aussi était jolie, même trop, au point de susciter sa jalousie avec son teint éclatant. Quelle crème hydratante utilisait-elle ? En tout cas, Line était comblée par son futur entourage.
Se voyait-elle finir sa vie dans cette bâtisse au bois couleur rouille, avec des tables qui tranchaient l’espace, des piles de livres dispersées ici et là ? Les fenêtres à peine assez grandes pour éclairer l’endroit, car il ne fallait pas abîmer les précieux ouvrages avec trop de lumière. Les étagères si remplies qu’elles semblaient disparaître. Un parquet ancien qui valait probablement une fortune. Le tout formait une pièce où l’on pouvait se voir vieillir au fur et à mesure qu’on se cultivait. Mais de là à y mourir… Line n’était pas certaine d’apprécier ce destin.
Après tout, si la politique en avait décidé ainsi, c’était qu’il y avait une raison. Qu’espérait-elle ? Être ministre ? Non. Libraire était un métier charmant qui lui correspondait parfaitement. Mais si, à un moment donné, elle pensait que devenir libraire changerait sa vie, elle aurait ri.
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