Indiscrets- Partie 1
Pénélope et Cassius restèrent tous les deux sans voix devant l’éblouissant spectacle qu’offrait le cœur de la fourmilière. Le tunnel qu’ils avaient emprunté débouchait sur une grotte gigantesque. Les parois de la caverne s’élevaient à plusieurs dizaines de mètres au-dessus d’eux, et en se penchant prudemment ils virent qu’elles descendaient également très loin en dessous d’eux. Les murailles étaient percées de centaines de trous semblables à celui dans lequel ils se trouvaient, et de chacun de ces tunnels partait une concrétion reliant le mur à une monumentale colonne centrale. Des torches disposées tout autour de la salle reflétaient leur chaude lumière sur ces innombrables passerelles, projetant des étincelles dorées dans toutes les directions.
« - Il faut continuer vers le centre de la caverne, avisa Cassius après avoir consulté sa boussole.
- Qu’est-ce qu’on fait pour les fourmis ?
- On a réussi à leur échapper tout à l’heure. Elles sont parties complètement à l’opposé de nous.
- Et combien de temps ça va leur prendre pour nous retrouver ? Je ne suis pas une experte des mir… mirma…
- Myrmekes.
- … des myrmekes comme toi, mais ça m’étonnerait qu’elles nous oublient.
- C’est pour ça que je voudrais trouver le portail rapidement, dit le jeune homme en pointant devant lui.
- Et moi je préférerais d’abord bloquer la horde d’insectes géants qui nous poursuit, répliqua Pénélope en pointant derrière elle.
- D’accord, qu’est-ce que tu proposes ?
- Éclaire-moi s’il te plaît. J’ai cru voir, quand on est passés… Là ! »
Cassius s’était approché pour regarder la pierre qui dépassait du plafond que son amie lui montrait.
« - D’accord, et ?
- Tu vas voir. Penche-toi un peu, que je grimpe sur tes épaules. »
Il s’exécuta et la souleva sans problèmes, tandis qu’elle lissait sa jupe pour la plaquer derrière la nuque du jeune homme et pas devant son visage. Puis elle agita son pied droit en demandant :
« - Passe-moi ma chaussure s’il te plaît. »
Cassius serra ses bras sur les jambes de son amie pour ne pas qu’elle bascule et défit les lacets de la bottine avant de la lui tendre.
« - Tu veux taper la pierre avec ta chaussure ? Tu vas la flinguer !
- Les talons sont renforcés. J’ai déjà écrabouillé pas mal de pieds de mecs lourds dans le métro avec ça, tu sais. Et puis c’est pas la pierre que je vais taper, c’est tout autour.
- Pourquoi ?
- Tu as déjà creusé des tunnels dans le sable à la plage ? Dès que tu vas un peu loin, si tu mets rien pour soutenir, tout se casse la gueule. Cette pierre à l’air vachement grosse. Je parie qu’elle maintient une bonne quantité de terre. Si j’arrive à la déloger, je suis sûre que tout le plafond va s’effondrer et boucher le tunnel.
- Avec nous en dessous ? s’inquiéta Cassius.
- Pas si on s’écarte à temps. »
Elle creusa aussi vite que possible, et quelques minutes plus tard, elle vit la pierre glisser de plusieurs centimètres. Un nuage de poussière la fit tousser. En sentant une grosse quantité de terre tomber sur ses épaules, Cassius recula à toute vitesse. À peine quelques secondes plus tard, l’énorme rocher s’abattit sur le sol, entraînant une partie du plafond avec lui, dans une avalanche au grondement assourdissant.
Quand la poussière retomba, et quand leur quinte de toux se calma, ils constatèrent que le plan de Pénélope était parfaitement exécuté. Le tunnel était totalement obstrué par la terre.
« - Je ne pensais pas que ça ferait autant de bruit, reconnut-elle en parlant plus fort qu’à l’accoutumée. Toi aussi tu as les oreilles qui sifflent ? »
Son ami acquiesça et ouvrit la bouche dans une grimace cartoonesque.
« - Ça passe un peu si tu détends ta mâchoire. Mais les sons sont toujours un peu étouffés.
- J’espère que tout ce boucan ne va pas attirer les fourmis sur nous. J’ai fait l’inverse de ce que je voulais.
- Au contraire, c’était une bonne idée. Même si elles viennent ici, elles ne pourront pas passer. Elles vont perdre un temps fou à faire demi-tour et chercher un autre passage. Et je pense qu’on n’est plus très loin du portail. On devrait avoir le temps de le trouver avant qu’elles reviennent. »
Ils s’accordèrent quelques secondes pour reprendre leur souffle, calmer leur rythme cardiaque et maîtriser leurs membres tremblants. Puis ils s’engagèrent prudemment sur un pont étroit, mesurant chaque pas pour ne pas basculer dans l’abîme, dont ils ne distinguaient pas le fond malgré la luminosité ambiante. Parvenue à une immense plateforme entourant le pilier principal, Pénélope put enfin admirer à loisir le décor autour d’elle sans craindre de tomber. Elle leva la tête sur l’entrelacs de poutres naturelles, qui lui rappelait à la fois une toile d’araignée de parc de jeux sur laquelle elle jouait quand elle était enfant et les châteaux rudimentaires que l’on érige en laissant le sable mouillé couler de ses doigts. Intriguée par la couleur jaune et le brillant de la pierre sous ses pieds, elle s’accroupit et gratta le sol. Alors qu’elle pensait soulever un mélange de terre et de poussière d’or, elle constata que le terrain était compact et que ses ongles laissaient des rayures sur le sol. Ce qu’ils avaient sous les pieds était de l’or à l’état pur.
Prise de vertige à cette idée, elle se laissa tomber par terre. Elle laissa ses yeux vagabonder au hasard, tandis que ses doigts caressaient le métal froid, puis elle finit par croiser le regard de Cassius. Elle déglutit difficilement et chercha ses mots quelques instants.
« - J’ai un peu honte de moi, tu sais ? Grâce à toi, je découvre tout un univers magique, et tout ce que j’ai en tête en ce moment c’est... »
Elle laissa sa phrase en suspens tandis qu’elle serrait une petite pépite dans sa main. Son ami écarquilla les yeux et lui demanda :
« - Tu te fous de moi ? De quoi tu devrais avoir honte ? J’ai toujours connu mes parents plus acharnés que des abeilles, à se crever le cul au travail presque tous les jours de la semaine, alors juge-moi si tu veux, mais tu m’empêcheras pas de ramasser tout ce que je peux avant de rentrer. »
Sur ces mots, il croisa les bras et ôta son t-shirt. Avec un large sourire, la jeune femme lui demanda :
« - Je peux savoir ce que tu fais ?
- Tu crois que je vais pouvoir en mettre beaucoup dans mes poches de jean ? Je me fais un sac. N’hésite pas, profites-en pour te rincer l’œil !
- Frimeur ! Mais tu as eu une bonne idée. Tourne-toi, pour que je puisse faire comme toi.
- C’est pas juste, pourquoi toi tu aurais le droit de mater et pas moi ? »
Il avait dit cela pour la taquiner et s’apprêtait à se détourner, mais son amie répondit à la provocation en enlevant son t-shirt à son tour. Elle n’avait pas l’habitude de faire preuve d’autant d’audace, ni d’être aussi directe, mais elle se sentait en confiance avec Cassius. Néanmoins, elle sentit ses joues s’enflammer et cela lui demanda un formidable effort de concentration de se composer une assurance de façade. Voyant que son ami restait bouche bée, elle leva les sourcils et lui adressa un sourire et un regard entendu avant de repasser son sweat sur ses épaules.
« - Tu sais quoi ?, demanda le jeune homme en se secouant. Je n’ai jamais autant détesté tes hoodies qu’en ce moment. »
Pénélope ne répondit pas, se contentant de replacer ses cheveux derrière son oreille avec un nouveau sourire. Ils nouèrent le fond de leurs t-shirts et s’empressèrent de les remplir avec tous les cailloux qu’ils avaient à portée de main. Juste avant de refermer sa besace rudimentaire, la jeune femme ramassa une énorme pépite qu’elle avait du mal à porter d’une seule main. N’ayant plus de place dans son sac, elle la fourra dans la poche ventrale de son hoodie. Les deux mains dans les poches, elle s’amusa à faire rebondir son pactole. Cassius la regarda faire en riant quelques instants, avant que son regard ne soit attiré par quelque chose qui leur avait échappé jusque-là.
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