Complet - Partie 5
Cassius ne répondit pas et se précipita dans la boutique, qui s'était désemplie de moitié en son absence. Les clients encore présents s'étaient réunis autour de la mère des deux enfants, qui les tenait dans ses bras. Elle le pointa du doigt quand il s'approcha d'elle.
« - Vous ! C'est vraiment inadmissible !
- Que se passe-t-il madame ? Je peux faire quelque chose pour vous ?
- Vous en avez déjà assez fait, railla-t-elle. Vous devriez avoir honte de vous.
- Madame, si vous m'expliquiez...
- Regardez. Non mais regardez, dit-elle en montrant un téléphone à toute l'assistance. Regardez ce que ce voyou a montré à mes pauvres enfants ! »
Cassius reconnut son propre téléphone et le lui arracha des mains.
« - Où est-ce que vous l'avez eu ?
- Mes enfants l'ont trouvé, et ils ont vu votre... votre pornographie ! »
Quelques clients échangèrent des murmures et lancèrent des regards hostiles à Cassius, tandis que la mère serrait ses enfants contre elle en secouant la tête. Le jeune homme, ne comprenant pas de quoi elle parlait, alluma son appareil. Une image occupa immédiatement tout l'écran. Il reconnut le pyjama de Pénélope. Mais elle avait pris une deuxième photo dans sa salle de bain. Debout devant son miroir, elle avait ouvert sa combinaison en grand, dévoilant son ventre et la naissance de son bassin, ainsi que sa poitrine qui n'était plus qu'à moitié cachée par les pans de son pyjama. Heureusement, elle avait dissimulé son visage derrière la capuche de sa combinaison, si bien que seul Cassius pouvait l'identifier.
Une honte juvénile s'empara du jeune homme. Il avait l'impression d'avoir été surpris par sa mère à consulter des sites pour adultes. Il ressentit également une grande gêne pour Pénélope, qui se retrouvait exposée par sa faute au regard de tous ces gens. Il s'apprêtait à se confondre en excuses devant ses clients, quand il croisa le regard dédaigneux de son accusatrice. Il sentit alors une colère sourde tendre tout son corps et le sang battre dans ses oreilles. Il explosa :
« - Vous êtes sérieuse, là ? Non mais, vous vous prenez pour qui ? Quand on est pas foutu de surveiller ses gamins deux secondes, on se permet pas de l'ouvrir sur la vertu des autres ! Ils ont fait chier tout le monde toute la soirée sans que vous disiez rien, et maintenant ils me prennent mon portable et vous avez encore le culot de m'accuser ? »
La femme tenta de répliquer, mais Cassius ne lui en laissa pas l'occasion.
« - Mon téléphone était rangé dans ma poche. Ils ne l'ont pas trouvé, ils me l'ont volé ! Et vous osez dire que c'est moi qui leur ait montré cette image ? Et cette photo qui vous choque autant, d'ailleurs, elle ne regarde que moi. Ce que je fais de mon temps libre, ça ne regarde personne ici. Est-ce que quelqu'un m'a vu consulter mon téléphone sur mon temps de travail ? Personne ? »
Cassius interrogea l'assitance d'un regard circulaire, mais personne ne répondit. Il hésita une seconde à motiver un peu plus son argumentaire en expliquant qu'il ne reluquait pas des photos de femmes anonymes sur internet, et qu'il n'y avait rien de honteux à échanger ce genre d'images avec sa petite amie. Mais Pénélope fréquentait la laverie. Et il ne voulait pas que quiconque puisse se remémorer cette photo en la croisant ou en pensant à elle.
« - Maintenant, si mon attitude vous déplaît, je vous rappelle qu'on n'est ni une garderie ni un bistrot. C'est une laverie ici. Et quand vous avez eu largement le temps de laver votre linge, vous pouvez très bien rentrer chez vous. Si vous voulez vous plaindre de mon travail, les coordonnées du patron sont notées sur l'étiquette là-bas, » dit-il en indiquant son comptoir par dessus son épaule.
La clochette de la porte sonna à ce moment-là. Un policier en uniforme s'avança dans la boutique. Cassius jeta un regard furtif vers la porte de la réserve, espérant que le kapré ne fasse pas soudain irruption. Il s'efforça de reprendre un ton plus avenant pour demander à l'agent :
« - Je peux vous aider ?
- On nous a signalé une altercation un peu plus tôt dans la soirée, et en passant devant votre boutique, j'ai entendu des éclats de voix.
- Tout est arrangé, assura le jeune employé. Nous avons cru qu'un téléphone avait été volé, et certains ont porté des accusations un peu rapides, mais nous avons fini par démêler l'histoire. Heureusement qu'on s'est expliqué. J'imagine que vous avez autre chose à faire que de prendre une plainte pour diffamation. »
Il échangea un regard avec la mère des enfants. Elle hocha presque imperceptiblement la tête et garda le silence. Le policier jaugea l'atmophère pesante un instant. Il balaya la salle du regard, avant de le fixer sur Cassius. Il reprit :
« - C'est bien ce qu'il s'est passé messieurs-dames ?
- Il n'y a rien à redire, intervint un des habitués de Cassius. Si le petit de la vingt-quatre quatre vous le dit, vous pouvez lui faire confiance. C'est un endroit tranquille ici, et les gens ne font pas d'histoires.
- Sauf ce soir apparemment.
- On a été un peu débordés à cause de cette coupure d'eau, répondit Cassius, mais la plupart des clients ont été compréhensifs.
- Tant mieux, conclut l'agent en se détendant. Mais vous faites bien de parler de la coupure. Même si vous n'avez pas l'air impactés, je vais vous demander de fermer pour ce soir.
- Quoi ? Mais pourquoi ?
- Tout le quartier est touché, en conséquence les services de la ville souhaitent intervenir le plus vite possible. Ils vont travailler cette nuit pour tenter d'identifier le dysfonctionnement et le solutionner. Pour éviter les accidents, nous devons évacuer la rue.
- Mais j'ai encore du travail ici.
- Nous allons attendre que tout le monde ait fini sa machine bien sûr, mais après ça, vous ne prenez plus de nouveaux clients. Mesdames et messieurs, je vous demande de faire au plus vite et de rentrer chez vous. Nous ne voulons personne dans les rues ce soir. »
Quelques clients protestèrent pour la forme, mais tous rassemblèrent leurs affaires et se préparèrent à partir. Cassius tenta tant bien que mal de masquer son inquiétude. Pour la première fois à sa connaissance, la vingt-quatre quatre allait fermer ses portes. Il savait que le patron ne pourrait pas lui reprocher de suivre une injonction de la police. Mais il espérait qu'aucun client spécial n'ait besoin de ses services d'urgence cette nuit. Et surtout, il fallait qu'il trouve rapidement une solution pour faire disparaître le kapré.
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