Chapitre 29
Un affreux mélange d’odeur attaquait les narines d’Austin Sunnyday qui avait tant de mal à ouvrir les yeux. Poings et pieds menottés, son corps était incliné à cinquante degré tirant sur ces bracelets de captivités reliés au mur derrière lui. Ses bras endoloris, il ne sentait plus la moindre douleur. Surement avait-il les épaules déboitées ou luxées. Il n’était pas certain de savoir ce qu’il lui était arrivé. Ayant pour dernier souvenir une vague impression d’un discours de son ami Jack, il lui était difficile de remettre les choses dans l’ordre. Quand une de ces capricieuses paupières lui permettait d’ouvrir rapidement un œil, une pièce aussi sombre qu’une nuit sans lune lui apparaissait. Un courant d’air froid et cinglant venait percuter son visage griffé et recouvert de poussière. Comment un homme si courageux et si bon avait-il pu finir prisonnier du Conseil? C’est ce que n’importe qui aurait pensé si la nouvelle devait se répandre.
- C’est donc ça… Les enfers? Je vais enfin comprendre ta douleur… Jack… Murmura Sunnyday à bout de souffle. Encore une fois, Austin se mit à la place de son ami et collègue, rare survivant de cet endroit tenu à distance du grand public.
Un bruit de pas et de petit bruit de clefs qui s’entrechoquent arrivèrent aux oreilles du Guérisseur à priori seul dans sa cellule.
- Tu émerge enfin Austin Sunnyday. Tu m’auras pris pour un clown jusqu’au bout. Dit une voix d’homme de l’autre côté des barreaux. Dans l’ombre et uniquement grâce à une torche restée allumée dans le fond du couloir, une silhouette opaque se dessinait de l’autre côté des barreaux.
- Qui êtes-vous?
- Fait un effort Austin. La cicatrice au milieu de mon front ne te rappelle rien? Avança l’interlocuteur alors que la lumière ne permettait pas de voir ce détail.
- Une cicatrice? Justice? C’est toi? Que fais-tu là?! Sunnyday cracha un peu de sang fraîchement remonté.
- Je suis une des têtes pensantes du Haut-Conseil. Pendant que toi tu jouais aux valeureux professeurs, j’ai travaillé d’arrache-pied pour obtenir une place de choix dans l’institution suprême. Rien ni personne n’est au-dessus de moi désormais. Affirma le dénommé Justice en ouvrant la porte jusque-là fermée à clef.
- Si tu fais partie des têtes du conseil… Pourquoi suis-je attaché? Que me veux-tu?
- Une rumeur circule en ce moment. Austin Sunnyday aurait terrassé un des douze démons de Pandore. Est-ce vrai? Tu n’es pas sans savoir que pour être capable d’un tel exploit, il faut avoir manger un fruit d’Espérance.
- En effet.
- Tu imagines l’étonnement des membres du conseil lorsque nous avons appris la nouvelle alors que tu n’étais pas déclaré détenteur d’un tel pouvoir. Se contenter d’être enseignant à l’Académie lorsqu’une telle capacité est en notre possession est un crime aux yeux du Conseil.
- N’avais-je pas le droit de vouloir former la prochaine génération?
- Ce travail est bon pour les guérisseurs médiocres qui ne seront pas plus utiles sur un champ de bataille. Toi ainsi que les trois autres détenteurs de ce pouvoir du fruit d’Espérance… vous êtes des armes de guerre. Voilà tout. Si des vies doivent êtres sacrifiées pour vous permettre d’atteindre l’objectif final qu’est la mort d’un démon de Pandore, alors qu’il en soit ainsi.
- Tu n’as pas conscience de ce que tu es en train de dire Justice ! Lorsque nous étions étudiants tu n’aurais jamais eu ce discours. S’emporta L’homme blond aux cheveux en bataille.
- Presque vingt ans se sont écoulés Austin et aujourd’hui… tu es considéré comme l’un des meilleurs Guérisseurs, voir, le meilleur si notre maître Roy venait à disparaître. Tu ne peux pas te permettre d’être un simple enseignant. De plus, en ta qualité d’enseignant tu as plusieurs fois causé des dégâts et exposé des apprentis à une mort certaine. Le Conseil a décidé de te retirer de tes fonctions. Tu resteras ici. Aux enfers, jusqu’à ce que le Conseil ait besoin de toi. Je tenais à te le dire personnellement avant que tu ne l’apprennes par une tiers personne.
- Justice… à quel moment… T’es-tu résolu à suivre les règles? Cela ne te ressemble pas. Regretta l’ancien enseignant la tête basse et le corps toujours menotté.
- Mes convictions me sont propres. Il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. Sur ceci, je te laisse. Tu devrais bientôt avoir à faire aux Enfers. Cet endroit reste avant tout une prison de Guérisseur récalcitrant. Ne pense pas non plus à utiliser ta magessence pour t’évader, ta poche de magessence a été “scellée” par notre médecin jusqu’à nouvel ordre.
Dans le fond du couloir, la torche s’éteignit et laissa un voile noir prendre le contrôle du couloir sans scrupule.
Les jours se suivaient et se ressemblaient. Enfermé et amoindri, le blond devenu terne, ne brillait plus. Le visage creusé, il attendait le moment où les gardes allaient l’emmener.
Dans le monde, quelque part, existe quatre Guérisseurs capable de vaincre définitivement un démon de Pandore. Roy Breaklezard et Austin Sunnyday étaient, aux yeux de tous, les deux guérisseurs les plus respectables. Une relation de maître-élève les liaient à jamais. Personne ne s’étonnait de la puissance faramineuse de l’élève quand il apprenait le nom de son mentor. Austin Sunnyday ne connaissait pas l’identité des deux autres pourfendeurs. Ce qu’il savait sur les Démons de Pandore c’est qu’ils étaient aux nombre de douze: la vieillesse, la maladie, la guerre, la famine, la misère, la folie, la mort, le vice, la tromperie, la passion, l’orgueil et enfin l’espérance. A ce jour, alors qu’il périt à petit feu dans les cellules du Conseil, quatre démons de Pandore ont été vaincus et l’un d’entre eux, l’espoir, est resté auprès de Pandore. Ainsi l’orgueil, le vice et la misère ont été vaincus par Roy Breaklezard et dernièrement, la famine par Austin Sunnyday. Certains hommes, citadins comme campagnards, critiquent énormément le rythme auquel avance cette purge des Démons de Pandore. Selon eux, il suffirait d’envoyer les Pourfendeurs au combat et le tour serait joué. Évidemment ce n’est pas chose aussi simple. Les démons de Pandore se cachent, rusent, montent des stratégies pour survivre. Dotés d’intelligence avancée, ils élargissent leurs réseaux, recrutent des Guérisseurs en Déviant et tue sans scrupule, tous ceux qui se dressent sur leurs chemin. En dix ans, l’effectif des Guérisseurs n’a fait que diminuer. Il n’existerait qu’une centaine de Guérisseurs pour des milliers de démons inférieurs et quatre Pourfendeurs pour les sept Démons de Pandore restant. Autant dire que la bataille est mal engagée pour les manipulateurs de magessence.
Un cinquantenaire se tenait debout derrière la porte donnant sur la chambre d’hospitalisation d’Isabella. Sa longue crinière rouge tombant au milieu du dos avait fait parlé les infirmiers sur son passage. A sa ceinture, des lucioles renvoyant les couleurs de l’arc-en-ciel virevoltaient calmement. Tout le monde reconnaissait ce visage tanné et marqué de cicatrice. Une petite barbe de trois jours cachait les plaies du passé. Sans frapper, il finit par saisir la poignée et, avec l’autorisation des médecins, il entra.
Allongé dans un lit sous respirateur, Roy le guérisseur légendaire qui avait brandit un sourire à toute épreuve pour passer la porte, perdu l’envie de faire semblant. Il approcha et posa sa main sèche et marquée par les combats sur celle de son ancienne élève.
- Si seulement… j’avais pu être là… Tu dois te battre Isabella. Pour le petit Sunny’... Souffla l’homme au regard perçant.
Deux voix s’emportèrent dans le couloir. La curiosité mal placée de Roy le rattrapa, il tendit l’oreille discrètement.
“ - Quoi?! Vous n’allez tout de même pas me dire qu’elle?!
- C’est déjà la troisième fois que nous recommençons et nous trouvons à chaque fois les mêmes résultats Jack.
- Merde ! Ils me l’auraient dit quand même ! Elle n’aurait pas mis sa vie en jeu si…
- Cela semble très récent et avec les blessures qu’elle a subi c’est un véritable miracle qu’il soit toujours là.”
- Je me permet de me joindre à votre conversation. Intervint sans prévenir Roy en apparaissant devant Jack Grimwish et un infirmier tenant un dossier médical ouvert.
- Roy...
- Tu dates Jacky’ ! Tu sembles en forme. Heureux de voir qu’au moins un de mes anciens élèves tient encore debout. Ironisa-t-il en voyant le visage de l’enseignant ténébreux se ternir. En vue du contexte actuel, ce n’était pas le moment pour employer ce genre de blague.
- Vous n’avez aucun droit d’être ici. Votre titre ne vous autorise pas à pénétrer l’enceinte de l’école sans autorisation. Surtout quand deux de mes collègues reviennent d’une mission si importante. Dit-il d’un ton professionnel.
Le regard de Roy brilla, et devint, après un battement de paupière, très sérieux. Quelque chose de malsain et pesant se dégageait du guérisseur légendaire. Le professionnel de santé paniqua et fit mine d’avoir d’autres papiers à faire pour laisser les deux hommes en tête à tête.
- A nouveau tu n’as pas su les protéger Jack.
- Je n’étais pas sur place.
- Tu n’es jamais là où il faut Jack. Tu avais vingt ans que déjà tu fuyais.
L’enseignant baissa la tête, ses poings se serrèrent.
- Ce n’est pas vrai.
- Ou sont donc passées les paroles sèches et crues de Jack Grimwish, le Guérisseur qui agit selon ses propres codes?
- Il faut croire… que vieillir me rend raisonnable. Pour ce qui est arrivé à monsieur positif et Isabella… Je n'ai pas d’excuse. J’aurais dû être présent ce soir-là contre Deephole.
- Et dans cette situation, à quoi aurais-tu servi? Tu n’as jamais exploité ta magessence correctement. Ton pouvoir si dévastateur… tu ne l’exploites pas.
- Je… Je n’ai pas le pouvoir de tuer un des démons de Pandore mais… j’aurais… Jack commença à avoir la gorge nouée. Il était dos au mur face à son mentor qui le regardait de haut, d’au moins quinze centimètres en plus.
- Tu n’aurais rien fait non plus. C’est face à ton échec en tant que Guérisseur que je veux te mettre Jacky’. Tu ne seras jamais capable de rien.
Un véritable procès et règlement de compte s’entama.
- Vous ne savez-rien… de moi. Si je suis un échec… Alors l’état d’Isabella et la situation de l’autre idiot… Vous êtes tout aussi coupable que moi !! Jack Grimwish s’emporta, laissant pour la première fois depuis des années, ses émotions parler.
- Ne compare pas…
- ”Ne compare pas une vulgaire merde comme toi au Guérisseur légendaire” c’est ça? Je vous dois énormément mais… ne comparez pas votre vie à la mienne ! Vous avez besoin de la lumière des projecteurs pour exister. Votre puissance est sans égal en ce monde mais vous en profitez ! Un jour viendra ou vous ne serez plus et ce jour-là… se sera à l’autre idiot de prendre votre relève ! Et… ce même idiot… Isabella… elle porte son enfant ! Je vais vous poser une seule et unique question… A quoi bon être le plus fort si cela veut dire se retrouver seul au sommet?
- Depuis quand es-tu devenu si philosophique? Cela ne te va pas Jacky’. Ma place parmi les hommes? Je suis le symbole du pouvoir. Ma simple présence les rassure et leur permet de dormir sur deux oreilles. Vous, vous n’aurez jamais cet effet là si vous continuez à vous poser toutes ces questions… Cracha Roy. Son expression de visage fermé pouvait intimider n’importe lequel des guérisseurs.
- Jamais nous ne nous comprendrons.
- Je suis las de cet échange stérile. Je souhaite simplement t’informer d’une chose… le Conseil est pourri jusqu’aux os depuis toujours, nous le savons pertinemment… figure toi que l’affaire au plateau abyssal ainsi que le coup monté de la famille Hartstones… sont étroitement liés au Conseil.
- Et à chaque fois… Austin était responsable de la mission… y aurait-il un lien?
- Leur objectif est clair. Nos chères têtes pensantes en avaient après Sunny’.
- Que peut-on faire dans ce cas? il est déjà trop tard. Soupira Jack en baissant la tête.
- Renversons le conseil voyons ! J’ai besoin de Guérisseur capable de se lever contre cette instance. Pour une fois dans ta vie, penses-tu en être capable, Jack? Se dresser contre le Conseil fera de nous des criminels, nos vies ne pourront plus jamais être paisibles. Le regard du quarantenaire trembla. Tiraillé entre ses propres faiblesses, son sens de la justice et la rage qu’il accumulait depuis des années. Il se contenta d’affirmer qu’à deux, ils ne pourraient jamais renverser le Haut-Conseil.
- J’ai déjà quelques guérisseurs sous la main et je compte bien aller cueillir les plus jeunes pour intégrer nos rangs.
- Vous voulez mêler des apprentis à cette bataille? Vous êtes inconscient du danger ma parole…
- Donne-moi tes trois meilleurs dragonneaux. Je les entraînerais pendant plusieurs semaines. Il ne leur arrivera rien, après tout je suis le plus puissant des Guérisseurs. Ricana l’homme qui perdait son regard menaçant au fil de la discussion.
- Ce n’est pas leur sécurité qui m’inquiète… mais plutôt la conséquence pour ces jeunes de se mêler à ce conflit.
Roy tourna les talons à Jack.
- Communique moi leurs coordonnées par luciole. Rendez-vous dans 3 mois pour l’opération “Sauvetage de Sunnyday” S’exclama l’ancien en brandissant un grand et large sourire.
- Maître… Soulagé par la disparition du légendaire, Jack prit le temps de se servir une tasse de café dans la salle des professeurs actuellement vide.
Plus tard, alors que la nuit était bien entamée, Jack se tenait debout au beau milieu d’un cimetière de la cité. La pierre tombale qu’il fixait était faite de marbre et était décorée d’une couronne de fleur de jasmin fraîche. Silencieux et le regard bas, Grimwish se mit à parler comme pour entamer une conversation.
- Cela faisait longtemps que je n’étais pas passé te voir. Tu n’imagines pas le traumatisme que nous connaissons en ce moment Isabella, Roy et moi… En y réfléchissant… tu n’aurais pas supportés de voir nos visages abattus alors… Le maître a dit qu’il comptait renverser le Conseil dans trois mois… monsieur positif à intérêt à tenir le coup… ce vieux dragon à beau être détestable en vue de ce qu’ils nous a fait subir… sa présence me donne envie de croire en la victoire…. Laëtitia… J’ai trois mois pour devenir le guérisseur fort et respectable que tu as toujours vu en moi… pardonne-moi d’avoir mis tant de temps à le réaliser. Un jour… nous serons de nouveau réunis... mon amour.
“ Laëtitia Swiftness mariée Grimwish,
Née en l’an 20 - Décédée en l’an 51.”
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