La Sagesse des Chats - Conte spirituel
Il était une fois, un moine bouddhiste dépourvu de toute haine, représentant le meilleur de la race humaine, bien qu’il n’eût jamais pensé enseigner à d'autres énergumènes, un jour de pleine méditation, l’on vint le déranger les pattes pleines de questions. Celles de deux chats, ne désirant qu’apprendre de sa philosophie. L’un d’eux était très vieux, marqué des aléas de la vie. L’autre, au contraire, semblait tout juste sorti du nid.
Le grand sage attendait les yeux clos, la requête de ces deux animaux. Lors d'innombrable rencontre qu’il avait pu faire, beaucoup de surprises le heurtèrent. Pourtant, il en avait déjà vu de bien belles sur Terre. Immobile, il n’avait qu’à attendre qu’elles s'offrent à lui dans ce monastère. Ces surprises que les voyageurs téméraires, transportaient à bras-le-corps aux côtés de toutes leurs richesses. Celles qui ne sont pas d’or, mais emplies de sagesse. C’était à cette qualité-là que l’on devait l'arrivée de ces chatons, demandant à l’homme, à leur tour, une sage définition. À destination, on pouvait entendre :
– Que fait-t-il ? S’exclama le petit. Il dort ou bien…
– Il médite, enfin ! Lui répondit l’Ancien.
Le plus âgé se présenta avec respect. Les yeux et oreilles baissées avant de parler :
– Sage, tout comme toi, j’ai vu, j’ai entendu, débuta le chat. J’ai marqué ma peau de tout ce que l’on peut vivre du monde, ne suis-je alors pas le plus sage à la ronde ?
Cette question qui lui tenait à cœur d’obtenir une réponse, avant que ne s'éteignent sur lui, ses derniers éclats de vie, à la tombée de la nuit. C’était marqué sur sa fourrure vieillie et abîmée, sur laquelle le moine s'était mis à songer. Une interrogation bien complexe qui ne méritait pas d’une décision prise à la légère. L’homme cessa de penser pour se tourner vers le petit, écoutant lui aussi, ce qu’il avait à dire. Ce dernier bien étonné qu’on le fixe ainsi, dit :
– Moi ? Se désigna-t-il de la patte, alors que le sage agitait de haut en bas son visage. C’est l’histoire du Grand Chat continua-t-il, désignant son camarade. J’étais intéressé. J’ai monté les marches pour vous entendre parler. De la sagesse, j’aimerais savoir à quel point j’en ai ?
Face à cette requête maladroite sans aucune courbette et cet air bien téméraire, son compère, affligé par un tel comportement, de sa patte avant lui aplatit le visage pour qu’il ait l’air plus aimable devant le sage.
– Toi, tu ne peux pas être sage dans l’immédiat, assura ronchon le vieux matou.
– Et pourquoi pas après tout ? interrogea le petit chat.
– Tu ne savais pas ce qu’était un vieux chat avant de me rencontrer. Tu ne savais pas ce qu’était un escalier avant que l'on décide de le monter. Tu ne savais pas ce qu'était un sage avant de m’en entendre parler. Tu ne savais pas ce qu’était la vie, il y a quelques paragraphes d’ici !
Déballant sans gêne, l’histoire bien courte de son congénère, dont l’homme de silence prit alors connaissance et cela sans en faire la demande. Il n’a qu’à attendre, pour qu’un nouveau récit soit écrit, datant d'un peu plus loin que “quelques paragraphes” d’ici.
C’était peut-être lors d’un gong des heures, qu’une brave féline avait affublé ces vibrations à un cœur, celui du Petit Chat, peu content que sa naissance soit comptée par un tel dénonciateur.
Les animaux des environs le savaient, ils étaient arrivés les premiers pour observer la vie se jouer. Ils célébrèrent la naissance d’un nouvel être, sur la plus basse marche de ce monastère, l’endroit où la féline avait choisi de mettre au monde son petit. Puis s’en était déjà fini de la présentation du mistigri. Bien trop vif, il ne faisait déjà plus partie du cadre, partant et gambadant déjà, intrigué par ce Gros Chat de passage. Celui-ci, s'étant arrêté dans son ascension menant au sage, pour profiter de ce spectacle, sans se douter une seconde qu’il allait en avoir pour long de devoir lui répondre :
– Nous avons les mêmes oreilles en triangles, commença le Chaton.
– Sais-tu seulement ce qu’est un triangle ? Avait répondu le Vieux Chat, partagé entre bien des émotions : Étonné ou Bougon. Embêté que son chemin soit entravé par un trop honnête nourrisson, alors que ces questions se languissaient de ne toujours pas avoir des réponses pour compagnon. Il prit, étonnamment, le temps de s'arrêter pour un tel fripon.
– Non...Mais ça doit être un triangle, reprit le chaton. Où allez-vous ?
– Voir le sage en haut de ces marches.
– Un sage ? Qu’est-ce que c’est ? Et pourquoi ? S’entêta le petit, curieux de tout savoir.
Le vieux Chat soupira, puis se résigna :
–Seulement si tu parviens à me suivre, je te raconterai toute l’histoire. C’est ce qu’il lui dit. D’un dur défi, d’arriver jusqu’à cet instant précis, là où il finissait son récit sous l’ouïe attentive de l'Altruiste.
Bien étonné que ce petit né aujourd’hui soit affublé d’un tel signe astrologique ! Rat : Un chat-rat : Qui n’avait encore jamais vu ça… S’amusa le sage intérieurement, en s’étonnant d’un pareil événement ! Ah ! Qu’il souhaiterait que ce moment dure un peu plus longtemps...
–...Et c’est comme ça, que nous nous retrouvons ici, suite à ce récit. Moi et petit Chat-Rat, que Grand Chat surnomma. Il est bien curieux, mais je ne suis pas sûr qu'il comprenne l'importance de ces lieux. Il faudra voir autre chose, ou peut-être faire la rencontre d’un Poisson-Chat pour sembler un peu plus sage... S’amusa le Grand Chat d’associer des animaux qui n’avaient rien à voir entre eux. S’accordant sans le savoir à la pensée du sage.
– Qu'est-ce qu’un Poisson-Chat ? S’interrogea le Petit Chat.
– Hé voilà ! S’exclama le Vieux-Chat.
Le Grand Chat porté par sa narration, déposa enfin devant lui le poids de toutes ses questions. Ses cicatrices témoignaient, d’une vie mouvementée. Il eut le temps, des jours, des mois et des années pour y songer, ce dont le petit semblait cruellement manquer. Ainsi était sa pensée, dite entre les mailles du filet, et sa forme en zigzag, pour ne pas avoir à le décevoir. Ce petit être qu’il avait en affection, malgré ce masque de vieux ronchon :
– ...Je ne sais pas tout, c’est inévitable. Mais ce dont je suis sûr c’est que je devrais en savoir plus que toi, s’adressant à Chat-Rat avant d’énoncer ces paroles au sage. Lors de notre montée, nous avons déjà beaucoup parlé, le voyage des marches fut long, tout comme le fil de nos réflexions...
L’homme bien sage méditait, en n’apportant aucun message. Il écoutait plutôt, en pensant quelques mots, sans jamais le dire tout haut :
– Je ne veux pas savoir tout… Savoir si je suis sage, c’est tout. Il faudrait savoir “tout” avant de demander si l’on est sage ? S’interrogea le chaton. J’ai le temps pour savoir, mais j’ai aussi le temps pour oublier ce que je sais déjà. Demain sera déjà peut être trop tard... Finit-il la tête vers le ciel, remarquant le soleil, déjà plus bas que le zénith, surpris de se dire à quel point il tombe vite.
Le moine fit mine de réfléchir mais ne put s'empêcher de sourire tant il fut attendri par les énergumènes ; ce jeune et ce vieux, ce grognon et ce fripon, ce chat et ce rat.
Il pensa, et parla :
– Tu as probablement dû faire un long voyage, monter toutes les marches, tout à fait honorable pour un chat tel que toi, s’exclama l’homme, sans démontrer s’il parlait à l’un ou à l‘autre. Les deux félins s’accordèrent sur une drôle de tête, à cause de cette confusion voulue par le sage en question : Dans ce cas… Reprit-il. Savez-vous que deux moines s'étaient déjà disputés l’appartenance d’un chat ?
– Dans ce monastère ? Demanda Le Rat.
– Je ne connais pas le détail, assura le sage...Ce que je sais en revanche c'est que vint alors un personnage secondaire, leur demander le nom du propriétaire. S’ils avaient la réponse, le chat serait sauvé, s'ils ne l’avaient pas, il en pâtirait. Qu'auriez-vous répondu à leur place ?
– Un chat n’a pour ainsi dire jamais de propriétaire, dit le grand matou avec assurance.
– Peut-être sa maman…Continua le petit de son aisance.
– Mais non ! S’énerva le grand, sais-tu ce que veut dire propriétaire ? S’entêta-t-il de lui faire comprendre, que tout était de l’ordre de la connaissance. Mais le chaton avait compris le sens. Se lançant dans un débat sans fin avec son compagnon. L’homme bien sage, méditait, toujours muet comme une tombe.
– En tous les cas, il en a forcément un propriétaire, sinon la question serait inutile, affirma le petit.
– C’est justement ça le piège !
– La réponse est peut-être plus simple que l’on croit, songea Chat-Rat.
– Jamais, crois-moi, conclut le vieux chat.
Ils allaient découvrir que le temps est cruel dans ce monastère. La nuit passée sur ces terres, comme les aiguilles des heures, n’était pas en reste.
Le petit arrivait à suivre ces longues discussions :
– Je suis curieux ! C’est toi qui l’as dit… Ma vision est claire. Ma fourrure est claire et pas embrumée par ces quelques taches comme sur la tienne. Je devrais être sage, parce que je ne connais pas la brume, je ne l’ai même jamais rencontrée. Ma vision est encore claire, mais elle commence déjà à foncer tant la poussière passe sur elle. Songea tout haut le petit, inquiet par la course des astres. Au fil des jours où le monastère les accueillit les bras grands ouverts.
Le grand chat songea aussi à toutes ces histoires, continuant à répondre au Chat-Rat jusqu’au soir. Il en fallait plus pour l'achever, il se disait : Qu’il n’avait jamais autant pensé. Puis comme le petit l’avait prédit, le temps amène inévitablement à l'oubli.
– Je suis sûr que tu pourrais aimer la pêche, c’est une activité où l’attente est longue, mais la patience est nécessaire, et où la pensée et la communion avec la nature sont grandes, suggéra le Chat.
– Oh oui ! Montrez-moi, on pourrait y aller ? Demanda le Rat
– Avec plaisir Rat, je connais aussi pleins d’endroits dans le monde, que l’on pourrait visiter.
D’un air enthousiaste, il s’exclama :
– Oui !
Le moine ouvrit un œil, pensant et souriant. La sagesse était venue à lui, celle de deux chats qui désiraient apprendre de sa philosophie. Trente-huit jours, était le temps qu’ils avaient passé à échanger de nombreuses pensées, si bien qu’ils oublièrent la raison qui les fit venir en ces lieux. Le moine était heureux, le vieux chat n’en avait plus pour très longtemps. Il savait qu’il pouvait compter sur le Rat pour lui faire partager leurs derniers bons moments. Le chemin pour descendre les marches était bien différent de celui qu’ils empruntaient en les montant. Ils avaient trouvé mieux que leurs réponses qu’ils cherchaient tant, et finalement elles ne paraissaient plus si importantes. Le petit chat lui allait, s’ouvrir à la vie. Ce sont de petites choses précieuses, celles qui ne sont pas d’or mais emplies de sagesse.
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