I
«Les conseils sont des ordres. L'inverse est un interdit formel. Ne pas respecter cela, c'est montrer que l'on est impropre à ce monde. Obéir, c'est augmenter sa valeur à un point considérable.»
Extrait du Manuel d'une jeune dame accomplie
- Serrez le ventre, mademoiselle.
Je m'exécute tandis que la femme de chambre noue le corset dans mon dos. Je sens l'air me manquer. Jamais je ne réussirais à m'habituer à ce sentiment d'étouffement que procure cet instrument de torture. Elle enfile ensuite la multitude de jupons carastériques de ces volumineuses robes de bals. Puis ce sont des rubans qu'elle attache, des boutons qu'elle ferme, des agrafes qu'elle accroche. Enfin, la torture de l'habillement se termine pour laisser place à une étape bien pire encore : le jugement de ma mère.
Marie-Janeia me laisse seule devant le miroir pour avertir ma mère. Je m'observe dans la glace. Mes cheveux sont sculptés autour d'un diadème symbolisant mon sang noble tandis que mes oreilles sont percées de diamants aux reflets arc-en-ciel. La robe est immense, couverte de rubans de toutes les couleurs. Sur le tissu, on repère des tâches de peintures mais en s'approchant près, on remarque que ce sont de fines broderies cousues à la main avec des fils colorés. Les couturières ont mis des journées entières à réaliser ce chef d'œuvre que je ne porterais qu'une unique fois. Je suis la fille d'un ministre influent et d'une souveraine imposante : je dois montrer, par ma tenue, toute la richesse de mes parents. Je caresse la finesse de la dentelle autour de mon cou, incapable de masquer mon émerveillement. C'est la plus belle robe que je n'ai jamais vue.
- Arrête de sourire.
La voix lasse de ma mère me fait sursauter et je manque de déchirer l'ourlet de ma robe avec mes talons. D'une main habituée par ma maladresse légendaire, ma mère me rattrape à temps et me force à me remettre debout.
- Je te l'ai dit cent fois. Les comissures de ta bouche ne doivent jamais se lever ni se baisser. Tu n'as pas envie de montrer que tu n'es pas digne d'être ici, non ?
À longueur de journée, j'entends les mêmes plaintes sortir des lèvres parfaitement dessinées de ma mère, les mêmes chantages. Et je sais très bien que si je fais ne serait-ce qu'un seul pas de travers, ma mère ne manquera pas de m'envoyer croupir dans une cellule du Donjon de Brouic pour le restant de mes jours. Si mon père n'avait pas été là pour prendre ma défense un nombre incalculable de fois, voilà des années que j'y serais. Mais aujourd'hui, papa n'est pas là, aussi, je dois obéir à ma mère.
Je ne réponds rien et force mes lèvres à prendre la forme d'une ligne. Mon dos se redresse et je place mes bras devant moi, comme si je posais pour un peintre. Je me sens vulnérable dans cete position et dans cette tenue. N'importe qui pourrait arriver par derrière et m'étrangler sans que je puisse déceler son odeur au milieu des effluves monstrueuses de mon parfum. Et puis, je ne suis en aucun cas libre de mes mouvements, bloquée dans mon corset deux tailles en dessous.
Ma mère s'approche de moi, inspectant chaque centimètre de mon corps. Je devrais avoir l'habitude après tout ce temps, mais je continue à me sentir mal à l'aise, comme si elle s'introduisait en moi. Elle me juge, me soupèse, je vois qu'elle essaie de se mettre à la place des autres femmes et de leur regard perfide, à celle des hommes désireux. Elle rajuste un ruban qui ne tombe pas à la bonne place. Un pinceau vole sur mes paupières déjà maquillées pour en réajuster le teint.
Enfin, elle abaisse sa main et tourne les talons qu'elle claque au sol. J'en ai le souffle coupé. À vrai dire, je ne sais pas à quoi je m'attendais de la part d'un mère si exigeante et si peu aimante mais un petit compliment n'aurait pas été de refus. Sous mes cils lourdement maquillés, je sens les larmes pointer.
J'ai toujours déçuma mère. Jamais je n'ai été aussi haut que ses attentes l'exigeaient. Je le sais et le nie pas. Je fais des efforts sans cesse mais toujours, ma nature revient à grand pas. Alors, je ne peux pas m'empêcher de rire ou de crier même si je sais que pour ça, je serais punie.
- Qui vois-je ? Ma petite sœur chérie !
Concentrée sur mes yeux au bord des larmes, je n'ai pas entendu mon frère entrer. Il se faufile derrière et moi et, posant ses mains sur mes hanches, il me fait pivoter doucement vers lui.
- Tu es spectaculaire, Alexi !
N'ayant que mon frère dans la pièce, je m'autorise à rougir face à son compliment.
- Comment est-ce que je peux rivaliser avec toi dans cette tenue ?
J'observe Maxendre. Il porte une veste assortie aux tâches de peintures sur ma jupe à laquelle une broche frappée du blason d'Arcanza est accrochée. Ses cheveux blonds sont peignés vers l'arrière et une bague d'héritier orne son doigt.
- Tu es super beau aussi, Max.
Il hoche la tête en souriant franchement, dévoilant de belles dents alignées qui scientillent à la lumière. Son bras se cale sous le mien et nous sortons de la chambre, le cœur battant.
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