V

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«Les femmes sont des fleurs. Jolies à regarder. Belles à sentir. Une pure œuvre d'art. Mais leur avis n'a aucune incidence sur les choix masculins.»

Extrait du Manuel d'une jeune dame accomplie

J'étais comme envoûtée par son regard,

ses mains,

les mouvements de nos pieds sur le parquet ciré,

les violons chantants,

la lumière des lustres.

Le retour à la réalité est brutal. Si violent que je manque de perdre mon expression neutre. Le bruissement des conversations mondaines réapparait autour de nous. Robin, s'avance vers moi, bien décidé à tenter une chance qu'il sait certaine.

- M'offrirez-vous cette danse ? demande-t-il inutilement, car bien sûr je ne dois pas le lui refuser, en se courbant.

Et j'accepte encore, à contre-cœur.

Toute la soirée, je virevolte au bras d'un homme différent. Mais, jamais je ne retrouve cette sensation qu'il y avait avec mon premier partenaire. C'est comme s'il y avait eu un lien entre nous, une sorte de connexion. Nous ne faisions qu'un. Synchronisation parfaite sur une musique des plus magiques. Nous volions presque, enveloppés dans un nuage de notes de musique.

Une des premières choses que mon père m'a apprise, c'est que dans notre monde, les rêves restent des rêves et que ne pas garder les deux pieds bien ancrés sur Terre est la meilleure façon de se retrouver enfermé à Brouic. Aussi, j'oublie ce qui s'est passé et je danse dans les mains froides de ses messieurs, gardant bien attachée ma fade expression sur mon visage poudré.

Mon frère, contrairement à moi, semble s'amuser. À chaque fois que je l'apperçois, son visage rayonne d'un sourire lumineux qu'il offre à une jolie fille. Rousse, les cheveux tombants jusque dans le creux des reins, ses prunelles dorées brillent de cette insipide lueur que l'on inculque aux filles dès leur plus jeune âge.

C'est pour ça que mon père ne voulait pas de fille. Maxendre est né le premier. On raconte que lorsque mon père l'a vu, il a hurlé de joie, si heureux que ce ne soit pas une fille. Puis je suis arrivée, un quart d'heure plus tard. Et je n'étais pas prévue. Une larme a coulé sur la joue de mon père et de son index, il a caressé mon front en murmurant tout doucement «Ma pauvre fille, quel monde avons-nous laissé pour t'accueillir ?».

Ce n'est ni mon père, ni ma mère qui ne m'ont raconté cette anecdote. C'est encore moins Maxendre : il venait de naître ! Non, j'ai usé de ma curiosité légendaire et soudoyé le médecin de garde ce jour-là pour qu'il me raconte en détail les réactions de mes parents à l'annonce de ma nature il y a quelques années. Parait-il, ma mère n'a rien dit. Fidèle à elle-même, elle s'est contentée de me tendre à mon père et de regarder par la fenêtre la pluie qui battait les carreaux. Peut-être qu'elle aurait même lâché un de ses soupirs, le premier d'une grande série à laquelle j'aurais droit chaque jour de ma vie.

Car je suis sa première source de déception. Je n'ai pas su marcher assez tôt. Mes sourires avaient l'air trop scintillants, mes pleurs bien trop bruyants. Tandis que mon frère jumeau s'amusait avec ses soldats de plomb dans la pièce d'à côté, je recevais des réprimandes pour une bêtise que nous avions faites à deux. Mais je ne me suis jamais plainte. Ce n'est pas la faute de Maxendre si la société actuelle n'est pas faite pour m'accueillir. C'est moi qui ne rentre pas dans leurs moules trop carrés.

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