Chlika, chlika !

6 minutes de lecture

Les violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone. Ainsi en allait de la vie du pauvre Lorenzo. En mission d’audit dans une entreprise moribonde Française (pléonasme) car toutes les entreprises dans ce beau pays sont à l’agonie, asphyxiée par les taxes, égorgées par les avantages sociaux, martyrisées par les impôts sur les bénéfices même quand il n’y a pas de bénéfice, partant du principe que les dirigeants de l’entreprise sont des voleurs...

Bref…

Audit ? Oui, un audit de code ! L’argent disparaissait inexplicablement des comptes et une intelligence supérieure avait envisagé une erreur dans le code du logiciel de facturation.

Aussi avait-on dépêché le seul dinosaure connaissant encore le langage C++, utilisé dans le logiciel coupable, tous les millenials et générations Z et suivantes, les jeunes codeurs sortant des écoles quoi, ne connaissant de la programmation que des langages dégénérés de script et encore…

Lorenzo le « salaud de consultant » comme on le désignait souvent dans les entreprises, était donc venu inspecter le logiciel et faire quelques tests. On lui avait attribué un minuscule bureau branlant et un tabouret (grande mansuétude) dans un coin de « centre oueb ». Y trônaient deux pimbêches, Désirée et Sonia, quadras au sommet de l’évolution féministe. Désirée, taille moyenne, cheveux bruns agonisants des brushings trop fréquents, visage allongé, grand nez, lunettes encore plus grandes que le tarin, frange, petite bouche et yeux inquisiteurs. Sonia, grassouillette, plus large que haute, en poire, décolorée, intellectuelle revancharde et revendiquée, affectée gravement du syndrome de Dunning-Kruger car elle était manifestement BPI (bas potentiel intellectuel). Leur présence était en soi un calvaire pour le pauvre consultant qui souhaitait une mort rapide, la vie lui paraissant ne plus avoir le moindre intérêt. Autant une belle femme est un régal pour l’âme, autant la vilaine un supplice. Et, il faut bien avouer qu’elles sont en général, trop vilaines.

Bref…

Désirée était « responsable clientèle », et Sonia, modératrice oueb, chargée de « contenu ». Oui, la France va mal, très mal.

Bref…

Lorenzo fouillait, dans le code, ayant désassemblé le logiciel, ses oreillettes en place diffusant un bruit blanc apaisant aux fréquences savamment calculées. Malgré tout, cela ne l’empêchait point d’entendre le pépiement continue de la gent féminine, en plein travail assidu, à la limite du Karoshi Français.

— Si tu savais ce qu’il m’est arrivé ce WE… disait Désirée.

— Quoi ?

— Gonzal me dit « ton lacet est défait ». Bah, j’avais des scratchs ! Je regarde, je me baisse…

— Pourquoi tu as regardé, tu avais des scratchs ?

— Un réflexe… Je ne vois que ça… Des fois je fais des choses, j’y comprends rien… À l’insu de mon plein gré !

— Moi aussi, c’est dingue… La dernière fois c’était à Inter…

— Attends, laisse-moi raconter ! Tu vas pas le croire ! C’est trop là !

— Pardon…

— Donc je me baisse et là… et là… Tu le croiras pas…

— Tu t’es vautrée ?

— Mais nan ! Chlika Chlika ! Le salaud !

— Nan ! C’est pô possible ! Il a fait ça ?!

— Chlika Chlika, je te dis ! Comme un sauvage !

Et pour couronner le tout, voilà que Désirée joignit le geste à la parole. Lorenzo sentit monter en lui un sentiment de désespoir, comme une vague tsunamique. Il aurait envisagé de sauter par la fenêtre s’il ne s’était point trouvé au rez-de-chaussée. Mais Désirée poursuivait son reportage.

— Tu as fait quoi ? s’enquit Sonia, limite malaise vagual.

— Bah, j’ai protesté vigoureusement, tu penses bien ! J’ai dit à Gonzal : « Gonzal, je vais me fâcher ! ». Mais méchamment tu vois…

— Alors ?

— Chlika, Chlika ! Le pervers ! Quand on pense… À le regarder on dirait pas que...

— Mais quel salaud. Tu as fait quoi ?

— Bah, j’avais mon jogging sur les pieds, dans la boue… J’étais mal…

— Il a fait ça dehors ? Mais nan…

— J’te jure. On était au camping « La brindille », retraite écolo-responsable. Heureusement, hors saison, c’est désert… Mais j’avais honte… J’avais honte…

— C’est un viol !

— Ouais… C’est bien ce que je me suis dit.

— Tu vas faire quoi ?

— Bah j’ai protesté… J’ai menacé et même je l’ai tapé.

— Ah… Alors ?

— Chlika, Chlika ! C’était devenu une bête. Il bavait et grognait comme un #porc.

— Mais quelle honte !

— J’ai pris une photo… Il est horrible ! Un monstre !

— Comme tous les mecs ! Fais voir !!

Désirée dégaina son phone. C’est à ce moment précis que Lorenzo tomba de son tabouret, l’image de la responsable clientèle pilonnée en levrette avec le téléphone en selfie, venait de se matérialiser à sa conscience.

Désirée sursauta, se rappelant de la présence inopportune du consultant.

— Monsieur Lorenzo, qu’est-ce que vous fichez encore ? fit-elle, d’une voix suraiguë de contrariété.

— Je me trouve mal. J’ai été attaqué par des renards… j’ai une grosse fatigue.

— Vous trouvez ça drôle, monsieur Lorenzo ? On travaille, ici, on ne s’amuse pas avec les tabourets…

Puis soudain inspirée, elle ajouta, la voix rauque :

— Vous vous fichez de ma gueule, c’est ça ?

— Moi ? Jamais.

— Si, si, il se fiche de toi, dit Sonia.

— Monsieur Lorenzo, vous trouvez ça drôle ? Oui, vous trouvez ça drôle. Une femme se fait sauvagement agresser et ça vous fait rire !

— Il trouve ça drôle ! C’est bien un mec !

— Nan mais attends… Même en me payant… Je pourrais pas… balbutia Lorenzo.

— Mais qu’est-ce qu’il raconte ? suffoqua Sonia.

— Monsieur Lorenzo, méfiez-vous ! Vous dépassez les bornes ! gronda Désirée.

Lorenzo resta muet de stupéfaction, baba, regardant Désirée puis Sonia alternativement, leurs prunelles le fusillant littéralement.

— Vous vous fichez de moi, c’est moi ? Je vous préviens… continua Désirée.

— Je t’avais dit qu’il était bizarre, renchérit Sonia.

— Nan, mais c’est fini, oui , les vilaines ?! explosa Lorenzo, se rasseyant.

— Mais qu’est-ce qu’il me dit ? Tu l’as entendu Sonia ?

— C’est un goujat ! Un goujat !

— Je vous ai à l’œil, monsieur Lorenzo, menaça Désirée.

— Regarde ailleurs, tu me piques les yeux.

— Oh ! s’exclamèrent les deux commères.

Un silence glacial se fit alors dans le bureau, puis Sonia, intervint.

— On va se plaindra à la DRH. C’est inacceptable.

— Oui. C’est inacceptable. Personne ne nous a jamais parlé comme ça.

— Chlika, Chlika, fit Lorenzo, faisant claquer sa langue.

— Oh ! s’exclamèrent les deux commères, faisant un bond et se précipitant sur le pauvre Lorenzo.

Lorenzo était de nouveau la victime de la violence latente Française, née de la frustration totale imprégnant le pays, conséquence d’une gouvernance maltraitante et autoritaire, chacun voulant fracasser le voisin dans un besoin irrépressible de vengeance et de justice.

Bravement, le consultant fit face. Le Lorenzo, jamais ne se défile, sa devise étant « sic gorgiamos allos subjectos nunc », soit : nous aimons nous repaître de ceux qui aimeraient nous soumettre.

— Monsieur Lorenzo, vous écoutez les conversations privées ? C’est une honte.

— En même temps, le bureau est pas très grand.

— Vous n’avez aucune éducation monsieur Lorenzo, permettez-moi de vous le dire, dit Sonia.

— Qu’est-ce qu’on vous a fait, d’abord ? s’enquit Désirée.

— Vous respirez mon air… et la connerie.

— Oh le… C’est trop ! s’indigna Sonia.

— Vous êtes un… un… salaud de consultant ! éclata Désirée.

Les deux femmes scandalisées, quittèrent le bureau. On allait encore casser du sucre sur le dos du pauvre consultant.

Il fut convoqué chez monsieur le directeur.

— Monsieur Lorenzo… où en êtes-vous de vos investigations. Avez-vous trouvé quelque chose ?

— Chlika, Chlika !

— Hein ? Quoi ? s’étouffa le directeur abasourdi.

Sans plus attendre, Lorenzo se dirigea vers la porte.

— Monsieur Lorenzo ! Je vous ai posé une question !

— Liquide. Reprends tes billes si tu peux encore. L’entreprise en France, c’est juste pas possible.

— Monsieur Lorenzo !

— C’est ce qu’on appelle le mal Français… Le travail est une valeur honteuse en France, comme le fric. C’est un pays définitivement socialiste.

— Mais que signifie …?

— Il y a une chose que l’ordinateur sait faire, c’est compter. Le reste… Ton logiciel de compta sait faire une addition.

Lorenzo était désabusé. Avait-il trop vécu ? Il remonta dans son antique véhicule Diesel, ignoblement polluant, en route vers une nouvelle aventure.

Il n’y avait plus de belles femmes en ce monde et se satisfaire des vilaines, c’était trop pour lui désormais.

Bzzzz !

Annotations

Vous aimez lire docno ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0