Des paroles de maison

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  Je suis sûre qu'il suffit, pour bien dormir, de ramasser un coquillage sur la plage, de le poser à un endroit abrité du vent, du sable et des vagues, puis de se faire assez petit pour se glisser à l'intérieur.

  En serrant un peu l'estomac contre les poumons, en collant le coeur au cerveau, et en appuyant d'une main sur le nombril pour que rien ne sorte, ce ne serait pas suffisant. Mais si je respirais le plus faiblement possible, si je laissais seulement quelques gouttes d'air prendre de la place dans mon trop grand corps, peut-être... Il faudrait sans doute attendre que les embruns assèchent la peau et les muscles en les léchant longuement ; alors, ça devrait être possible.

  Je l'ai déjà fait. Je recommence souvent. En rampant entre les grains de sable, je peux m'arrêter quelques secondes au seuil du coquillage. J'aime écouter ma respiration minuscule y faire un bruit de grande marée. Le vent s'arrête à l'entrée, respectueux devant le repos de ce lieu. On croit toujours que la spirale du coquillage se perd dans l'ombre. C'est si petit : le soleil ne semble pas pouvoir aller jusqu'au bout. En vérité, quand je me tiens à l'entrée, je me rends bien compte que le nacre projette une faible lumière, toute douce, toute dorée, et qu'il fait plus sombre dehors que dedans.

  J'avance et j'entends que mes pas, comme la lumière, se répercutent à l'infini. Le bruit se calme peu à peu, comme s'éteint une berceuse lorsque l'on s'endort. On devient sourd dans le bon sommeil, c'est ce que le coeur du coquillage semble me dire. Alors je marche dans le canal qui rétrécit ; je penche la tête, je courbe le dos, je tombe à quatre pattes, je rampe, jusqu'à sentir tout contre mon corps le nacre doux et chaud de ma nouvelle maison. Je pousse avec mes pieds pour me glisser toujours plus en avant dans la spirale qui semble rétrécir à l'infini.

  Enfin, enveloppée par les parois, par l'odeur de sel et de sable mouillé, par le bruit de vague de ma respiration, je m'endors en essayant de penser à l'océan.

  Bientôt, je me rends compte que c'est impossible. L'océan n'existe plus au creux du coquillage. Comment son immensité, ses êtres multitude et sa fureur pourraient-elles exister, là, à la porte de ce monde en miniature ? Si un bout d'écume venait me frapper, je me briserais immédiatement. Je prends peur. Le coquillage palpite contre moi, à moins que ce ne soit mon coeur tout compressé qui fasse battre les parois qui m'enveloppent. Son coeur à lui me reste caché, derrière le virage trop petit pour que je puisse m'y glisser. Pourtant, je comprends bientôt l'histoire qu'il tente de me transmettre.

  Il me dit les longues errances sur les sols marins, les paysages magiques des abysses entrevues, les écailles-miroir et les habitants apeurés. Il me chante surtout une berceuse de vagues et de tempêtes desquelles on est abrité, sa solidité face aux assauts de l'océan. Il me dit de ne plus avoir peur, maintenant que j'ai une coquille. J'ai envie de rire. Ma maison se prend pour une armure ! Elle que je tenais tout à l'heure dans ma main, minuscule spirale à la surface déjà usée, sans couleur d'avoir trop couru sur les collines sous-marines, se prend pour une forteresse. Étrangement, sa confiance me rassure.

  Sa douce lumière, les parois qui s'adaptent à mon petit corps minuscule et fragile, me murmurent aussi des paroles de maison. De vieilles paroles de maison.

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