1er décembre 1847

-Hum ? Heu... Non. Moi, c'est Baptiste. Vous devez me confondre avec quelqu'un d'autre. J'ai un visage assez commun !

Quoi ?

-Guillaume ! C'est moi, André !

Le jeune homme aux cheveux blonds détailla le beau visage qui lui faisait face.

-Non, je vous assure ! Je ne connais aucun André et si je vous avais déjà rencontré, je pense que je m'en souviendrais ! Vous me confondez avec quelqu'un d'autre.

Le ton affirmé du plus jeune eut raison d'André qui n'osa plus rien dire.

-Ne faites pas cette tête. Je suis sûr que vous finirez par retrouver cet homme ! Il s'agit de votre frère ? Une personne de votre famille ?

André ne put qu'hocher la tête. Son cœur était si serré qu'il n'arrivait pas à parler. Il ne comprenait pas. Ce joli blond aux yeux bleus était l'homme qu'il aimait ! Il n'y avait aucun doute ! Alors... Pourquoi ne le reconnaissait-il pas ? Se pourrait-il qu'il fasse semblant pour préserver les apparences ? Avait-il... honte de lui ? Non... Impossible. Pas l'homme qu'il aimait ! Il était juste, honnête ! Jamais il ne briserait son cœur sciemment ! Jamais. Dépité, totalement perdu, il ne prit pas de commande. Il s'excusa et partit. Il n'était plus d'humeur pour le cabaret et sa joie de vivre. Il avait besoin de réfléchir.

Finalement, une fois rentré chez lui, André n'arriva pas à trouver le sommeil, ne pensant qu'à l'homme qu'il aimait. Nous n'étions qu'au tout début de décembre. Était-ce trop tôt pour que Guillaume se souvienne de lui ? Ou fallait-il tout simplement qu'il lui raconte leur histoire afin d'obtenir un éveil de sa mémoire ? Que devait-il faire ? Ha... Si seulement sa mère était toujours de ce monde ! Elle aurait su comment agir et l'aurait aidé ! Mais... Il ne devait pas se montrer égoïste. Sa mère se trouvait désormais auprès de son père, l'homme qu'elle aimait et qui lui avait été retiré si brutalement ! Oui. C'était à lui de résoudre ses propres soucis. Il allait bien trouvait une solution !

Pour commencer, il avait besoin de le revoir. Cette envie le tiraillait. De savoir que son amant était là, si proche, dans la même ville que lui, envoyait un nouveau souffle à sa vie si morne... Il ne l'avait pas vu depuis si longtemps ! Il avait une envie terrible de l'embrasser, de le toucher, de l'enlacer... Mais il se devait de se contenir s'il ne voulait pas l'effrayer. Ou être rejeté...

Le soir suivant celui de leur rencontre, André avait pris sa décision. Il allait lui raconter leur histoire et verrait bien ce qui en résulterait. Qu'avait-il à perdre, de toute manière ? Alors, il attendit le petit matin que le cabaret ferme et lorsqu'il vit celui qui hantait ses pensées, son cœur rata un battement. Guillaume... Il était en vie. Là, devant ses yeux, à quelques mètres de lui. Son cœur se gonflait de joie à sa vue.

En l'observant, il pouvait noter quelques différences avec son ancienne apparence. Ses beaux cheveux blonds étaient bien plus longs et ses vêtements décontractés avec sa veste épaisse et cette chemise ouverte de plusieurs boutons sur son torse malgré le froid ambiant n'étaient pas du tout le genre d'habits qu'il portait auparavant. Pour le reste, il était identique à celui qu'il avait connu. Il devait d'ailleurs être âgé de vingt-sept années. L'âge qui était le sien, la dernière fois qu'il avait été en sa présence...

Il s'approcha lorsque le jeune homme entreprit de fermer la porte du cabaret à clé.

-Bonjour, Baptiste. Puis-je vous parler un instant ? lui demanda-t-il en restant éloigné de quelques mètres car il ne désirait pas lui faire peur.

Il le vit tout de même sursauter.

-Ho ! Bonjour ! Heu... Je ne sais pas... J'aimerais vraiment rentrer chez moi dormir.

-Oui, je m'en doute... dit-il d'une voix dépitée. Excusez-moi mais j'aimerais réellement vous expliquer ma réaction de la dernière fois lorsque je vous ai vu.

Il l'entendit soupirer en se passant la main sur la nuque.

-Bien. Écoutez, je veux bien passer chez vous ce soir, si vous le voulez. La nuit prochaine, je ne travaille pas.

André lui fit son plus beau sourire et accepta avec enthousiasme. Il lui donna son adresse en lui expliquant les chemins à prendre et le laissa partir. Alors que Baptiste rentrait dormir, troublé par cette rencontre étrange, lui se dirigea à l'orfèvrerie.

La journée passa rapidement, André était très occupé. Il fit tout ce qu'il put pour se concentrer sur son travail car il ne pensait qu'à Baptiste qu'il allait voir ce soir. Arriverait-il à se contenir et à ne pas le toucher ? Rien n'était moins sûr. Il lui manquait tant...

Lorsque l'heure du départ sonna, son cœur battait à toute allure. Il se dépêcha de rentrer au cas où Baptiste arriverait tôt. Et puis, il désirait se rafraîchir un peu, se présenter sous son meilleur jour pour... lui plaire. Depuis combien de temps n'avait-il pas ressenti cette envie ? La réponse était simple. Depuis Guillaume, l'homme qui occupait tout son cœur.

Il ne lui fallait pas plus d'une quinzaine de minutes pour arriver chez lui. Il n'avait pas besoin de nettoyer ou ranger, tout était déjà fait car il était un homme qui ne supportait pas le désordre. Il avait toujours été ainsi et malgré les années passées, il ne changeait pas. Il ne perdit pas de temps pour se dépouiller de ses vêtements, remplir sa bassine d'eau, se nettoyer et se vêtir de ses habits du dimanche. Un coup de peigne dans ses cheveux courts et il était prêt.

À peine arrivé en bas des marches, quelqu'un tapa à la porte. Il s'empressa d'aller ouvrir, l'estomac serré. Il appréhendait beaucoup la réaction de Guillaume. Ou plutôt de Baptiste. Baptiste... C'était un joli prénom. Il trouvait qu'il lui allait bien. Il fallait seulement qu'il s'y habitue.

-Bonsoir ! s'exclama-t-il dans un sourire si éblouissant qu'il fit battre plus fort, le cœur du jeune homme aux cheveux blonds.

-Bonsoir, lui répondit en retour Baptiste dans un sourire poli en entrant dans la maison.

Après leur avoir servi une boisson chaude, tous deux se trouvaient installés autour de la grande table du salon. André put remarquer que Baptiste semblait un peu gêné. Il attendait son explication. Alors, il commença à conter son histoire...

Guillaume et lui avaient grandi ensemble dans le même village. Enfants, ils passaient beaucoup de temps à jouer à la ferme auprès des animaux sous le regard attendri de sa mère. Adolescents, ils préféraient faire de longues promenades loin de l'autorité parentale et l'été, aller nager au lac. Puis un jour, arriva ce qui devait arriver. André était un jeune adulte de vingt-et-un ans. Guillaume se trouvait dans sa dix-septième année. Malgré son jeune âge, ce fut lui qui fit le premier pas en sachant qu'André ne se serait jamais permis de faire quoi que ce soit de déplacé.

Ces derniers temps, l'adolescent avait senti leur rapprochement. La manière dont ils se regardaient avait changé. Quelques semaines auparavant, il avait même surpris les yeux d'André se poser sur ses fesses alors qu'il se vêtait, suite à une de leurs baignades. Sur le moment, il s'était senti choqué et s'était dit qu'il avait sans doute mal vu. Mais... la nuit venue, lorsqu'il avait repensé à ce regard empli de désir pour lui, sa main s'était d'elle-même glissée sur son ventre pour venir attraper l'objet de son plaisir tendu, en pensant au beau visage de son ami. Il s'était imaginé que cette main n'était pas la sienne mais celle d'André. Des interrogations s'étaient formées dans son esprit. Que ressentirait-il si ses mains le caressaient ? Quelle serait la sensation de ses lèvres sur les siennes ?

Il avait déjà pris en flagrant délit, deux de ses camarades s'embrassant, cachés derrière une grange. Bien sûr, il s'agissait d'un garçon et d'une fille ! Mais... Serait-ce si différent ? Il ne s'imaginait pas embrasser une fille. Non. Étrangement, embrasser un homme lui semblait plus... normal. Ou plutôt, embrasser André lui paraissait naturel. Et c'est ainsi qu'il vint dans sa main, en s'imaginant des fantasmes que la société aurait réprouvés. Des pensées impures... Cependant, il n'arrivait pas à le regretter. Il voulait savoir ce que cela lui ferait d'être intime avec le bel homme qu'était devenu André. Lui qui était souvent courtisé par les femmes de son village mais qui n'avait pas l'air de s'en soucier. Guillaume savait qu'un jour, il se marierait, c'était dans l'ordre des choses. Alors il ne voulait plus perdre de temps.

Le lendemain, sa décision prise, il partit rejoindre son ami au lac. En arrivant, son cœur rata un battement. André était déjà nu. Il se tenait debout et lui tournait le dos. Le soleil faisait scintiller l'eau qui lui arrivait jusqu'en haut des cuisses. Guillaume le trouva particulièrement beau et resta figé à côté des arbres, à l'observer. Ce fut André qui rompit ce moment lorsqu'il se tourna et le vit. Un sourire éclaira son visage.

-Bonjour, Guillaume ! Qu'est-ce que tu fais ? Viens me rejoindre ! L'eau est bien fraîche !

Guillaume ne dit rien. Il s'avança vers lui sans le quitter des yeux. Leurs regards restaient rivés l'un à l'autre. André sentait que son ami n'était pas comme d'habitude. Il le regarda venir à lui et sans même se déshabiller, entrer dans l'eau. Il ne s'arrêta qu'à quelques centimètres de son corps.

-Guillaume ?

Ce dernier ne dit toujours rien. À la place, il posa ses mains sur le torse bien bâti d'André, lequel frissonna sous ce contact inattendu. Guillaume les remonta lentement jusqu'à sa nuque sur laquelle il appuya doucement afin qu'il se penche vers lui. Leurs lèvres n'étaient plus qu'à un souffle et ce fut André qui combla cette distance qu'il restait entre eux.

Leurs lèvres se caressèrent enfin, apprenant à se connaître. Puis le baiser se fit plus profond lorsque la langue d'André osa s'aventurer dans la bouche chaude de Guillaume. Contrairement au plus jeune, le plus âgé des deux avait déjà embrassé une fille par curiosité. Il connaissait son succès auprès de la gente féminine et adolescent, voulant faire taire ses véritables envies, il avait flirté sans aller bien loin.

Ce fut à cet instant que leur relation prit un nouveau tournant bien plus intime, en phase avec leur attirance et leurs véritables sentiments. Ils s'embrassèrent encore et encore, s'enlaçant enfouis à moitié dans le lac sous un soleil brûlant...

Revenant à la réalité, André n'eut pas le temps de parler du jour où il avait perdu son amant et du pacte qui en avait résulté car Baptiste se leva si rapidement que la chaise tomba rudement sur le sol.

-Vous... Vous êtes en train de me dire que vous êtes un de ces pervers qui aiment les hommes ? dit-il, son visage exprimant son dégoût.

-Quoi ? Je...

-J'ai eu la gentillesse de venir jusqu'ici parce que je m'étais dit que peut-être, je vous rappelais votre petit frère qui n'était sans doute plus de ce monde ! Ou une autre personne de votre famille ! Ce qui expliquerait votre attitude étrange envers moi ! Mais JAMAIS, JE NE ME SERAIS ATTENDU À... ÇA !

Sans plus de cérémonie, il se dirigea d'un pas rapide jusqu'à la sortie. André se sentait perdu. Il s'attendait à être traité de fou mais certainement pas à un rejet mêlé de dégoût ! Il se leva et attrapa le bras du jeune homme avant qu'il n'atteigne la poignée de la porte.

-Lâchez-moi ! s'exclama Baptiste en essayant de se dégager.

Mais André ne voulait pas le lâcher. Il l'avait enfin retrouvé ! Pourquoi ne se souvenait-il pas de lui ? Son cœur saignait ! Il n'en pouvait plus... Alors il plaqua Baptiste contre son corps et l'enlaça doucement mais fermement pour qu'il ne s'échappe pas et l'écoute.

-Comment peux-tu nous avoir oubliés ? demanda-t-il d'une voix brisée. Comment peux-tu me rejeter ? Après tout ce qu'on a vécu ?

-Lâchez-moi !

-Je t'aime.

Il attrapa la main de Baptiste qu'il posa sur son torse, là où se trouvait son cœur qui battait rapidement.

-Tu sens les battements ? Mon cœur ne bat que pour toi. Seulement pour toi. La vie sans ta présence à mes côtés est vide, insoutenable... Je t'ai toujours aimé et ça ne changera jamais. Tu peux me rejeter, mon amour, mais mes sentiments pour toi ne s'éteindront pas !

Sa déclaration faite, il le lâcha avec regret. André ne voulait certainement pas lui faire peur ou encore moins lui faire de mal ! Il voulait seulement lui dire ce qu'il ressentait. Il espérait que quelque chose s'éveillerait en lui à son contact mais Baptiste se recula comme s'il avait été brûlé et partit en courant, laissant la porte ouverte sur le froid hivernal. Il disparut dans la brume glacée, alors qu'André s'effondrait de désespoir sur le sol...