Le Skeld glissait dans l’espace noir comme un fantôme. À bord, le calme régnait. Trop calme. Les couloirs, d’ordinaire bourdonnants de pas, n’étaient plus que silence et soupirs métalliques. C’était l’heure où le vaisseau se mettait en veille… et où les ombres devenaient plus longues.

Gris suivait Black sans un mot, à travers les trappes de maintenance et les conduits d’aération. Son petit cœur cognait dans sa poitrine, comme si son corps tout entier tentait de l’empêcher d’avancer.

Devant lui, Black ne parlait pas. Il n’avait pas besoin. Sa simple présence suffisait à faire ployer l’air autour de lui.

Finalement, ils atteignirent la cafétéria. Une lumière pâle clignotait au-dessus d’un banc. Un joueur était assis là, seul. Lime. Avec sa petite couronne toujours un peu de travers sur le casque. Il mangeait tranquillement une ration tiède, les jambes pendantes, sans se douter qu’un fantôme approchait.

Gris s’arrêta, figé. Il avait reconnu Lime tout de suite.

— Non... murmura-t-il.

Black, toujours dans l'ombre du couloir, ne dit rien.

— Pourquoi lui ? chuchota Gris. Il est... il est gentil. Il me disait bonjour tous les matins...

Aucune réponse.

— Il a même partagé sa boisson avec moi hier... Sa voix se brisa, faible. C’est pas un méchant.

Black fit un pas en avant, sa silhouette à peine visible dans le noir.

— C’est toi qui décides. Tu veux survivre… ou mourir comme ton père ?

Gris baissa les yeux, et l’image de son père lui revint. Ce casque gris, brisé par le vide. Le bouton rouge. Les cris. Les accusations.
Il n’avait rien fait… et pourtant, ils l’avaient éjecté.

Gris serra les dents.

Black lui tendit un couteau de maintenance.

— Tu n’es pas là pour juger, Gris. Tu es là pour devenir fort. Pour leur rappeler… que l’ombre, elle aussi, a un cœur.

Gris prit la lame. Elle était légère. Trop légère pour porter autant de poids. Il la regarda, longuement. Puis il leva les yeux vers Lime.

Lime fredonnait doucement. Une chanson. Enjouée, naïve.

Gris s’avança.

— Lime...

Le petit bonhomme vert se retourna, surpris, mais souriant.

— Oh ! Gris ! Tu m’as fait peur. Qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?

Gris resta immobile. Le couteau caché dans son dos.

— Tu veux une bouchée ? J’ai un reste de riz à la tomate… il est pas trop froid encore.

Gris sentit ses yeux piquer.

— Pourquoi tu es toujours gentil avec moi ? demanda-t-il, la gorge nouée.

Lime haussa les épaules.

— Parce que t’as l’air triste. Et je sais ce que c’est, d’être seul.

Un long silence.

— Tu vas bien, Gris ?

Gris sentit la lame trembler dans sa main. Il recula d’un pas.

— Je suis désolé…

— Hein ? De quoi tu parles ?

Gris ferma les yeux. Et frappa.

Un petit cri. Puis le son mat d’un corps qui tombe.

Il rouvrit les yeux. Le sang coulait lentement sur le sol métallique, presque silencieux. La couronne de Lime roula au sol.

Gris recula, les yeux grands ouverts. Il tomba à genoux, tremblant.

— Qu’est-ce que j’ai fait…

Black s’approcha lentement, sans un bruit. Il posa une main lourde sur l’épaule du garçon.

— Tu as fait ton devoir. Alors sois heureux. Tu n’auras jamais d’ennemi plus facile à abattre.

Gris ne répondit pas. Il regardait la couronne, posée dans une flaque rouge.

Il n’était plus un simple enfant. Il venait de faire son premier pas… dans l’ombre.