2082 Katioucha
Le commandant de batterie marchait pesamment, emmitouflé dans son manteau de fourrure. Ses lourdes bottes s'enfonçaient à chaque pas dans le sol humide.
Il finit par arriver près du poste de commandement mobile. Il sifflotait un petit air joyeux tandis qu'il s'approchait de la dantesque machine. Un véhicule blindé bardé d'antennes de radio et hérissé de canons.
Le commandant jeta un regard vague au loin et vit que tout avait l'air en place. Tout en chantonnant, il ouvrit la portière et grimpa dans le véhicule.
"Elle marchait et chantait une chanson
Sur un aigle des steppes gris,
Sur son véritable amour
Dont elle gardait les lettres."
Sans cesser de chanter il retira sa chapka et la posa sur le tableau de bord. La radio émettait un grésillement continu. Il tourna les boutons jusqu'à être sur la bonne fréquence et entendit la voix du contremaître artilleur.
- "Camarade commandant, à vous! Vous me recevez?"
Le commandant s'interrompit dans sa chanson pour répondre:
- "Je vous reçois. Quelle est votre situation ?
- On a fini de charger les projectiles. On attend des ordres.
- Positionnez vous et attendez mon commandement pour tirer! Il me faut une confirmation du général. Terminé."
Il bidouilla la fréquence tout en reprenant sa chanson d'un ton calme et décontracté.
"Ô toi, chanson, petite chanson d’une jeune fille,
Vole vers le soleil brillant.
Et, à la lointaine frontière, rejoins le soldat
Et salue-le de la part de Katioucha."
- "Commandant Verchinine!" Fit une grosse voix dans la radio. Ici le général Molotov. Vous me recevez ?
- Je vous reçois mon général.
- Bien. Les batteries sont en place ?
- Elles devraient bientôt l'être.
- Bien. Placez vous sur la fréquence de Grazni, et attendez confirmation pour faire feu. Terminé."
Le commandant lâcha un soupir et sortit un cigare de la poche de son manteau tout en modifiant la fréquence. Il alluma son cigare et commença à se détendre en chantonnant:
"Qu’il se rappelle d’une jeune fille ordinaire,
Et entende son chant,
Qu’il préserve la Mère Patrie,
De même que Katioucha préserve leur amour."
Le couplet terminé il se plaça sur la fréquence de Grazni. Aussitôt il entendit la voix acide lui crier dessus.
- "…ondez bon sang! Ici le commissaire Grazni! Répondez tout de suite commandant!
- Ici le commandant Verchinine, monsieur.
- Camarade Verchinine, ne nous faites pas perdre plus de temps. L'ordre est arrivé du Prescient lui même ! Ouvrez le feu et lancez l'opération ! Pour la gloire de l'Union et pour le peuple !
- Pour l'Union!
- Que la colère du Prescient s'abatte sur cette vermine ! Lancez l'attaque !
- Tout de suite monsieur."
Verchinine coupa la radio, puis s'installa confortablement dans son siège et tira un coup sur sa cigarette avant de recracher calmement la fumée par les narines.
Il ralluma la radio. La régla. Et dit:
- "À mon commandement, que toutes les batteries fassent feu en même temps. Dans trois… deux… un… maintenant."
Puis se calant dans son siège, il admira le début du feu d'artifice en chantant:
"Les pommiers et les poiriers fleurissaient,
La brume recouvrait la rivière.
Katioucha marchait sur la berge,
Sur la berge haute et abrupte."
Un grondement de tonnerre retentit. Méthodiquement, l'orchestre infernal se mît en branle. L'air devint électrique, et l'atmosphère frissonna d'horreur. Des milliers de lumières apparurent tandis que les missiles montés sur des camions quittaient leurs rampes de lancement et s'élançaient rageusement avec un déchaînement de flammes. Dans une synchronisation parfaite, une première volée de projectiles décolla. Puis une deuxième. Puis une troisième. C'était un crescendo de puissance militaire dévastatrice. Et quand tous les projectiles furent partis, que les machines infernales se furent tues, ce fut le début de la grêle de feu et de mort.
Poltava était une ville sans aucun renfort militaire particulier. Quelques murs entouraient le centre ville où se trouvait la centrale à fusion nucléaire, et des gardes protégeaient les nombreux complexes industriels. C'était pour sa majeure partie une cité abritant des habitations civiles. Des immeubles d'habitation, des écoles et des magasins. Tout prit feu en un rien de temps. Les missiles disloquèrent les murs les miradors et les quelques tourelles de défense. Des flammes se propagèrent partout et les immeubles commencèrent à s'effondrer. La centrale dût être mise en quarantaine en urgence. La population s'agitait, les pompiers ne savaient plus où donner de la tête.
Lorsque le général Molotov fut informé de la situation, il lança un regard à la masse d'hommes qu'il avait devant lui.
Ils étaient plus de dix milliers. Hommes et femmes indistinctement, vêtus d'un uniforme rudimentaire, de couleur marron sale. Équipés de simples fusils mitrailleurs à baïonnettes et soutenus par une centaine de chars d'assaut.
La loi de l'Union Soyuz indiquait que tous les jeunes gens devaient servir huit ans dans l'armée. La plupart des jeunes soldats que le général avait sous les yeux avaient à peine dix huit ans, et un instant il songea qu'il pourrait être souhaitable de négocier la reddition de l'ennemi de sorte à épargner des vies. Mais son regard s'arrêta alors sur le commissaire politique qui se tenait à côté de lui. Cet homme portait un uniforme bleu avec un long manteau noir et une casquette marquée d'une étoile bleue. Son visage glabre et taillé à la serpe était tourné vers le général et son regard était si intense que ses yeux paraissaient près de lui sortir des orbites. La volonté du Prescient était que soit lancée une charge héroïque démontrant le zèle et la vigueur des soldats de l'union. Molotov ne pouvait pas se permettre d'être avare en zèle.
Le général saisit le sabre qu'il avait à la ceinture. Il dégaina et le brandit au dessus de sa tête.
- "Soldats de l'Union ! Le Prescient vous voit, et je veux qu'il soit fier de vous ! Soldats ! Brisez la citadelle ! Ruinez l'armée du Commonwealth honni ! Montrez leur la force du peuple ! Chargez !"
Ce discours était moins pour les soldats que pour le commissaire. Au final, ce sont les caporaux de chaque régiment qui donnèrent en même temps des coups de sifflet. Aussitôt les soldats s'élancèrent en pleine course vers l'ennemi. Poussés par la terreur. Des agents de la police en uniforme noirs les suivaient au pas, l'arme au poing. Menaçant d'abattre sans pitié quiconque n'avancerait pas assez vite.
La ville fut submergée par un raz de marée humain. Les soldats du Commonwealth ripostèrent avec leurs armes terrifiantes qui fauchaient les hommes par dizaines, consumant leurs corps dans des flammes multicolores. Mais les guerriers de l'union avançaient. Telle une nuée d'insectes, ils se précipitaient dans la ville en abattant tout individu se mettant sur leur route. Les chars chargeaient par les flancs, écrasant sous leurs chenilles d'aciers aussi bien les os que les décombres.
Petit à petit, les forces du Commonwealth durent reculer. Les Soyuz les poursuivaient, ne s'arrêtant que pour jeter des grenades dans chaque maison.
Les ordres étaient clairs.
"Avancez sans vous arrêter ! Tuez tous les civils! Démolissez les infrastructures ! Ne laissez ni humain ni xénos vous échapper ! Frappez le Commonwealth jusqu'à ce que mort s'ensuive !"
Tels étaient les paroles du Prescient lui même. Le but de cette attaque était de provoquer une réaction de la part du Commonwealth. De les forcer à envoyer toutes les forces à leur disposition pour venir en aide à Poltava. Il fallait qu'ils soient choqués et qu'ils ressentent l'urgence d'une intervention rapide.
Une explosion dantesque résonna au loin. Une colonne de poussière et de fumée s'éleva depuis le centre de la ville et des sirènes d'alarme emplirent l'air. Une partie de la centrale à fusion nucléaire venait d'exploser.
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