La vengeance est un plat qui ne devrait pas se manger

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Assis comme il était, devant la table en bois, on aurait dit un petit écolier. Un gentil petit écolier qu'on aurait saucissonné à sa chaise. Sauf que Stéphane n'avait rien de gentil. Bruno lui envoya son poing en guise de salut. La lèvre du gosse éclata sous ses phalanges.

« Arrêtez, je vous en prie. » Pas vraiment une voix, juste un souffle. « Pitié, arrêtez. »

Sa lèvre fendue pissait du rouge. Le sang lui coulait du menton pour tacher son T-shirt blanc. Stéphane avait déjà le visage gonflé par les coups, coloré d'hématomes jaunâtres. Des gouttes d'eau mouillaient ses cheveux. La cave avait toujours été humide, à cause de la tuyauterie qui n'en finissait jamais de pleurer.

Laurent lui en recolla une sur la pommette.

« Non, on va pas arrêter, lui dit-il. On ne fait que commencer.

  • Mais vous êtes des flics, putain ! » Il avait craché de la bave en hurlant. Un filet de salive reliait ses dents teintées de pourpre. « Vous êtes des flics !
  • Et toi un sale fils de pute », répondit Bruno en se frottant le poing. Les coups commençaient à le marquer, lui aussi. « Je te jure que tu vas regretter d'être né.
  • Arrêtez-moi, s'il vous plaît ! » Les larmes recommençaient à couler. « Je vais tout avouer, je vous jure ! »

Bruno fourra une clope dans sa bouche et craqua son briquet. La flamme repoussa l'obscurité, mais pas très longtemps. Juste assez pour que la cigarette s'allume. Et puis l'ampoule poussiéreuse se retrouva à nouveau seule pour s'occuper des ombres.

« Non, trancha-t-il en lui soufflant la fumée au visage. Non, on va pas faire ça. Tu sais pourquoi ? »

Stéphane secoua lentement la tête. Sa lèvre enflait déjà.

« Réponds, quand on te pose une question.

  • Non, je sais pas.
  • Et toi, Laurent, tu sais pourquoi ?
  • Ouais, répondit celui-ci en allumant une clope à son tour.
  • Demande-lui pourquoi. »

Stéphane ne dit rien. Alors Bruno toqua sur son front. Une seule fois ; très fort.

« Pourquoi ? Geignit le gamin.

  • Parce que tu vas ressortir, lui répondit Laurent. Parce que tu vas prendre quatre ou cinq ans, grand max, et que tu seras sorti dans deux ou trois si tu te tiens bien.
  • Et il sait de quoi il parle, on en a coffré plein des types comme toi. On s'emmerde à vous arrêter, et vous sortez de taule après une paire d'années. Et puis vous recommencez.
  • Non, non, je recommencerai plus, je vous jure ! s'empressa de dire Stéphane.
  • Si, tu vas recommencer, continua Bruno. Et tu vois, j'en ai pas du tout envie.
  • En fait, c'est un service qu'on te rend, lui expliqua Laurent. Tu sais comment on appelle les mecs comme toi, en cabane ? Les pointeurs. Et les taulards aiment pas du tout les pointeurs.
  • Et moi non plus je les aime pas. Surtout quand ils s'en prennent à ma fille ! »

Le gamin eut un mouvement de recul. Insuffisant, mais ça n'empêcha pas Bruno de l'attraper par les cheveux et de lui tirer la tête en arrière.

« Je te faisais confiance, je t'ai laissé sortir avec ma fille. Et toi, qu'est-ce que t'as fait ? Tu l'as violée, espèce de petit enfoiré de merde ! » La fumée lui sortait de la bouche et du nez, comme il hurlait au visage de Stéphane. Il le cogna à nouveau au front ; plein de petits coups répétés, jusqu'à ce que le gosse le supplie de le lâcher. « Tu pouvais pas garder ta nouille dans ton froc, hein ? » Il tira une latte, faisant rougeoyer le bout de sa clope. « C'était trop compliqué de te branler ? »

Toc, toc, toc.

La peau de Stéphane vira au rouge, là où le flic s'acharnait à frapper.

« Je suis désolé ! Je vous ai dit que j'étais désolé, putain ! Je suis désolé, d'accord ?

  • T'es désolé ? T'entends ça, Laurent ? Il est désolé.
  • J'entends, j'entends.
  • T'as pas fini d'être désolé, mon gars. Tu vas être désolé d'être né. »

Il envoya la table voler d'un coup de pied, pour s'asseoir à califourchon sur l'ex-copain de sa fille, mordant la cigarette pour garder les deux mains libres.

« Viens tenir sa tête ! »

Laurent s'exécuta en se plaçant derrière le garçon.

« Bouge-pas !

  • Non, arrêtez ! S'il vous plaît arrêtez ! »

Il criait, suppliait de le laisser partir, pendant que Bruno cherchait à lui ouvrir la paupière.

« Bouge-pas, putain ! »

Il la trouva, et l'écarta pour découvrir un globe affolé, qui courait de droite à gauche et de haut en bas, comme s'il voulait s'enfuir. Satisfait, Bruno tira une longue bouffée, puis retira la clope de ses lèvres de sa main libre. Et Stéphane hurla, quand le bout de cigarette plongea sur sa pupille, et que son œil cloqua de l'intérieur. Bruno prit soin de bien écraser le mégot, jusqu'à ce que les volutes disparaissent, et qu'il ne reste que les cris et une odeur de cochon brûlé, laissée par les quelques cils inférieurs consumés par la chaleur. Maintenant la paupière ouverte, le flic souffla à l'intérieur pour disperser les cendres noires qui couvraient son œuvre.

« Alors, qu'est-ce que t'en penses ? demanda-t-il en s'essuyant la bouche d'un geste nerveux.

  • Je trouve que ça lui va bien, répondit Laurent. »

Il n'y avait plus qu'un voile blanc, encore marqué de quelques traces sombres : une coque lactescente qui couvrait son iris. Stéphane n'avait même plus la force de hurler. Il gardait la tête en arrière, le visage crispé par la douleur. Les tendons de son cou saillaient sous la peau, déformant sa bouche qui riait à l'envers. Les larmes giclaient de son œil restant, glissant jusqu'à son oreille. Un fleuve de douleur.

Bruno dévissa le bouchon d'un flash de vodka, la main tremblante. Il avala une longue gorgée de courage, et passa la bouteille à son partenaire. Sa fille aussi, avait beaucoup pleuré. Elle pleurait encore, quand il l'avait trouvée dans sa chambre, assise dans un coin, entre le meuble-télé et l'étagère, sa chemise et ses collants déchirés. Elle lui avait ordonné de sortir, mais il ne l'avait pas écoutée. À la place, il l'avait rejointe avec ses propres larmes. Il n'avait rien dit, en remarquant la tâche de sang sur son chemisier. Stéphane lui avait mordu le téton, si fort qu'il l'avait arraché. Enragé, il alla remettre la table à sa place.

Pitié ! Stéphane avait les lèvres retroussées sur ses dents, et l’œil mort grand ouvert. Son visage tressautait, secoué par ses sanglots. Stop, pitié.

Bruno ne l'entendait plus. Il détacha la menotte accrochée à l'accoudoir de la chaise pour la passer autour d'un pied de table, de façon à ce que le bras de Stéphane reste allongé.

Je suis désolé, j'ai fait une connerie je suis désolé. S'il vous plait, j'ai que dix-sept ans me faites pas ça !

« Nolwenn a seize ans, et ça t'a pas empêché de la bousiller. Ferme ta gueule et garde ton souffle, tu vas en avoir besoin. Crois-moi, t'as pas fini de crier. Laurent, passe-moi le sac. »

Laurent obéit. Il apporta un sac de sport, déjà ouvert. Bruno fouilla à l'intérieur, et en retira une boite de clous et un marteau. Voyant qu'il avait la main trop fébrile pour ouvrir le carton, son partenaire s'en occupa. Le père de Nolwenn renversa la moitié de son contenu, avant de réussir à saisir une tige d'acier.

« Non, non pas ça ! » fit Stéphane. « Non non je vous en supplie ! »

Bruno piqua le revers de sa main, juste entre les deux jonctions de l'index et du majeur. Mais le garçon essayait de fuir, tirant sur les menottes jusqu'à ce qu'elles lui déchirent la peau du poignet.

« Viens tenir sa main. Mets-là bien à plat. »

Quand il parvint à mettre le clou droit, pile à l'endroit où il voulait, il frappa la tête à grands coups de marteau.

Une fois

Deux fois

Trois fois

Il entendit les os craquer en s'écartant, et la tige pénétrer la table. Le sang bouillonnait sous l'acier, se répandait sur la main comme une araignée. Les doigts de Stéphane vibraient, agités par les nerfs en feu. Alors Bruno posa le fer du marteau sur son pouce.

« C'est pas encore fini », dit-il alors que le garçon grognait sans l'entendre. Il s'était mordu l'intérieur de la joue pour lutter contre la souffrance, ajoutant un filet de sang à celui de sa lèvre fendue.

Le flic leva l'arme au-dessus de sa tête, et l’abattit de toutes ses forces. La frappe résonna sourd contre la table. Il n'y avait pas de pouce sous l'arrache-clou, juste du bois fracassé. La main de Stéphane avait disparu ; ne restait plus qu'une tige de métal imprégnée de carmin. Le violeur venait de s'arracher la paume pour sauver son doigt. Une fente déchirait une partie de sa main en deux, et le cercle de fer mordait son poignet à sang.

Laurent détourna le regard, le poing collé à la bouche. Bruno esquissa un sourire nerveux, avant de libérer le garçon de ses menottes. Ce dernier ramena son membre estropié à lui, contre sa poitrine, tachant plus encore son T-shirt blanc.

« T'as soif ? » demanda son tortionnaire en prenant une bouteille d'eau et une plaquette de pilules du sac de sport. « Moi oui. » Et il but une rasade de flotte.

Le garçon ne disait plus rien. Il souffrait. Il n'y avait plus que ça.

« Ça me plaît pas de faire ça, tu sais. Mais je dois le faire. Pour Nolwenn. C'est pour elle que je fais ça. Tu peux t'en prendre qu'à toi-même, c'est de ta faute. Rien que de ta faute. » Il but encore. « Il faut que je m'assure que tu recommenceras pas, tu comprends ? Et je dois envoyer un message à tous les salauds dans ton genre. Je dois faire un exemple. » Il extirpa une pilule bleue de la plaquette.
« Maintenant, tu vas avaler ça. Ouvre la bouche. » Bruno dut forcer l'entrée, mais ce n'était pas bien difficile. « Allez, bois », commanda-t-il en versant l'eau dans la gorge.

« Je crois qu'il a eu son compte, osa Laurent.

  • Non, pas encore. On fait ce qu'on a dit. On doit aller jusqu'au bout. Donne l'autre truc, le temps que ça fasse effet. »

Alors Laurent tendit la lime à Bruno, qui alla se placer derrière le monstre qui avait violé sa fille. Il la glissa entre ses lèvres, maintenant sa tête en la ceinturant avec son bras. Et il commença à frotter contre les incisives, de plus en plus vite, jusqu'à râper l'émail et la dentine ; jusqu'à atteindre la gencive et limer la pulpe, déchiqueter les nerfs. Jusqu'à ce que les quatre dents supérieures ne soient plus qu'une bouillie rougeâtre mouchetée de blanc. Stéphane se brisa la voix en hurlant, et se mit à convulser comme un épileptique. Laurent tourna le dos, une main frottant son crâne déjà bien dégarnie.

« Putain arrête maintenant ! »

En vain. Le gamin venait de tomber dans les pommes. Sa bouche n'était plus qu'un bain de sang, ses dents de devant avaient presque disparu, rabotées. Le massacre s'étendait jusqu'à la moitié des canines.

« Merde, il s'est évanoui », constata Bruno. Il était blême, écœuré par ce qu'il voyait. Mais ça ne l'arrêta pas. Il commença à déboutonner le pantalon du violeur.

« C'est bon, ça suffit ! fit Laurent en lui agrippant la manche. On arrête-là !

  • Non, c'est pas bon ! » Bruno s'échappa pour poursuivre, glissant le jean et le caleçon de sa victime jusqu'aux chevilles. « C'est la dernière ligne droite, je peux plus reculer. T'es avec moi, ou pas ? T'avais dit que tu m'aiderais, tu te souviens ? Tu te dégonfles, c'est ça ?
  • Non, je me dégonfle pas, répondit Laurent après un moment. Après ça c'est fini.
  • Fini », répéta Bruno.

Il attendit, observant le sexe de Stéphane se gonfler sous l'effet du viagra. Le voilà qui se dressait, l'instrument qui avait brisé sa fille. Il allait le détruire. Mais Bruno voulait que le monstre soit conscient. Il lui fit respirer des sels d'ammonium pour le réveiller.

« On arrive au bout », soupira-t-il en se dirigeant vers la table qu'il avait écartée. Ses outils reposaient dessus, comme les ustensiles d'un chirurgien.

« Je veux que tu réfléchisses bien à ce que t'as fait, pendant que je me prépare. Je veux que tu penses à Nolwenn, au mal que tu lui as fait. »

Une paire de ciseaux, pour couper une sucette et n'en garder que le bâton.

« Elle n'a pas souri une seule fois, depuis que tu l'as violée. Avant, elle souriait tout le temps. Maintenant, elle pleure sans s'arrêter. Elle prend cinq douches par jour, pour essayer de se débarrasser de toi. »

Une pince, pour plier la courbure d'un hameçon, afin que la pointe touche la hampe.

« Elle ne veut plus aller au lycée. Elle ne veut même plus sortir de sa chambre. Elle reste allongée, à écouter de la musique. Elle la met fort, pour qu'on ne puisse pas l'entendre gémir. Mais quand on est père, on sait toujours quand sa petite fille est en larmes. »

Laurent était assis contre un mur, les mains sur le visage.

« Elle ne mange plus, elle ne parle plus. C'est comme si elle avait arrêté de vivre. Je crois même qu'elle ne respirerait plus, si elle pouvait. »

Du fil de pêche, pour le nouer à l'hameçon.

« J'ai peur qu'elle fasse une connerie. J'essaie de lui parler, de lui dire que ça va aller, mais elle ne m'écoute pas. Elle a raison, ça ne va pas aller. Elle s'en souviendra toute sa vie. Elle ne t'oubliera jamais. »

Bruno passa le fil de pêche dans le bâton de sucette, puis tira, jusqu'à ce que la hampe de l'hameçon soit entièrement rentré. Il s'avança vers Stéphane, s'agenouilla entre ses jambes, et attrapa son pénis d'une main ferme.

Oneêaaa oniéé iéé ouenui euiéoé iéé

Le garçon essayait de parler, mais il n'y arrivait plus, à cause de ses dents envolées qui le faisaient bien trop souffrir.

Iéé ouenui

« C'est bientôt fini »

Bruno lui enfonça l'hameçon et le bâton de sucette dans l’urètre. Doucement. Lentement.

« Arrête de bouger, ça sera pire. »

Aaaaan aaan aaaaan aaaaaan

Rien que des gémissements inaudibles, poussées par une voix cassée.

« C'est bientôt fini. »

Laurent restait prostré contre son murs. Ses mains avaient rejoint ses oreilles.

« C'est bon », dit Bruno, quand le bâton fut presque entièrement enfoncé. Il palpa la base du sexe, et Stéphane tressauta de douleur. Puis il retira le bâton, très lentement, pour ne laisser que l'hameçon à l'intérieur du pénis. Alors il enroula le fil de pêche entre ses doigts.

Ooon ooon iééé iééé ooon ouenuii ooon

Encore plus de larmes.

Bruno se releva, et observa le visage massacré de Stéphane. Son œil, sa bouche. Puis son regard glissa sur sa main mutilée, qui n'avait pas quitté sa poitrine. Puis il descendit jusqu'à son sexe, d'où sortait un fil, presque invisible dans la pénombre de la cave.

Et il tira, aussi fort qu'il put.

Stéphane hurla, malgré sa voix brisée et l'épuisement. Un cri ininterrompu, haché par une toux larmoyante.

Bruno recula, et se mit à dégueuler le contenu de son estomac en voyant le gland déchiré en deux par l'hameçon. Rien que de la bile, car lui non plus n'avait rien avalé depuis un moment.

Le garçon sautait sur sa chaise, faisant décoller les quatre pieds du sol. La douleur venait lui redonner vie. Il hurlait toujours, comme si ses cordes vocales n'avaient plus besoin d'air pour vibrer ; sa bouche édentée déformée par la souffrance, son œil mort grand ouvert.

Et puis une détonation claqua dans la cave, résonnant dans l'espace étriqué. Le pistolet de Laurent fumait, agité de tremblements. Tout comme Stéphane, encore vivant, en dépit de la balle qui lui trouait l'arcade. Sa jambe frétillait comme un poisson hors de l'eau.

Laurent tira une deuxième, puis une troisième fois, lui pulvérisant le haut du crâne. Et lui aussi, commença à vomir.

Bruno s'était trompé, mais il ne s'en rendit compte que bien plus tard. Ce n'était pas terminé. Ça ne le serait jamais. Il allait revivre ce moment à chaque fois qu'il fermerait les yeux pour s'endormir. Il ne trouverait jamais plus le sommeil, entre les murs de sa cellule.

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