Chapitre 1: Adéria, la fugitive
La pluie coule dans mes cheveux, ruisselle sur mon front. Le ciel de la ville est enragé de me voir partir. Il aurait voulu me garder dans sa prison de fumée et de crasse. Continuer à briser mes nuits, encore et encore, de ses coups de tonnerre.
Moi, ça fait depuis longtemps que je ne pleure plus, à partir du jour où j'ai réalisé que les autres se serviraient de mes faiblesses contre moi. À ce moment-là, j'avais trouvé un sens à ma vie: survivre. Cela peut sembler simpliste et étrange comme concept mais c'était la seule chose qui me maintenait, à l'époque où je n'étais pas libre.
Je suis libre maintenant. Merveilleusement libre. Je ne serai plus jamais encagée, je me le jure à moi-même, je le jure sur mon coeur. Je me répète cette promesse en descendant la rue principale, celle qui mène à la gare. Mes parents ne m'ont pas dit adieu, ils étaient trop occupés à essayer de comprendre ma décision, et à la condamner. Les derniers mots que j'ai entendus de leur part étaient: «Tu es devenue folle».
Oui, je suis devenue folle. C'est toi, maman, qui m'a rendue folle avec ta protection obsessionnelle, toi, papa, qui a provoqué mon départ par tes préjugés. Vous saviez tous les deux, depuis le jour où vous m'avez emmenée dans cette ville maudite, qu'un jour ou l'autre je la fuirais, et vous en même temps.
J'ai en poche mon diplôme d'études secondaire et un billet de train. Dans mon sac, mon portefeuille, mon passe-port au cas où et plusieurs vêtements de rechange. La pluie redouble d'intensité. Je me réfugie dans un abri à trois murs, attendant le train, et j'entends les gouttes tomber comme des flèches sur le toit. L'eau dévalera la rue jusqu'à la maison que j'ai quittée, reflétant les couleurs fades de cette ville chaotique. Je m'empare de mon téléphone et je visse mes écouteurs à mes oreilles. Une balade de Fred Pellerin vient s'accorder au rythme de la pluie. Le vent vient me pourchasser jusque dans l'abri et fait frissonner ma chair de femme en fleur.
Bientôt, je n'aurai plus besoin de musique, ni de mots. J'aurai la berceuse de la brise entre les branches des arbres, au coin du feu, avec des rires, des applaudissements et des étincelles. Bientôt, le vent ne me giflera plus.
J'attends. Je grelotte. Mon reflet dans la vitre me fait les gros yeux. Je ne suis plus Adéria-l'effacée, je suis Adéria-la-conquérante. Je ne devrais plus trembler mais mon corps en a décidé autrement. Alors, pour oublier le froid, je regarde le verre miroir se dégivrer doucement, réchauffé par mon souffle. Mon visage dans la glace est le même qu'avant: pas magnifique, pas horrible. Mais mes yeux océans ne sont plus bordés par le chagrin et mes cheveux noirs sont plus libres, plus rebelles. Tout comme moi.
Le train arrive. Je suis seule à la gare qui n'en est même pas une, qui est juste un abri fouetté par le vent, et je monte à bord. Direction Waswanipi, un village perdu entre les lacs, au nord-ouest de Montréal, au bout d'un monde que je pars enfin retrouver.
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