8 — Rhéa Valentii (1)
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La pièce était spacieuse et semblait tout aussi décoré que le reste de la villa, sans la moindre fenêtre, la pénombre y régnait en maître. Cordélia tourna les talons en direction du couloir de l’aile pour revenir avec le chandelier du poste de garde des deux mercenare. Les lueurs pâles des bougies dévoilèrent une imposante étude dans le fond surplombée d’une peinture. Un portrait d’un homme pâle au port altier et aux longs cheveux blonds revêtu d’une armure étincelante de pied en cap, Orél Valentii. Alessia s’en approcha tandis que Daguefilante refermait la porte derrière eux. Elle y trouva des plumes et lettres à l’encre à peine sec ainsi que plusieurs carnets et une bouteille de vin vide. Elle s’était attendue à plus de la part du fameux rival qui causait tant de soucis à Arenius de Castell.
Cordélia la rejoignit et dirigea les flammes vers la partie gauche de la pièce. Entre deux bibliothèques, se trouvait une cellule aux barreaux épais dont Daguefilante s’empressa de déverrouiller à l’aide de son crochet, laissant le soin à Alessia de l’éclairer. Derrière la grille, elle pouvait deviner les contours d’un coffre-fort massif dont le bois était renforcés par des plaques de fer. La porte s’ouvrit sans poser trop poser de difficulté à Daguefilante qui semblait particulièrement doué dans l’art du crochetage.
— C’est cette chienne de Rhéa qui a insisté pour m’enfermer ici la nuit, histoire que je ne tente rien de fâcheux. Même si elle m’a fait mettre à l’écart la seule fois qu’elle a ouvert le coffre, j’ai pu observer une partie de la séquence puis tester une bonne partie des combinaisons la nuit dernière. Je devrais pouvoir rapidement l’ouvrir.
Daguefilante s’agenouilla au niveau du coffre et commença à tourner le cadran tout en posant une oreille pour entendre les cliquetis du mécanisme. Alessia avait toujours du mal à croire les explications de sa sœur d’arme. Elle avait le sentiment que Cordélia lui cachait quelque chose.
— Pourquoi est-ce Rhéa qui détient la responsabilité du coffre et non pas Orél ? lança Alessia à Cordélia.
— Un peu silence, s’il te plaît. Encore des questions ? marmonna-t-elle à voix basse. Orél Valentii est un ivrogne et un incapable, un homme de paille pour mieux dissimuler les ambitions de sa femme. C’est ce que j’ai découvert lors de ma captivité, Rhéa est la tête pensante.
— Alors pourquoi t’avoir gardé en vie si c’est Rhéa la véritable maîtresse de la propriété ?
— Tu me soupçonnes à nouveau ? pesta-t-elle. Le coffret que m’a confié Varius de Castell est lui aussi fermé par une combinaison dont j’étais la seule à connaître. Je l’ai négocié contre ma survie, satisfaite ? Tu aurais agi de même à ma place.
Cela avait le mérite d’expliquer les libertés dont disposait Cordélia, en conclut Alessia en son for-intérieur. Cependant, son instinct lui soufflait que ce n’était pas tout. Elle se retint de l’interroger davantage, consciente qu’il fallait qu’elles en finissent le plus rapidement. Daguefilante fit tourner à plusieurs reprises le cadran et enchaîna plusieurs combinaisons. Alors que l’écoulement des minutes semblait s'accélérer de plus en plus d’après la perception d’Alessia, celle-ci laissa échapper un nouveau juron avant de frapper le coffre du plat de sa dextre.
— Scélerita ! C’est impossible, j’ai essayé toutes les combinaisons ! s’emporta-t-elle. Quelqu’un a dû la changer, c’est la seule solution possible !
— Laisse-moi faire, je vais essayer quelque chose, énonça avant de lui tendre le chandelier.
Daguefilante la fixa d’un rictus contrarié avant d’accepter la requête de sa sœur d’armes. Elle se releva et laissa Alessia s’abaisser au niveau coffre-fort. Ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait face à ce genre, mais elle n’avait jamais essayé d’en forcer un. Elle posa la main sur le cadran et elle commença à le tourner. Un picotement surgitaux limites de sa psyché. Elle déploya son Don au travers du coffre. Elle ne tarda pas à ressentir une aura familière. Celle de Rhéa Valentii. Elle ferma les yeux et une main fantomatique apparut dans son esprit. Sans qu’elle n’ait à intervenir, le cadran se mit à tourner et les cliquetis des disques s’enchaînèrent un à un. La porte s’ouvrit.
— Comment as-tu réussi à trouver la bonne combinaison ? s’exclama Daguefilante avec surprise.
Alessia ne répondit pas immédiatement. A l’intérieur, elle ne tarda pas à découvrir un pile de coffrets remplis très certainement d’aquil d’or et pierres précieuses. Cependant au sommet de ces derniers s’en trouvait un qui attira de suite son attention. D’une facture supérieure aux autres, il avait été réalisé dans un alliage de métaux inconnu d’Alessia. D’un bleu très foncé qui tirait sur le vert parcouru de veines et de stries d’argent.
— Disons que nous avons chacun nos petits secrets se contenta de rétorquer la jeune femme avant de confier le coffret à Cordélia.
Sa sœur d’arme ne tergiversa pas davantage et s’en empara aussitôt. D’un geste rapide et méthodique, elle le déverrouilla avant d’en ouvrir le rabat. L’intérieur dévoila un écrin d’une forme vaguement ovale. Il était vide. Quelqu’un nous a devancées, en conclut Alessia en son for intérieur puis son sang se glaça. Ou il s’agit d’un piège !
Au même moment, la porte du bureau s’ouvrit avec fracas et une nuée de bottes pénétra à l’intérieur de la pièce. Les mercenare de la villa dégainèrent de leur glaive. Alessia chercha Daguefilante du regard. Elles étaient prises au piège sans la moindre échappatoire. Sa sœur d’armes leva les bras en signe de reddition. Alessia était toujours dans la cellule, hors du champ de vision des mercenare
— Bonté d’Aëlrys, c’est quoi ce foutoir ! rugit Aredan encadré par quatre de ses hommes. Ses prunelles firent des allers-retours entre les deux cadavres et le fond de la pièce. J’aurais dû me douter que tu tenterais quelque chose. On aurait dû te tuer, salope des Castellans !
Alors que le capitaine des mercenare s’apprêtait à se rapprocher, Daguefilante fit un discret mouvement de la main en direction d’Alessia. Elle prit le coffret qu’elle venait de refermer et s’avança dans la direction d’Aredan.
— En effet, tu m’as pris la main dans le sac, honoré Capitaine, s’exclama Cordélia d’un ton moqueur. Je me rends, j’espère que tu n’es pas trop fâché ?
Alessia se recroquevilla le plus possible dans un coin de la pièce et ne fit plus le moindre bruit. Elle tendit le bruit sec d’un poing qui heurte un visage suivi d’une chute, le chandelier s’écrasa au sol. Puis deux paires de bottes s’avancèrent pour relever Daguefilante qui n’essaya même pas de débattre.
— Mon avis importe peu, tu en répondras devant Dame Valentii, rétorqua Aredan avec dédain. Il est temps que l’on se débarrasse de l’immonde cafard que tu es.
La jeune femme resta cachée dans les ténèbres. Une silhouette s’avança jusqu’à la cellule et elle tourna le chef dans sa direction. Alessia déploya une fraction de son Don. Le mercenarii se contenta d’un bref regard puis claqua la porte entrouverte avant de s’éloigner. Une poignée de secondes s’écoula puis Aredan et ses hommes quittèrent le bureau en compagnie de Daguefilante.
Enfin seule, Alessia se permit enfin de relâcher sa respiration. Elle se demandait encore par quel miracle elle avait réussi à s’extirper de cette situation. Depuis Vlaken, jamais elle n’avait ressenti aussi facilement le Don. La toute-puissance du Pouvoir s’écoulait dans ses veines, près à répondre au moindre de ses désirs en un claquement de doigts. Un fait tout à fait extraordinaire après tant d’années à refouler ses talents d’æthérian.
La mercenarii repoussa ses pensées futiles, elle était encore loin d’être tirée d’affaire. Par chance, les hommes d’Aredan n’avaient pas pris la peine de verrouiller à nouveau la cellule. Elle se leva pour retourner à l’entrée du bureau. Que devait-elle faire ? Son infiltration avait failli tourner au fiasco, le coffret et Daguefilante maintenant hors de sa portée. Que pouvait-elle faire davantage ? Depuis le début, elle avait eu conscience que ses chances de succès étaient minces. J’ai encore la possibilité de m’en sortir en vie sans déclencher un bain de sang. Je dois m’enfuir. Les tunnels sont ma meilleure option. L’attention des mercenare focalisés sur la capture de Daguefilante, la vigie de la cave ne devait plus compter qu’un homme ou deux.
Alessia se plaqua contre les battants de la porte qui fermaient l’accès du bureau d’Orél Valentii et lança ses sens de l’autre côté. Ne percevant aucune âme de l’autre côté, elle l’entrouvrit avec précaution, puis une fois certaine, elle émergea de l’autre côté. Elle regagna à tâtons le couloir qui menait à l’aile pour ensuite rejoindre le rez-de-chaussée via l’escalier. Alors qu’elle s’apprêtait à s’engager sur celui-ci, un bruit caractéristique lui parvint en contrebas. Ses prunelles papillonnèrent à la recherche d’une issue, elle ne pouvait pas prendre le risque qu’on la surprenne à nouveau à l’étage. Une chambre était encore à sa portée, mais elle doutait que celle-ci soit libre ou même ouverte. Alors que l’écho des pas se rapprochait, Alessia due prendre une décision. Elle se cacha derrière un grand rideau de soie destiné à camoufler une fenêtre délabrée dans l’angle de la cage d’escalier. Après tout, elle n’était plus à une pantalonnade près.
À nouveau, la jeune femme retint son souffle tandis que deux individus passaient nonchalamment à quelques centimètres d’elle, sauvée par la pénombre qui régnait à l’étage de la villa. Elle jeta un coup d’œil discret une fois ces derniers éloignés. Un homme à la démarche peu assuré avançait de front tenant devant lui une lampe à huile, accompagnée d’une dame au teint de bronze, un panier accroché dans son dos. Ce sont Orél Valentii et Irène ! déduit Alessia. Peut-être que tout n’est pas encore perdu !
Tandis que le couple commençait à emprunter le même chemin qu’Alessia naguère, la jeune femme entreprit de les suivre sans se faire remarquer. Ils continuèrent leur chemin au-delà de l’aile où se trouvait le bureau jusqu’à ce qu’Orél mette un terme à sa marche, manquant au passage de se prendre les pieds dans le tapis qui recouvrait le parquet.
— Mais mon seigneur, vos quartiers ne se trouvent pas ici, roucoula Irène. Nous y serons bien plus tranquilles, n’est-ce pas ?
— Oh, mais mon cousin ne m’en voudra pas d’emprunter sa chambre ! rétorqua Orél complétement ivre avant de chercher au niveau de son trousseau à clé. Après tout ne suis-je pas chez moi ? Puis je n’ai aucune envie de souffrir de la vue de ma harpie de femme !
Non sans rencontrer quelques difficultés, le fier patricien finit par réussir à s’emparer de la bonne clé et faillit bien s’engouffrer tête la première dans le vide si Irène ne l’avait pas rattrapé par le bras au dernier moment. Elle le suivit ensuite à l’intérieur de la pièce. Alessia se rapprocha et patienta quelques minutes avant d’entrer à son tour. La chambre lui parut en tout point similaire à celle qu’elle avait visité auparavant au détail près qu’aucune personne inconsciente ne devait se trouver en dessous du lit à baldaquins. À cela, s’ajoutait l’existence d’une petite porte dans le fond, à proximité d’une fenêtre. Orél essayait d’ouvrir celle-ci tandis qu’Irène faisait tout pour l’empêcher de mettre son plan à exécution.
— Mon seigneur, arrêter, je vous en prie ! s’écria-t-elle. Le balcon est trop dangereux, vous risquez de faire une mauvaise chute !
— Je ne saurais craindre une telle atteinte à ma réputation, ma chère ! s’exclama Orél avant de retirer le chapeau qui siégait sur son chef pour tenter de faire une révérence. En tant que futur prætor de Dalata, je me dois de saluer le bas peuple en toutes circonstances !
Ils n’avaient pas encore remarqué la présence d’Alessia. Sur sa gauche à proximité du lit, la jeune femme reconnut le panier à serpent d’Irène. Elle s’en approcha tandis qu'Irène tâchait de convaincre le patricien ivre de se tenir tranquille. Elle ouvrit le couvercle y glissa sa main y jeter le moindre regard. Alessia serra les dents et réprima un haut-le-cœur tandis que ses doigts se faufilaient entre les anneaux des reptiles. Elle pouvait sentir le contact glacé de leurs écailles visqueuses. Elle tâtonna davantage tout en essayant de réprimer sa répulsion naturelle. Sa dextre finit par se refermer sur un toile de jute caché dans le fond. Elle le retira avec précaution afin d’éviter de déclencher l’ire des reptiles puis elle referma le panier.
— Oh c’est toi, Læssia ? Viens donc m’aider à raisonner Messire Valentii ! fit Irène qui venait enfin de remarquer la présence de la jeune femme.
Alors que la mercenarii les rejoignait dans le fond de la chambre, une fugace expression de peur balaya les traits de la danseuse aux serpents, comme si elle venait de saisir ce que sous-entendait la présence d’Alessia à deux pas du patricien. Elle s’écarta en arrière. Alessia attrapa Orél par l’arrière du col et tira pour le forcer à la suivre. Il émit un cri de surprise et se mit à battre des bras. Il empestait le vin. Sans lui laisser la moindre possibilité de se libérer, la jeune femme le traîna pour ensuite le pousser dans le lit.
— Mais quelle est donc cette folie, Irène ? poursuivit le patricien qui se contenta de rester avachi sur la couche. Puis il remarqua enfin la présence d’Alessia, à peine éclairée par la lampe à huile. Je ne savais pas que tu avais enfin décidé de laisser participer tes soeurs lors de tes danses ophidiennes ! Quelle surprise !
— En effet, allez quérir nos sœurs, Irène. Je vais m’occuper de Messire Valentii en attendant, déclara Alessia à l’attention de la danseuse.
Irène ne chercha même pas à argumenter et se retira aussitôt de la chambre. La jeune femme commença à desserrer les lacets de son corset. Il était temps pour elle qu’elle arrête de jouer un rôle. Tandis que c’était au tour de la robe, Orél se contenta de rester coi. Elle n’était même pas certaine qu’il avait les yeux bien en face des trous.
— Rapproche cette satané lampe à huile, que je puisse te contempler correctement ! ronchonna le patricien qui glissa jusqu’au bord du lit. Je suis impatient que tu me montres l’étendue de tes charmes.
Alessia n’était plus revêtue que de son chemisier et de ses braies. Elle s’éloigna pour retrouver son sac de toile et en retira ses deux dæmorias qu’elle accrocha à sa ceinture.
— Eh bien, que fais-tu ? Je commence à m’impatienter ! Rapproche-toi un peu !
La mercenarii s'exécuta puis dégaina Crépuscule au dernier moment. Elle approcha la pointe de la gorge d’Orél.
— Je suis désolé, mais me voici contraint de mettre un terme à vos festivités, énonça Alessia d’un ton glacial. Levez-vous, Messire Valentii. Essayez de vous enfuir et je vous tue. Essayez d’alerter vos gardes et je vous égorge.
— Mais quelle est donc cette farce que tu me chantes là, ma belle ? rétorqua Orél avec un sourire béat. Serait-ce une nouvelle prestation que propose la Jouvencelle ? — Il s’écarta de la pointe et commença à fixer le tranchant. Il posa le doigt sur le fil et se coupa instantanément — Outch, mais c’est une vraie !
La jeune femme l’attrapa par ses bottes et le traîna hors du lit d’un geste sec. Le patricien laissa échapper un nouveau cri de surprise avant de se réceptionner sur les coudes. Elle le menaça à nouveau de sa dæmoria.
— Je ne me répéterai pas une seconde fois, poursuivit-elle. Vous allez vous relever sans faire d’histoires si vous tenez à la vie.
Il s’exécuta non sans éprouver quelques difficultés au passage, ses mouvements alourdis par l’excès d’alcool. Il observa à nouveau Crépuscule, cette fois-ci bien consciente de sa dangerosité.
— Ainsi, c’est donc un jeu de rôle ! Les prodigues de Catalina ne cesseront donc jamais de m’étonner ! s’écria Orél avec entrain. Ainsi suis-je la dame en danger et toi le brigand qui tente de m’enlever ? Il poursuivit avec un ton qui se voulait théâtral. Que puis-je faire pour vous convaincre de me laisser la vie sauve ? C’est de l’or que vous souhaitez ? — Il pointa du doigt les deux anneaux étincelants qui pendaient à son oreille droite — Je peux vous en faire cadeau si vous le souhaitez !
Alessia se contenta de l'observer en silence. Elle commençait sérieusement à perdre patience. Daguefilante avait donc raison, Orél Valentii n’était qu’un ivrogne et un incapable libidineux. Il était frêle et doté d’un léger embonpoint, ses mains impeccables et graciles témoignant d’une vie éloignée de toute forme de labeur.
— Ce n’est pas ton argent qui m’intéresse, Valentii. Tu vas me conduire à ta femme et ensuite, je te laisserai partir.
— Ainsi, Rhéa fait donc partie de la combine ? Cela m’étonne d’elle… Cette soirée se montre particulièrement riche en rebondissements, ma foi ! C’est entendu, me voici donc contraint de vous suivre, malfaitrice !
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