Des nouvelles du soir

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Connaissez-vous ce lieu ?

C’est un endroit si grand qu’on dirait l’extérieur.

Des ampoules improbables déversent une lumière jaune,

si apaisante.

Un lieu dormant aux murs lointains et noir-de-suie.

On s’y sent comme chez soi, un peu comme dans un rêve

où les places inconnues viennent pourtant de si près,

du plus profond de nous,

à notre insu.

Familier et étrange dans un même mouvement,

intérieur et extérieur mélangés, mêlés,

moi-même y suis perdu.

Pourtant, sûr de mes pas, je le traverse comme

une habitude.

Au loin, derrière les murs, (mais qu’y a-t-il au-delà ?)

j’entends la rumeur d’une fête.


Des conversations à bâton rompu,

un rythme lancinant,

des cris et des rires.


Une voie ferrée court de part en part,

se perd d’une bouche à l’autre dans deux obscurités.

Il y a un quai au centre mangé par une brume

légère

que viennent caresser les sphères éclairantes.

Peut-être qu’un train tardif passera... Je ne sais pas.

Là-bas, une bâtisse.

Un lieu dans le lieu.

Rectangulaire et fait des mêmes briques noires.

Son faîte est décoré de bois. Une petite porte en métal perturbe la façade lisse qui me fait front.

Je m’y dirige.

J’ouvre.

Un réfectoire d’école, avec comme des îlots

de lavabos sales qui s’enfilent trois par trois,

en carré, au milieu.

Je m’avance doucement, j’explore ce non-lieu.

Une baie vitrée me laisse à voir une forêt

de pins se détachant dans la nuit sans étoile.

La lumière de la pièce en éclaire la lisière.

Rien ne semble bouger.


La nature elle-même est comme un décor, peinte au mur, en trompe-l’œil.

C’est pourtant bien le dehors qui est là, séparé du dedans par cette fine couche de verre, sécurité illusoire.


J’entends un bruit d’eau.

Mais il n’y a personne d’autre que moi ici.

M’aurait-on suivi ?


Je faisais alors face au mur, détaillant une série de carreaux mouchetés de boue -saleté incongrue dans ce sanctuaire - quand je me retournai brusquement.


Que faisait-elle là ?


Petite, un bonnet camouflant ce qui semblait être une chevelure brune et courte, emmitouflée dans un blouson beige qui lui arrivait tout juste à la taille.


Son beau regard craintif et sombre protégé

par des lunettes épaisses et carrées me glaca.

Elle s’approcha.

Près.

Tout près.

Sa bouche aux lèvres fines, mi-ouverte ou mi-close,

exhalait un nuage de buée odorante,

de cette odeur du corps, ni mauvaise, ni bonne.

Ses yeux sont allongés, en amande.

Son visage est d’une rondeur enfantine.


Que me veut-elle ?

Je suis collé contre le mur aux carreaux sales.

Elle s’approche encore et m’enserre doucement.

M’embrasserait-elle ?

J’ai peur.

J’imagine maintenant dans une de ses mains

une lame jouer avec mon col épais.

Je ne la sens pas encore, mais je la pressens proche.

Pourtant, rien ne vient.

Pas une douleur, pas un contact froid et tranchant, pas même un soupçon de menace dans cet air apeuré. Tout juste cette étrange sensation de bien-être mêlé de crainte, comme un plaisir sans confiance, un désir méfiant.


Nous restons là longtemps, à nous regarder, quand

elle me libère enfin.

Je vais à elle.

Que me veux-tu ?

Rien.

Soudain elle fend l’air d’une petite voix minérale.

« As-tu eu des nouvelles du soir ? »

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