Chapitre 39 : Dominer les cieux, révéler les terres (1/2)

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— Votre compagnie a failli, déclara Nasparian. Pourvu que la culpabilité vous ronge.

Au sommet de la tour ne s’entendaient que les grésillements d’une magie immortelle. Guvinor et Akhème échouaient à entrevoir quoi que ce fût depuis les profondeurs de la structure. Le désespoir les guettait alors que les phalanges crissaient sur le manche de leurs lames.

— Vous avez refusé de renoncer, poursuivit Nasparian. Au mépris de mes démonstrations de puissance. Vous qualifier de téméraires relèverait de l’éloge mal placé.

Ils s’y étaient attardés durant l’éternité apparente du silence. Au bord du précipice, l’espoir de ces voix s’était néanmoins éteint depuis longtemps. Demeuraient deux individus projetés dans les hauteurs impénétrables. Équipés peut-être, raidis sûrement, par-devers l’étalage d’un flux ubiquiste.

— Je devrais faire la fierté du clan Kothan, proclama Nasparian. À protéger ces lieux isolés des méfaits de l’urbanisme et du parlementarisme.

Guvinor et Akhème étaient abandonnés dans la nuit. Sous ce firmament noirâtre piqueté d’étoiles, qu’aucun nuage n’obstruait, l’éclat de la sphère prévalait. Jamais Nasparian ne cessait d’en puiser son énergie, même après en avoir provoqué l’effondrement. L’harmonie était créée, l’équilibre était maintenu, au sein d’un cercle où régnait la figure longtemps dissimulée.

La garde braqua une de ses lames en sa direction, fronts et lèvres plissés en avisant son sourire. Elle ne maugréa pas, mais ce fut tout comme.

— Je ne ressens aucune culpabilité, affirma-t-elle. C’est toi qui as causé l’infamie, et maintenant tu blâmes quelqu’un d’autre. Et hélas, tu n’as pas non plus compris les préceptes de notre tribu.

— Parce que tu en es une digne représentante, peut-être ? répliqua Nasparian. Détaille-moi alors les raisons de ton départ.

— Je n’ai rien à te justifier.

— Ha ! À l’instar de Guvinor, tu vas affirmer que le dialogue est une perte de temps ? Vous vous targuez de mépriser la violence, mais vous ne pouvez vivre sans elle.

Un bref ricanement précéda la sombre lueur qui habita Nasparian.

— Je vous ai déjà accordés plus de temps que nécessaire, dit-il. Que sont néanmoins quelques heures après des décennies d’attente ? Divertissez-moi, camarades d’antan, et contemplez votre échec.

Guvinor avait déjà troqué contre la parole son jugement. Ainsi érigé face à son frère, portant ses lames avec fluidité, il s’était établi à hauteur de son garde du corps. Par-delà la pression qu’exerçait la magie adverse, il humait cet air saturé. Il avait posé son regard sur la figure d’une stabilité transfuge.

Quatre lames étincelèrent dans la nuit.

Une fureur silencieuse anima leurs gestes. Mouliner, trancher, fendre, tant qu’ils réduisaient la distance. Au départ, Nasparian les toisait pleinement en générant une égide transparente. Il souriait à l’abri derrière son bouclier. Akhème et Guvinor s’acharnaient, assenant des véloces attaques, jusqu’à le déstabiliser. Nasparian eut beau la renforcer, des lignes de flux se brisèrent sous la multiplication des coups.

Un grondement puis, la contre-offensive. Des rayons lumineux et incandescents s’abattaient sur leurs cibles. Nasparian déployait en continu, peu affecté par l’éblouissement que ses assauts engendraient.

Mais les sorts faiblissaient, défléchis bien au-delà de l’impact. Les lames enchantées en réduisaient leur portée et en contrecarraient leurs effets à elles seules. Affadissement de nuances et grésillements continus cadençaient les défenses des Guvinor et Akhème. D’abord aveuglés, ils se mirent en évidence dans une succession de mouvements, jaillissant rapidement.

Une multitude d’étincelles fulgura aux alentours. Des secousses entamèrent la roche peinant déjà à soutenir le reste de la tour. Il semblait que la sphère ne s’atténuait jamais, aussi Nasparian aspirait son pouvoir en permanence. Il se positionna entre ses deux adversaires. Sur ses poings se canalisa une quantité inouïe de flux.

La collision qui s’ensuivit faillit déchirer les cieux. Comme si des fissures lézardaient l’air environnant, comme si le surplus d’énergie accentuait la pression. Chaque belligérant s’en retrouvait ralenti, s’abandonnant jusqu’au summum des enchantements. Des sifflements aux esquives, des vrombissements aux entrechocs. Sitôt que l’un s’endiguait dans un puits de magie, c’était pour mieux dévisager son opposant.

Guvinor et Akhème se fondirent dans le concert de leurs propres armes. Aux cliquetis de leurs lames s’accompagnaient le chuintement du flux qui les alimentait. Ils s’acharnaient contre Nasparian, mettant à mal ses protections, quitte à s’entrechoquer contre une inextricable vague d’ondes.

Une coruscation issue de la coalescence. Des boucles de flux s’entremêlant entre trois âmes véhémentes. Nasparian, en particulier, s’impatientait davantage à chaque minute. Ses nerfs se tordaient, ses mouvements perdaient en fluidité. Pourtant il continuait à lancer ses sorts avec fracas, réceptacle rivalisant avec l’orbe derrière. Cible aisée à viser, guère à toucher, tant il déviait les estocades le frôlant.

Des estafilades l’atteignaient presque. Pestant, se cabrant, Nasparian projeta du flux qui taillada légèrement le genou de Guvinor. Akhème infligea un coup de pied à son adversaire avant qu’il ne pût enchaîner. Libéré de l’emprise, quoiqu’entamé, le parlementaire s’effaça derrière la silhouette de sa garde du corps.

Deux lames rayonnèrent dans la nuit.

Elle fusa sur un cri, furibonde. Akhème taillada à haut rythme comme l’enchantement amplifiait ses assauts. Elle n’accorda aucun répit à Nasparian, lequel s’échina à bloquer ou à esquiver. Témoin d’une inarrêtable frénésie, sa canalisation relevait du réflexe, alors que les flots de magie se heurtaient de pleine impétuosité. En retrait, Guvinor s’efforçait de rattraper son retard, mais suivait à grand-peine les offensives d’Akhème.

Des coups diagonaux percèrent les remparts que Nasparian dressait. La lutte progressant révéla des failles dont Akhème tira avantage en plongeant une de ses lames. Nasparian la déjeta, toutefois sa propre jambe se retrouva entaillée.

Il était proche de flancher. Une goutte de sueur qu’il échouait à dissimuler, un corps qui vacillait presque, un flux peinant à prodiguer guérison. Akhème entreprit alors de porter l’attaque suivante. Sa lame fendrait l’air en un rien de temps. Le vônli entamerait la chair, et dans son sillage annihilerait l’insurmontable magie.

Nasparian attrapa le poignet de son assaillante. S’empara de son arme, et l’empala avec.

Il y eut un moment de suspension. Le temps qu’Akhème s’aperçût que la lame la transperçait toute entière. Proche de choir, elle garda la force de s’orienter vers le parlementaire hagard. Désarmée, elle s’inclinait sous la domination de l’orbe au sommet, tandis que Nasparian s’écartait calmement.

Guvinor ignora la douleur cisaillant sa jambe et se précipita vers sa garde du corps. Des lentes inspirations le hantèrent alors qu’émergeait l’image d’une combattante affaiblie. Tant de tressaillements l’ébranlèrent sous le regard horrifié de celui qu’elle avait fait le serment de protéger.

— Désolée…, souffla Akhème. Je vous laisse… une grande menace… à vaincre.

— Akhème, tu n’as pas à t’excuser ! s’alarma Guvinor. Tu dois…

Déplorer son état acheva son débit. Quand bien même Guvinor la soutenait, enroulant ses bras autour de son corps meurtrie, Akhème s’étendit à jamais. Ses tentatives de s’exprimer s’étouffèrent dans sa gorge comme elle crachait des gerbes de fluide vermeil. Ses yeux délavés se rivaient vers le ciel malgré le soutien de Guvinor.

Quelques ultimes secondes d’agonie, puis ce fut son trépas.

Une par une, les larmes chutèrent autour de la plaie fatale. Guvinor peinait à laisser sa garde du corps, à qui il accordait une pléthore de sanglots. Sa propre souffrance physique disparaissait, mais cette voix effacée engendrait un vide en lui. Peut-être que l’âme serait emportée dans la mélancolie du dernier voyage, il n’en saurait cependant rien. Tout ce qu’il voyait était une amie fauchée si rapidement, succombant devant lui.

Et pour unique autre présence, le frère disparu.

— Tu es seul, lâcha Nasparian. Constate où tes choix t’ont mené. Tu vas perdre tes dernières attaches.

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