Chapitre 29

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Ezéquiel ouvrit les yeux. Il était couché face contre terre. Ou plutôt face contre un sol d’une blancheur immaculée. Il se releva prestement et vérifia qu’il était entier. Constatant que c’était le cas, il poussa un léger soupir de soulagement. Mais ce sentiment ne dura pas car le jeune prince ressentait toujours cette résonnance dans son corps. Bien que celle-ci soit bien plus faible et très supportable par rapport à celle qui l’avait terrassé dans cette pièce souterraine du transporteur.

Il commença par observer les alentours. Où se trouvait-il ? Quelques secondes plus tôt, il était avec Cormack, et maintenant là… Ezéquiel était dans un environnement blanc. Le sol était d’une blancheur épurée, tout comme le « ciel ». Il n’y avait pas de mur nulle part. Seulement une vaste étendue à perte de vue, sans frontière, le cernant de toute part. Un monde blanc.

Il haussa un sourcil et marcha quelques pas. Il se sentait différent ici sans trop savoir pourquoi. Il manquait de quelque chose, se sentait… plus léger ? Non, ce n’était pas exactement ça. Plutôt comme si on lui avait enlevé un poids au sens figuré du terme, le soulageant d’un fardeau. D’abord inquiet, puis surpris, il se palpa une nouvelle fois pour s’assurer que son corps était bien dans le même état qu’à l’habitude. Il remarqua alors que sa propre texture lui était également différente.

Un gémissement dans son dos lui fit faire volte-face pour voir quelqu’un se relever aussi brusquement qu’il ne l’avait fait. Le chevalier porta la main à son épée en découvrant l’environnement dans lequel il avait atterri mais elle n’était plus sur lui. Il parut stupéfait avant de relever un regard hagard à l’attention du jeune prince.

— Ezéquiel, que se passe-t-il ? demanda Bern. Qu’est donc cet endroit ?

Le jeune prince haussa les épaules sans cette habituelle désinvolture qui le caractérisait. Expirant difficilement, il engloba l’environnement d’un mouvement circulaire qui trahissait son impuissance avant de terminer ce dernier en se prenant la tête. Les regards qu’ils échangèrent par la suite reflétaient leurs angoisses partagées.

— Je ne sais pas, Bern, avoua-t-il.

Le chevalier écarquilla les yeux, et dans un premier temps, Ezéquiel crut que c’était parce qu’il lui révélait son impuissance – chose à laquelle ceux qui le côtoyaient n’étaient pas habitués – avant de porter les mains à son torse. Se palpant dans un premier temps, il finit par agripper son plastron avec frénésie.

— Ezéquiel ! cria-t-il. Quelque chose… Quelque chose ne va pas !

— Calme-toi ! ordonna le jeune prince en le rejoignant pour lui attraper l’épaule. Je le ressens aus…

La terreur mêlée d’une douleur bien réelle qui se marqua sur le visage du chevalier le coupa dans sa tentative de réconfort. Avant qu’il n’ait eu le temps de faire quoi que ce soit, le guerrier se jeta au sol avant de rouler sur lui-même en poussant d’horribles hurlements.

— Bern ! cria Ezéquiel en se précipitant sur lui.

Il essaya de maîtriser le chevalier et poussa une exclamation de surprise noyés par les cris de ce dernier. Des flammes bleues apparurent sur le corps de Bern qui se releva pour se jeter à nouveau violemment au sol dans une vaine tentative pour atténuer ces dévoreurs de chair insaisissables. Dans ce monde au silence de mort dans lequel ce soudain vacarme paraissait déplacé, Ezéquiel, choqué, ne pouvait détacher son regard du chevalier en train de se consumer petit à petit. Bern perdait de sa substance alors que le feu le rongeait, prenaient en ampleur et en clarté. Les flammèches s’échappaient de lui en de multiples volutes de couleur. Le feu passa du bleu au blanc en quelques secondes, atteignant son paroxysme sans pour autant dégager la moindre chaleur, seulement une indéfinissable énergie. Finalement, les flammes blanches s’estompèrent d’elles-mêmes, ne laissant plus qu’une ombre sur leur passage.

— Bern… ?

L’ombre se dressa devant lui dans un silence qui s’ajouta à celui de cet environnement blanc. Ezéquiel recula d’un pas, le bras tendu inutilement vers la chose. Ses jambes tremblaient si fort qu’elles avaient du mal à seulement le soutenir.

L’ombre éleva ses mains à hauteur de son visage sans que ses yeux ne soient visibles sur ce dernier puis lui présenta ses paumes. Ezéquiel devina ensuite le regard de la chose remonter le long de ses bras sombres avant de porter ses mains là où se seraient trouvées ses joues.

— Bern ? répéta-t-il en se forçant à avancer vers lui.

Un bruit perça le silence étouffant du monde blanc. Un bruit qui prit en intensité. Avec effroi, le jeune prince s’aperçut qu’il s’agissait du gémissement de ce qui avait été Bern. Un gémissement grésillant, comme filtré, mais qui lui agressa les oreilles avec autant d’efficacité que s’il s’était agi d’un hurlement.

— Bern ! cria Ezéquiel, les mains plaquées sur les oreilles. J’ai besoin que tu te calmes et que tu me laisses réfléchir. Je… je vais trouver un moyen de t’aider, je te le promets !

Mais l’ombre ne cessait de pousser ses gémissements assourdissants. Les bras le long du corps et le visage levé au ciel, elle évoquait un enfant en pleine crise de pleurs. À la différence que le sentiment de perte exprimé par ses lamentations était incommensurable. Il vrillait les nerfs d’Ezéquiel et semblait crisser sur ses os et organes en une effroyable sensation d’outrage. Comme si ce qu’il venait de se produire était une profanation même de la vie et cela l’horrifiait autant que l’idée d’être le prochain à subir ce sort.

Son cœur faillit exploser de panique lorsque, dans le dos de Bern, une brèche fut soudainement ouverte dans l’air. Ce qui s’ensuivit laissa Ezéquiel complètement seul dans ce monde blanc silencieux. Là, les bras ballants et paralysé par la peur, il se demandait s’il avait bien vu cette ouverture sur un monde sombre, ou l’être gigantesque tout aussi sombre qui s’était emparée de l’ombre gémissante. Un être qui, alors que la brèche se refermait à la manière d’un rideau sur une pièce de théâtre, avait posé sur lui des yeux de chat emplis d’une incrédulité malveillante.

— Bern ? appela Ezéquiel en reculant d’un pas.

Sa voix tremblait. Il avait si peur qu’il devait lutter pour ne pas prendre seulement ses jambes à son cou dans cet univers blanc à perte de vue où le silence s’était de nouveau fait assourdissant.

Il commença à observer les alentours avec une frénésie paniquée en sentant qu’on l’observait et poussa un cri étranglé lorsqu’il leva la tête et vit l’être l’épier au travers d’une nouvelle brèche à la manière d’on on examine un rongeur.

Le souffle court, il détala sans demander son reste ou même réfléchir à l’inutilité de sa fuite. Une brèche s’ouvrit sur sa droite, puis sur sa gauche où les yeux de chat le suivirent avec curiosité. Ezéquiel se figea lorsque la brèche apparut au loin devant lui, fit demi-tour avec un glapissement et tomba à la renverse lorsque les deux mains gigantesques ouvrir une fois de plus le monde blanc juste en face de lui.

Dans le trou, une bouche aux dimensions hors normes s’ouvrit très, très en hauteur. Elle était garnie de dents blanches plates et uniformes. Semblables aux dents d’herbivores faites pour mâcher la verdure et broyer les écorces. Elles garnissaient l’intérieur d’une bouche d’une rougeur anormale, presque saignante et sur une langue aussi noire que l’être à qui elle appartenait et dont Ezéquiel n’aurait su évaluer les dimensions.

— Ma Lyrique est ici, déclara l’être avec un mécontentement évident qui fit trembler le jeune prince de la tête aux pieds. Elle est ici et n’a pourtant pas fait ce qu’il était attendu d’elle.

De bras ne tardèrent pas à faire leurs apparitions aux abords de l’ouverture pratiquée par le gigantesque être. Des ombres comme celle de Bern qui paraissaient minuscules en comparaison de celui-ci. Elles tentaient visiblement de s’extirper de leur univers sombre, vers la lumière, et tendaient vers Ezéquiel des bras sans substances.

Il hurla lorsque l’être derrière le monde le saisit par son vêtement entre le pouce et l’index pour l’élever, dans une ascension sans fin, jusqu’à ses yeux de chat. Le regard dont il l’engloba lui fit l’effet de la résonnance qui l’avait terrassé près de la sphère et il hurla encore à s’en percer les tympans.

— Jeune Aliren, tu es la Lyrique, reprit l’être d’un ton qui ne souffrait la moindre contradiction. Tu dois faire ce qu’il est attendu de toi où tous ceux que tu aimes connaîtront des souffrances dont tu n’as pas idée. Tous ceux que tu aimes se verront dépouillés de ce qui fait une âme mais ce seront toujours des âmes.

La résonnance décrut pour se faire à peine supportable et donner conscience au jeune prince du froid qui l’avait envahi au contact de ce dieu du chaos. Des dizaines de questions tourbillonnaient dans son esprit terrifié. Le nom que lui avait donné l’être ou encore ce que signifiait être la lyrique, mais pressentant que son temps était compté, il bafouilla dans un murmure :

— Que va-t-il arriver aux gens que j’aime si je refuse ?

Un sourire se dessina dans le monde sombre et, hurlant de nouveau, Ezéquiel y fut entraîné dans un vertigineux arc de cercle. La peur l’enlaça à la manière d’une serpent visqueux se coulant contre sa peau alors que l’ouverture sur le monde blanc ne devenait qu’une fenêtre lointaine tandis qu’il s’enfonçait dans le monde de ténèbres. Les gémissements des ombres n’étaient guère filtrés ici et la douleur explosa à la surface de son corps alors qu’ils l’agressaient en l’écorchant vif en seulement quelques secondes. Fou de souffrance, Ezéquiel ne pouvait même plus crier tandis qu’il se sentait dépouillé de ses muscles qui se décollaient de ses os en même temps que ses tendons.

— Ils connaîtront pire que la mort, déclara l’être quelque part au-dessus de lui avant de lâcher sa dépouille sanguinolente dans le vide. Ils connaîtront l’horreur.

Le corps engourdi par la violence de ce qu’il venait de lui arriver. Ezéquiel se sentit tomber vers la masse grouillante d’ombres qu’il sentait se délecter de la pluie de ses sangs et chairs. Et c’est avec des hurlements étranglés qu’il plongea en leur sein pour sentir leur bras sans substance se saisir de ses restes avec frénésie.


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