Chapitre 71
— Lamia, es-tu certaine que cela soit nécessaire ?
— Je vous en prie, ma dame ! Juste quelques… instants.
La pupille poussa un soupir à fendre l’âme avant de resserrer les pans de son long manteau bleu nuit. Un bleu nuit qui évoquait bien plus un crépuscule que cette matinée radieuse, pourtant fraîche, par laquelle elles chevauchaient.
Voilà un peu plus de trois jours qu’elles avaient quitté Nabar dans le carrosse personnel d’Artance, et accompagnées des mêmes soldats qui les avaient suivies lors de leur visite chez les Graysons. Un voyage court qu’elles n’avaient pas manqué de rendre plus court encore.
— Il nous a peut-être devancées, avança Clare dont l’impatience se faisait clairement ressentir.
— Jamais ! s’offusqua la dame de parage avec son claquement de langue habituel. Je sais très exactement à quelle auberge il s’est arrêté et nous n’avons plus très longtemps à attendre avant son passage !
Alistair, lui-même, était venu leur souhaiter bonne route et quoique son impassibilité rende la chose difficile, Clare et Lamia n’avaient pas manqué de noter ses réticences à l’idée de les savoir loin de Couliour. Cependant, l’intendant n’aurait jamais osé s’élever contre la volonté d’Artance sur un sujet aussi vital.
La confection d’une robe unique où tous les moyens mis en œuvre se justifiaient amplement aux yeux de la baronne.
— Notre escorte ne va pas tarder à remarquer notre absence, Lamia. Ce ne serait pas la première fois que nous leur faisons un coup pareil. Les chances sont bonnes pour qu’ils arrivent avant lui.
Un autre claquement de langue et Clare leva les yeux au ciel.
La veille, elles avaient insisté pour passer la nuit dans une auberge bordant la frontière d’Itaq, juste après avoir dépassé les sinistres contreforts du Silat au gris permanent. Là, à la barbe des gardes et après un généreux cachet pour l’aubergiste, elles s’étaient mises en selle sur deux hongres fournis par ce dernier au cours de la nuit. Ceci pour cavaler sous l’air nocturne et rejoindre le royaume des Embruns dans la matinée.
Inutile de dire que Clare se trouvait aux prises avec un harassement certain et que patienter sous la brise matinale rendue glaciale par la fatigue n’arrangeait rien. Sans même compter les crampes dues à la chevauchée.
— En effet, ma dame. Les chances sont bonnes pour que votre pessimisme matinal nous porte… malchance.
— Mon pessimisme matinal ? répéta Clare en pinçant les lèvres.
— Ma dame ! s’exclama Lamia. Pensez-vous que j’agisse par futilité ?
— Non, seulement par pure malveillance.
Le sourire diabolique de la dame de parage se dessina sur ses beaux traits encadrés de son éclatante chevelure auburn. Toute de rouge vêtue, elle détonnait dans ce paysage de bord de mer aux conifères abondants tordus par les vents de rivage. Du haut d’un promontoire rocheux, elle guettait l’horizon en direction d’Itaq.
— J’ai été bonne trop longtemps, ma dame. Un long voyage pour atteindre les Baronnies et un séjour bien ennuyeux au sein de Couliour sans personne à qui faire du tort… Trop peu de secrets croustillants. La… bienveillance, à long terme, ne me sied guère.
— Tu as pourtant empoisonné la moitié du personnel de ce même Couliour, si mes souvenirs sont exacts.
— Les insectes dangereux, vous voulez dire… Lamia laissa sa voix en suspens tandis qu’elle se redressait sur sa selle. Plissant son regard de biche qui portait au loin. Oh, mais que voilà…
Clare leva de nouveau les yeux au ciel alors qu’au lointain, se détachait la silhouette d’un cavalier au galop.
— Il est même en avance ! poursuivit Lamia avec joie.
Malgré elle, les lèvres de la pupille frémirent en un imperceptible sourire. Sa fatigue s’envola dans le même temps. Quelques minutes plus tard, le cavalier portant la livrée d’Artance de Nabar s’engouffra dans le goulet qu’elles surplombaient pour en émerger presque aussitôt. Il poursuivit sa route vers Idris, la plus grande ville des Embruns, qui s’étalait à quelques kilomètres sur leur gauche.
— Je crois que notre escorte le talonne, fit remarquer Clare.
En effet, à l’horizon même d’où avait déboulé le premier cavalier, un carrosse cerné d’une troupe d’hommes à cheval arrivaient à leur rencontre à vive allure. Ceci avec presque une demi-journée d’avance sur ce qui avait été établi au préalable.
— Ils auront noté notre absence plus tôt, ajouta Lamia. Il s’agit là d’un timing des plus remarquables, vous ne trouvez pas ?
— Plutôt, un incroyable concours de circonstance, à mon avis…
La plantureuse brune émit un nouveau claquement de langue désapprobateur en faisant tourner sa monture pour rejoindre la route.
— Ce qui est incroyable est qu’ils se trouvent déjà là, ma dame ! Quand je parlais de votre pessimisme matinal… Vous tentez de m’ôter tout crédit à cet interlude dont je nous gâte.
— Quelle susceptibilité, souffla Clare en accélérant pour se mettre à sa hauteur. Laissons donc de l’avance au messager d’Artance et le temps à notre escorte de nous rattraper, qu’en dis-tu ?
— Oh oui ! Laissons surtout au baron Lormet le temps d’organiser sa… fuite.
Le carrosse, ainsi que leur escorte les trouvèrent, toutes souriantes, à l’entrée d’Idris. Ceci avec des expressions mitigées pour les soldats. La plupart d’entre eux étaient habitués aux frasques des deux femmes. Après quelques traits d’humour de Lamia, ils finirent par se dérider et la traversée d’Idris se fit avec bonhomie alors que les chevaux manœuvraient ces étroites ruelles bordées par les maisons mitoyennes. Une demi-heure plus tard, elles franchissaient les grilles d’une imposante demeure pour évoluer le long d’une arche aux murs épais. D’ici leur parvenaient les cris d’un homme à première vue nerveux, et il s’agissait là d’un euphémisme. Beuglant des ordres à tout va, il semblait sur le point de prévenir à l’arrivée d’une catastrophe naturelle de grande ampleur.
— Chargez-moi ces charriots plus vite ! Argh, vous l’avez fait tomber, bandes d’incapables ! Avez-vous la moindre idée de ce que ça me coûte ?! Non… Laissez ça ici, nous n’avons pas le temps ! La roue du carrosse est voilée ?! Par les Architectes ! Tant pis, donnez-moi un cheval ! Je dois être parti avant…
Elles débouchèrent dans la vaste cour qui ressemblait désormais à un véritable champ de bataille orchestré par un homme d’âge mûr et de taille moyenne. Son ventre bedonnant débordait de sa chemise de nuit et ses cheveux ébouriffés encadraient ses yeux veinés de rouge.
À leur arrivée, il se décomposa et ses bras, bouffant de dentelles, ballèrent le long de ses flancs.
— Dame Clare… dame Lamia… Quelle bonne surprise ! éructa-t-il péniblement avec un sourire grimaçant. Je… ne vous attendais pas si tôt.
— Vraiment, cher baron Lormet ?! s’extasia Lamia. Artance de Nabar ne vous a-t-elle pas fait parvenir un billet signalant notre arrivée ?
Le baron jeta un regard en coin à l’homme en livrée sur le départ et qui, en réponse, se contenta d’hausser les épaules avant de prendre la direction de l’arche.
— En effet, admit-il sombrement en avalant sa salive. C’est juste que…
— Je suis ravie de vous retrouver, cher baron ! intervint Clare en descendant de cheval. Cela faisait trop longtemps que nous ne vous avions rendu visite. Je n’ai plus le compte.
— Un an, huit mois et six jours, clarifia son interlocuteur d’une voix chevrotante.
— Si longtemps ?! se confondit joyeusement Lamia. Il n’est pas étonnant que nous nous languissions de vous et de votre… domaine. Mais je suis au regret de vous dire que nous ne sommes là que pour quelques semaines.
— Tant que…, s’étrangla le baron avant de se reprendre. C’est… une grande nouvelle mais…
— Imaginez notre stupeur en arrivant, enchaîna Clare tout en avisant la cour. Nous avons presque cru que vous étiez sur le point de partir.
— Eh bien…
— C’était avant de vous voir au sortir du lit, poursuivit-elle comme s’il n’avait pas ouvert la bouche. Regardez-vous ! Sitôt la nouvelle de notre arrivée entendue, vous vous précipitez, toujours endormi, pour nous recevoir… J’en suis bouleversée !
Elle fit mine de s’essuyer une larme imaginaire tout en échangeant un sourire attendri avec Lamia.
Le baron Lormet, lui, se trouvait au bord de véritables larmes.
— C’est juste que j’avais cette affaire… Cette livraison pour mon confrère du Silat. Des denrées précieuses, voyez-vous. Sa voix perdit graduellement en intensité alors que les deux femmes tournaient vers lui des regards dangereux. Des produits si frais, si fragiles…
Il s’interrompit et ses lèvres tremblèrent. Avançant d’un pas, Lamia prit la parole.
— Aussi frais que ceux que vous avez fait parvenir à Nabar en notre honneur. Pour combler le vide provoqué par votre… absence.
Le baron sembla se ratatiner sur place alors que la plantureuse brune poursuivait tout en avisant Clare dont la mine se fit grave.
— L’espace d’un instant, nous avions pensé que vous nous… évitiez, cher baron Lormet.
— Ja… jamais ! Enfin, pourquoi…
— Tu vois Lamia, je t’avais pourtant dit que le baron Lormet n’était pas ce genre d’homme… Elle offrit son bras au bedonnant et malheureux bonhomme tandis que sa compagne l’imitait. Sa bonne volonté ne fait aucun doute !
— Comment ai-je pu seulement en douter ? se désola la dame de parage alors qu’elles escortaient l’infortuné baron dans la montée des escaliers, et le ramenant ainsi dans ses locaux.
— Ce que nous pouvons être garces, parfois…
Alors qu’elle proférait ces paroles, les lèvres de Clare frémirent tandis que le baron Lormet, aussi décomposé qu’abattu, acquiesçait sans même s’en rendre compte. Derrière eux, les domestiques continuaient de s’affairer, de même que leurs gardes qui prenaient le soin de desceller les chevaux. Ils se relaieraient à la surveillance de cette villa des Embruns sans venir pour autant importuner la pupille et sa dame de parage.
Comme à Kerville, elles avaient leurs habitudes en ces lieux.
Ce n’est que quand elles pénétrèrent dans le grand hall vide de monde qu’elles firent tomber un semblant de masque.
— Nous partons dans la matinée, cher baron, commença Clare. Vous ferez le nécessaire pour nous faire embarquer à bord du bateau qu’il vous plaira, ceci avec certaines recommandations pour l’équipage.
— Vous nous couvrirez comme à l’habitude, enchaîna Lamia. L’air des Embruns ne sied guère à la pupille qui est, une fois de plus malade. En ce qui me concerne, je suis à son chevet tout en travaillant sur l’une de mes œuvres et nous ne désirons aucunement être dérangées. Pour le reste, vous devrez recourir à votre imagination.
Le pauvre homme tomba à genoux, les forçant à le lâcher. Les épaules tremblantes, il gémit :
— Vous n’imaginez pas le calvaire que cela a été pour moi, à chaque fois ! La pupille et la plus brillante artiste d’Irile ne peuvent disparaître comme ça sans éveiller les soupçons. Vous me mettez dans une situation impossible ! Est-ce que vous imaginez ce qu’il me coûte à vous couvrir ? Ou ce qu’il me coûterait si quelqu’un venait à tout découvrir ?
Clare s’accroupit pour lui faire face et écarta ses mains manucurées de son visage larmoyant. L’englobant de son regard si particulier, elle susurra :
— Vous vous en sortirez admirablement bien, comme à votre habitude.
Relevant la tête, le visage poupon du baron se para soudain d’une expression de défi. À la manière d’un enfant en rébellion.
— Je pourrais aussi refuser…
— Vous pourriez, acquiesça Clare, impassible avant d’ajouter. Lamia ?
— Vous pourriez, cher baron Lormet ! s’exécuta celle-ci avec un diabolique contentement. Mais alors nous pourrions révéler vos fréquentations de milieux et de personnes. Certains marchés en Irile et à… Nérith dont vous ne pouvez faire part aux autres barons. De même que vos liens avec certains royaumes du Croissant et ces transactions sur lesquelles vous fermez les… yeux. Ce sont vos bateaux qu’ils utilisent, n’est-ce-pas ?
Elle marqua une pause durant laquelle elle fit mine de réfléchir.
— Je me demande à quelle hauteur se chiffre la… compensation ? Elle délaissa cette mine songeuse alors qu’elle s’éclairait. Mais n’ayez pas le moindre doute, je vais le découvrir sous peu !
— Vous êtes pires que des tourmenteurs ! s’écria Lormet avec horreur.
— Vous n’imaginez même pas, mon cher ! s’esbaudit Lamia avant que son regard de biche ne se fasse aussi froid que la glace. J’ai également ouï dire que la baronne d’Itaq comptait, depuis peu, un baron parmi ses amants. Pensez-vous que l’effacé Neville restera aussi stoïque lorsqu’il apprendra que l’un de ses « confrères » profite de ce jardin qui lui est depuis longtemps… interdit ?
À cette menace à peine dissimulée, Lormet se décomposa une fois de plus. Le sang quitta son visage poupon pour ne laisser qu’un profond désarroi ainsi qu’une frayeur palpable à l’idée que la dame de parage mette ses dires à exécution. Cependant, peu enclin à l’idée d’abandonner, il changea de tactique et se tourna vers Clare.
— Vôtre Altesse, supplia-t-il en lui prenant les mains. La princesse d’Irile n’a que faire d’aller se perdre dans ce dédale de luxure qu’est le Croissant. Si vous y réfléchissiez, je suis certain que vous trouveriez d’autres festivités pourvues d’un caractère plus approprié à votre condition… Si vous me laissiez organiser une soirée adaptée à une noblesse en quête de sensations fortes ?
La pupille, amusée, pencha la tête en dévisageant le baron des Embruns. Lui seul s’était tissé sa vérité. Pour lui, Clare et Lamia, ennuyées par leurs vies de conforts et d’apparences, passaient par son fief pour rejoindre les soirées enflammées des Moyens Royaumes. À l’évidence, et malgré les informations qu’elles détenaient sur lui, il se trouvait à des lieues de s’imaginer que les deux femmes puissent être des tourmenteurs.
La pupille et la plus brillante couturière d’Irile, les plus incroyables des couvertures.
— Vous vous en sortirez à merveille, assena-t-elle alors que son regard de loup déconseillait au pauvre homme de répliquer.
Ce qu’il, en toute logique, s’abstint de faire.
À l’arrière de la villa du baron des Embruns se trouvait une petite crique bordée d’une falaise rocheuse étirant ses pointes acérées en direction d’un ciel sans le moindre nuage. Un endroit tout en cailloux blancs bercé par les cris des mouettes et les gémissements du vent. Un cirque naturel à la végétation quasi inexistante et aux perpétuels effluves iodés. Ici, sur les galets ronds à peine réchauffés par le soleil matinal, Clare laissait son regard se perdre dans l’immensité bleue qui lui faisait face. Le soleil, dans son dos, projetait l’ombre de la jeune femme sur le rivage, où la marée tentait en vain de la recouvrir.
La pupille inspira profondément, emplissant ses poumons de l’air marin, et essaya tant bien que mal de se concentrer sur la suite des évènements. La Main du Roi leur avait donné une mission. Récolter des informations sur la situation des Baronnies ainsi que sur les allégations du baron de Nabar.
Entre les dires de notre baron et la réalité, il peut se trouver un, voire plusieurs fossés emplis de sombres vérités.
Le chambardement dans la Bande Centrale, des Hauts Royaumes sur le qui-vive et une protection du Mur Frontière renforcée. Malgré leur séquestration déguisée au sein de Couliour, voilà ce qu’elles avaient pu entrevoir de la situation de leurs futurs alliés. Quant à l’évidence d’une hypothétique menace Rolf…
Elle secoua la tête alors que d’autres pensées traversaient son esprit, reléguant l’essentiel au second plan en dépit de sa volonté. Des pensées qui n’avaient rien à voir avec sa mission pour la Main et Irile. Des pensées qui l’empêchaient de raisonner pleinement comme à son habitude… Dans un peu plus d’un mois, elle serait fiancée à Lorain de Nabar, unissant ainsi les Contrées Marchandes. L’inéluctabilité de cette situation ne cessait de l’amener à envisager ce que serait sa vie, ou à ce qu’elle aurait pu être. Clare se revoyait encore cernée de Lorain et d’Elias Creed. Deux idéalistes dont les intentions se trouvaient si différentes. L’un voulait lui laisser les rennes tout en espérant qu’elle tiendrait compte de sa sensibilité tandis que l’autre avait clairement donné un aperçu des possibilités que lui donneraient les pouvoirs de la jeune femme.
Évidemment, il y avait aussi Artance qui, en façade, désirait la façonner à son image et dont les réelles intentions étaient clairement de la manipuler.
Jamais Clare ne s’était envisagée dans une seule de ces situations. Et ni Artance, ni Elias Creed ne lui inspiraient confiance. Quant à Lorain… C’était difficile à dire. Elle ferma les yeux alors que s’imposait la vision du jeune homme avec à la main cette fleur de câprier et fit ainsi taire les cris d’un passé qu’elle n’osait raviver.
La présence de Lamia se fit ressentir dans son dos.
— Les préparatifs avancent vite, ma dame. Si seulement vous aviez pu admirer le baron Lormet s’activer avec la résignation d’un soldat en première ligne…
Elle lâcha un ricanement avant d’ajouter.
— Nous serons prêtes à partir dans moins de deux heures. Notre baron vous fait également dire qu’il s’est occupé, lui-même, de verser à l’équipage une somme substantielle pour nos conforts et intimités.
— Voilà qui n’est pas galant de sa part, répliqua la pupille. S’est-il ridiculisé au point de te dire le montant ?
— Que oui…, ma dame ! Et c’est avec une profonde sincérité que je lui ai assuré que les Architectes le lui rendraient.
— Le soulagement a dû se lire dans ses yeux.
La dame de parage poussa un triste soupir.
— Je crains que non…, ma dame. Les préceptes du Saint Siège ont encore davantage perdu de leur superbe en ces lieux qu’en Irile et ses duchés.
— Je dirais plutôt que le Saint Siège subsiste ici différemment, répliqua Clare, toujours songeuse.
— D’après les dires, les affaires de l’Archevêque se portent on ne peut mieux, plaça Lamia en s’avançant à sa hauteur. Espérons que nous ne débarquerons pas au beau milieu d’une sanglante… intrigue… Elle marqua une pause tout en prenant le temps de la réflexion… Quoi que…
Alors que son amie laissait sa phrase en suspens, Clare s’arracha à la contemplation de l’océan pour la dévisager avec amusement.
— Nous avons déjà fort à faire, Lamia. Découvrir la raison pour laquelle notre peintre musicien a pris le risque de quitter son Croissant sécuritaire pour Nabar. Au vu du péril de cette entreprise, nul doute que cela cache quelque chose d’énorme… Une, voire des réponses, qu’il nous faut obtenir.
— Ou alors, ce sera pour lui l’occasion de nous faire disparaître… et son secret avec…
Le ton grave de la dame de parage apprit à Clare qu’elle ne plaisantait guère et la pupille ne pouvait que partager cette inquiétude. Le Croissant était un lieu où ne régnaient que les assassins et les corrompus. Un lieu où la prudence ne suffisait guère et où seuls les monstres dominaient. Et elles allaient à la rencontre de l’un des plus dangereux d’entre eux.
La fleur de câprier refit surface et Clare serra les dents.
— Lamia…, finit-elle par dire doucement. T’arrive-t-il de repenser à la manière dont nous sommes devenues des tourmenteurs ?
— Jamais…, ma dame. Il est des souvenirs qu’il vaut mieux oublier et des périodes trop sombres pour être évoquées.
Elle dévisagea son amie et s’installa un instant solennel pendant lequel résonnèrent les cris des mouettes et le bruit des vagues. Le vent gémit plus fort encore, semblant charrier avec lui les râles des fantômes du passé.
— Ce que leurs résurgences pourraient emporter…, gronda-t-elle avec un glacial sérieux. Cela nous détruirait. Quels que soient les éléments qui vous ramènent à cet… enfer, je les éliminerai. Je vous en en fais la… promesse, ma dame.
Clare frémit à ces paroles qu’elle savait la plantureuse brune tout à fait capable de mettre à exécution. Mobilisant toute sa volonté, elle chassa la fleur de câpriers, Lorain, Elias Creed et tout ce qui n’avait pas sa place dans le cadre de sa mission.
Enfin, elle acquiesça.
— Merci, mon amie.
La dame de parage esquissa un sourire diabolique alors que sa dangereuse aura se faisait ressentir. Une aura à laquelle se mêla celle de la pupille, glaciale et inflexible. Autour d’elles, le vent parut souffler plus fort encore et l’océan, lui-même, semblait sur le point de se déchaîner.
Finalement, Clare déclara :
— Lamia, allons déterrer de fâcheux secrets.
— Oh oui…, ma dame.
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