Simaal
Les bras de la racine serpentèrent lentement sur l’écorce, regrettant le bien-être et l’harmonie prodiguée par l’union éphémère avec Sygwyn. Ils regagnèrent la peau d’Isen, s’insinuant puis disparaissant sans un bruit, dans la chair de la jeune femme. Elle caressa les petites cicatrices qui sillonnaient son bras. L'habitude rendait la douleur supportable.
Isen leva ses yeux gris vers le sommet de l’arbre. Le soleil débutait sa descente vers les ténèbres. Les feuilles s'agitèrent subrepticement au souffle discret d’une brise éthérée. La nuit s’annonçait aussi délicatement que le bruissement des ailes d’un oiseau de nuit.
Isen pensa aux Lugren, détestait l’animiste et tout ce qu’il représentait mais tout le monde se prosternait devant ce vieillard hirsute. Elle le haîssait autant qu'elle le craignait. Les gens confondaient souvent le respect et la peur. L’animiste n’inspirait que l'effroi.
Tandis que ses pensées la taraudaient, elle grimpait prestement sur le tronc d’Utvold, agrippant lianes, écorces et branches. Son corps ressentait encore Sygwyn comme si une once de son esprit flottait en elle. Demain à l’aube elle quitterait Utfeld, le cœur étreint de peine.
Ses pensées s’entrechoquant, elle ne prit pas conscience immédiatement qu’elle avait déjà atteint le premier étage de la cité qui fourmillaient de badauds.
Les plantes des lampadaires s’illuminaient au fur et à mesure que le jour s’évadait et le marché d’Utfeld s’étendait dans les rues étroites de la ville. Une fois par mois, La cité s’ouvrait au Monde extérieur et accueillait des marchands et camelots venus de différents royaumes.
Isen noua ses longs cheveux bruns avec du lierre et sauta de la branche sur laquelle elle était perchée. Personne dans la cohue du marché ne prêta attention à cette jeune femme qui tombait d'un arbre. Elle aimait arpenter parmi la foule bigarrée. Les étals exotiques offraient d’étranges fruits aux saveurs sucrés et des légumes aux formes étonnantes.
Les odeurs fortes d'épices se mêlaient aux fumées grises des feux sur lesquelles patientaient des marmites qui renfermaient des trésors pour les estomacs affamés.
La jeune femme laissa traîner négligemment une main voleuse qui attrapa discrètement un fruit oblongue vert et orange dont elle ignorait totalement le nom et le goût. Elle le porta à sa bouche et des saveurs sucrés emplirent sa bouche. La chair du fruit était charnue, tendre, érotique. Un délice. Se laissant porter par l'ambiance, elle erra à travers la nuit pendant longtemps. Ses jambes la déposèrent devant une vitrine faiblement éclairée. Isen sentit son cœur battre plus fort.
Simaal, le marchand de rêve était venu.
La jeune femme se passionnait pour les armes. La beauté de certaines épées pouvaient l'émouvoir. Un simple toucher sur le corps poli de l'arme et son imagination s'enflammait.
Excitée, elle pénétra dans l'antre du marchand avec un grand sourire.
- Bonsoir Simaal!
- Bonsoir jeune Isen. Je savais que tôt ou tard je te verrais aujourd'hui.
Isen ricana.
De cet étrange homme, seuls les yeux transparaissaient, le reste de son visage était tu par des bandelettes blanchâtres.
Il caressait d'un chiffon doux la joue d'une hache.
Des râteliers et des présentoirs offraient une quantité d'armes impressionnante.
Isen laissaient ses doigts effleurer l'acier froid des épées quand soudain elle écarquilla les yeux en retirant sa main vivement. Ce n'était pas du métal qu'elle venait de toucher.
Une série de dagues étaient posées sur une pièce de tissu rapiécée comme s'il s'agissait d'objets ordinaires. Leur vert intense et leur veinules qui palpitaient, gorgées de sève, ne souffraient d'aucun doute.
Elles étaient vivantes.
Des armes racines.
De nombreuses légendes parcouraient le monde à leur sujet.
La voix tremblante d'émotions, Isen regarda Le marchand.
- Simaal. Ce sont des armes racines n'est ce pas?
Simaal approuva d'un hochement de tête.
- Je croyais que...
- Une légende?
- Oui.
Simaal, d'un geste de la main invita la jeune femme à en saisir une.
- Tu plaisantes?
- Non, ce n'est pas le genre de la maison.
D'une main tremblante d'émotions, elle saisit au hasard une petite dague verte finement ciselée. Elle frissonna quand sa racine s'extirpa de son bras et se lia avec l'arme.
Des images défilèrent dans son esprit, ainsi elle lisait la vie de la dague.
- C'est. Elle hésita. C'est incroyable.
- Elle s'appelle Yrsole.
- Je sais Simaal. Elle vient de me le dire.
Isen manipula la dague. Elle sentit la puissance et la bienveillance de l'arme.
Le marchand s'approcha de la jeune femme et posa respectueusement une main sur son épaule.
Il chuchota comme on murmure un secret.
- Je te connais depuis que tu es toute petite. Je sais que tu pars bientôt et ceci est mon cadeau.
Isen recula d'un pas et tendit la lame vers le marchand.
- Je ne peux pas accepter Simaal!
- Ce n'est pas toi qui décide, c'est elle et Yrsole t'a choisi.
Isen baissa la tête. La lame racine vibrait.
- Merci Simaal! Je n'oublierai jamais ce cadeau.
Le vieil homme sourit.
- Un jour tu oublieras mais ne t'inquiètes pas, c'est ainsi. Le temps efface tout à l'exception d'une chose.
Isen s'amusa des paroles de Simaal.
- Laquelle?
- Les rides. Il ne fait que les creuser.
Il plissa les yeux déclenchant l'apparition d'une vaguelette de ridules au coin de chaque œil.
Isen sourit. Elle détacha l'arme de son bras et la rangea dans sa besace.
- Nous nous ne reverrons pas avant un long temps jeune Isen.
- Je ne t'oublierais pas Simaal. Je t'en fais la promesse.
Simaal, respectueusement, s'inclina devant son amie.
La jeune femme sortit et rejoignit les ruelles d'Utfeld. La cité, peu à peu, retrouvait sa quiétude habituelle. Les étals et boutiques éphémères disparaissaient sans un bruit. Les derniers badauds ivres d'alcools exotiques titubaient et tentaient avec ténacité mais sans succès de garder une certaine dignité.
Sur le chemin du retour vers sa maison, Isen pensait à Sygwyn. Elle lui avait parlé peut-être pour la dernière fois et leur conversation avait été d'une banalité désolante. Elle s'en voulait.
Sa maison fut vite en vue. Tout semblait paisible, une faible lueur dansait à l'intérieur, le feu s'endormait tranquillement dans la cheminée. Elle grimpa le long de la gouttière pour regagner sa chambre. La fenêtre était fermée. Elle laissa sa racine s'introduire par les interstices du bois et les battants s'ouvrirent en couinant.
Elle ne se déshabilla pas et s'endormit à peine sa tête posée sur l'oreiller. Une main posée sur sa besace qui contenait Ysolde.
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