Chapitre 2 (quatrième partie)
Mercredi 29 mars 2006
- Allo, Kenneth ?
- Ah, Maureen, bonsoir ! Comment vas-tu ? demanda son frère.
- Je vais bien, et vous ? Je ne vous dérange pas à cette heure ? s'inquiéta d'abord la jeune femme.
- Non, aucun souci. Les enfants sont couchés…
- Je ne voulais pas t'appeler trop tôt, justement, dit Maureen. Ils vont bien ?
- Oui, Solenn trotte déjà à quatre pattes. Et elle nous fait beaucoup rire à basculer sur ses fesses ! On dirait comme un petit bilboquet… Son frère et sa sœur la trouvent très amusante.
- Emily va bien ?
- Oui, aussi. Et toi ? demanda-t-il alors.
- Je vais bien… Je voulais t'annoncer une grande nouvelle et je préférais t'appeler, plutôt que t'écrire…
- Ah ? fit simplement son frère.
- Kenneth… Mickaël et moi allons avoir un bébé... dit la jeune femme avec émotion.
Kenneth marqua un temps de silence, puis dit :
- C'est une belle nouvelle… J'en suis très heureux pour vous, sincèrement.
Maureen sourit : elle avait bien perçu la propre émotion de son frère. Il poursuivit :
- L'as-tu dit à Tara ?
- Oui, je lui ai téléphoné hier… Elle était très heureuse de la nouvelle elle aussi.
- Et la naissance est prévue pour… ?
- Fin septembre, début octobre, dit Maureen. Je n'ai pas encore franchi le cap des trois mois. Nous avons fait la première échographie et c'était très émouvant de voir le bébé… Enfin, tu connais cela !
- Oui… sourit son frère. Et ce sont de beaux souvenirs, même après une troisième fois !
Il resta à nouveau silencieux quelques secondes, puis dit :
- Ca fait étrange… Maureen… Que… Enfin… Tu n'as pas eu d'enfant avec Brian et là, tu connais Mickaël depuis moins d'un an…
Elle retint un soupir : son frère n'avait pas compris toutes les raisons qui l'avaient poussée à divorcer, elle n'avait pas pu non plus tout lui expliquer. Elle se dit que c'était peut-être le bon moment pour le faire, pour qu'il la comprenne encore un peu mieux :
- Brian était stérile, Kenneth. Je n'aurais jamais eu d'enfant avec lui. Mais… Mais si nous nous étions vraiment aimés…
Elle insista sur le "vraiment" avant de poursuivre :
- … nous nous serions soutenus et nous aurions trouvé une solution, peut-être une adoption si médicalement rien n'avait été possible.
- Est-ce vraiment pour cela que tu as divorcé ? demanda doucement Kenneth.
- Non. Pas à cause de cela, pas parce que nous ne pouvions pas avoir d'enfants. Mais parce qu'il ne m'aimait pas, me trompait et que moi… Je ne l'aimais plus. C'est ça, la vérité, Kenneth ! C'est ça ! insista-t-elle en espérant que son frère l'entendrait vraiment.
- Hum… fit-il simplement.
Même si ce n'était qu'un simple mot, elle sentit que sa réponse laissait entendre plus de réflexion que d'incrédulité. Et elle se dit qu'elle avait bien fait de se confier un peu plus. Il se racla la gorge, puis demanda :
- Est-ce que vous avez l'intention de vous marier, Mickaël et toi ? Ce serait mieux… Surtout avec un bébé…
Maureen retint un soupir : Kenneth pouvait se montrer ouvert, mais il y avait certaines limites qu'il ne pouvait franchir et une façon de vivre qu'il ne pouvait comprendre. Elle répondit avec assurance :
- Non, pas pour le moment. Nous sommes heureux de vivre comme nous le faisons. Et je suis bien placée pour savoir que le mariage n'apporte pas automatiquement le bonheur. Me marier avec Brian a été la pire erreur que j'ai pu commettre, mais c'est ainsi. C'est le passé. Je sais qu'aujourd'hui, je n'ai pas besoin de me marier pour être heureuse et c'est tout ce qui compte pour moi. Même si je conçois que ce soit difficile à entendre pour toi.
- C'est vrai, Maureen. Cela me semble très important pour une famille, pour des enfants… Mais c'est ton choix. Et je le respecte, ajouta-t-il.
- Merci, répondit-elle avec chaleur.
**
Après avoir raccroché avec Kenneth, Maureen songea à la conversation qu'elle avait eue la veille avec Tara. Cette dernière n'avait pas du tout cherché à lui faire la morale, ni même à lui parler de mariage. Elle s'était simplement réjouie de la nouvelle, de l'arrivée de ce bébé. Tara avait pleuré d'émotion aussi, en lui disant qu'elle aurait aimé être plus proche physiquement pour pouvoir partager ces moments-là avec elle et voir ensuite leurs deux enfants grandir ensemble. Cela avait beaucoup touché Maureen et l'émotion de sa sœur était vraiment palpable.
Quand Mickaël rentra dans la nuit, elle ne dormait pas. Elle s'était réveillée peu avant son retour et, pour éviter de trop penser aux propos que Kenneth lui avait tenus, elle avait pris un livre. Il la gronda gentiment en entrant dans la chambre :
- Tu as vu l'heure qu'il est ? Et tu ne dors pas ? fit-il souriant.
- J'ai dormi… Cela ne fait pas longtemps que je suis réveillée, expliqua-t-elle. J'ai préféré lire que ruminer…
- Ruminer quoi ? demanda-t-il avec une pointe d'inquiétude en venant s'étendre à ses côtés.
- J'ai appelé Kenneth ce soir, pour lui annoncer la nouvelle.
- Et la conversation a été moins facile avec ton frère qu'avec ta sœur, conclut-il.
- Oui… Disons qu'il y a des choses qu'il a du mal à comprendre. Même s'il s'efforce de le faire.
- Des choses comme quoi ? demanda-t-il encore.
Maureen soupira et expliqua :
- Il a du mal à concevoir que nous puissions accueillir un bébé sans être mariés. Ca… Ca, c'est vraiment quelque chose qu'il n'admet pas. Même s'il s'est efforcé de ne pas me faire la morale… Tu sais… Je suis presque certaine, j'y ai réfléchi aussi, qu'il a fréquenté Emily sans qu'il ne se passe la moindre relation un peu intime entre eux avant le mariage. Je crois que mon frère aurait été incapable de cela. C'était sa façon de la respecter et de vivre en accord avec ses croyances.
- Si cela lui a convenu à elle, à lui, il n'y a là rien de répréhensible, dit Mickaël. Tout au plus peut-on trouver cela un peu archaïque.
- Oui, bien sûr, dit Maureen en se blottissant contre lui. Il y a quelques années, j'ai fait pareil… Et tant mieux pour mon frère et pour Emily s'ils sont heureux ainsi. Mais il n'a pas pu s'empêcher de me dire que ce serait mieux pour le bébé qu'on soit mariés. C'est tout…
Mickaël hocha la tête.
- Je te comprends… Ce n'est pas facile pour lui d'entendre une autre voix, une autre façon de penser. Tu crois que je pourrais lui téléphoner ?
- Que veux-tu lui dire ? s'étonna-t-elle en levant les yeux vers lui.
- Et bien… Le rassurer peut-être. Je suis certain que, derrière sa remarque, il y a de l'inquiétude pour toi. Pour ce que tu vas devenir, et pour le bébé aussi. Pour lui, être mariés, c'est se protéger l'un l'autre et l'enfant à venir. Mais notre amour n'a pas besoin de cela pour exister et être fort. Cela sans doute a-t-il du mal à le comprendre.
- Hum… Je vois ce que tu veux dire. Tu as sans doute raison. C'est son côté grand frère protecteur qui ressort aussi.
- Tout à fait, sourit Mickaël. Et n'oublie pas qu'il ne m'a vu qu'une seule fois… Et même si Tara, Philip et lui ont discuté ensemble à notre sujet, notre relation peut lui sembler encore fragile, récente. C'est certainement une difficulté supplémentaire pour lui, voire pour eux, même si Tara réagit différemment de Kenneth.
Maureen ne répondit rien. Les propos de Mickaël faisaient leur petit chemin dans son esprit. Il respecta sa réflexion, puis dit :
- Veux-tu boire un petit thé ? Moi, je prendrais bien quelque chose, je n'ai pas eu très chaud à rentrer…
- Oui, je veux bien. Et après, tu me laisseras te réchauffer… fit-elle un peu mutine.
- J'adore ce genre de proposition, Mademoiselle Maureen, sourit-il avant de l'embrasser tendrement.
Il se releva pour préparer le thé, choisit Harmonieux, puis ramena théière et tasses dans la chambre. Assis en tailleur, un peu songeur, il dégusta son thé, alors que Maureen s'était assise en s'appuyant contre la tête de lit, le dos bien calé dans les oreillers. Après deux gorgées, il se pencha vers la jeune femme, et dit :
- Ma douce, si c'est vraiment important pour toi…
- Non, ne pense pas cela. Je ne veux pas qu'on se marie parce que ma famille aura décidé que c'était ce que nous devions faire, le coupa-t-elle avec douceur. Je ne veux plus avoir à subir leurs décisions, leurs choix, leurs façons de penser. Je veux faire mes propres choix. C'est quelque chose que je me suis promis à moi-même, quand j'ai quitté Dublin. C'est vraiment important pour moi.
- Oui, bien sûr, dit-il. Ce que je voulais dire, c'était que si c'est aussi ton choix, ton propre choix, on peut se marier. Je veux que tu aies cette possibilité-là, cette liberté-là. Que tu ne refuses pas le mariage pour les mêmes raisons qui te pousseraient à l'accepter.
- Que veux-tu dire ? s'étonna-t-elle.
- Je veux dire par-là que ton choix ne doit pas être guidé uniquement par ton souhait de marquer une opposition à ta famille, en quoi il serait un choix un peu "négatif". Mais par un choix positif. Personnel. Tu comprends ?
- Oui, mieux, répondit-elle.
Elle marqua un temps de silence, puis poursuivit :
- Mickaël… Je t'aime. Je suis heureuse. Avec toi. Je suis heureuse d'avoir un bébé avec toi. Je me rends compte aussi… Tu sais, dit-elle en se redressant un peu, un jour, Lawra m'avait dit que c'était une chance que je n'aie pas eu d'enfants avec Brian. Quand elle m'a dit cela, elle m'a… choquée, marquée. Je ne comprenais pas, sur le coup, le sens de ses paroles. Elle m'a expliqué ce qu'elle pensait. Qu'avec un ou deux enfants, le quitter aurait été beaucoup plus compliqué, délicat, douloureux… Je n'avais jamais vu cela sous cet angle. J'avais toujours vécu ma supposée stérilité comme un fardeau, une blessure. Le fait que ce soit Brian qui était stérile n'aurait rien changé, du moins, dans mon esprit, à ce moment-là de ma vie. Puis j'ai mieux compris ce qu'elle voulait dire, j'ai vu le positif, et ça m'a aidée aussi à partir, à le quitter. Et aujourd'hui… Aujourd'hui, je suis vraiment heureuse. Pas seulement d'être enceinte, ce qui aurait suffi, autrefois, à mon bonheur. Non, je suis heureuse parce que c'est ton enfant que je porte. Pas seulement parce que je porte un enfant. Tu me comprends ?
- Oui… répondit-il avec une certaine émotion.
- Pour moi, là, dit-elle en posant la main sur son ventre et en baissant un instant les yeux pour le regarder, là, c'est notre bébé. Pas seulement le mien. Surtout le nôtre.
Mickaël se tourna, posa sa tasse sur la table de nuit, puis lui prit les mains.
- Je ne me suis jamais senti aussi prêt à être père qu'avec toi. Je n'avais pas imaginé avoir un enfant avec mes ex-petites amies. Soit parce que j'étais trop jeune, soit parce que… Parce que la relation ne se menait pas comme je l'espérais. C'est avec toi que je veux vivre cette aventure. Et c'est merveilleux que cela arrive, maintenant, sourit-il.
Maureen lui sourit en retour.
- Je t'aime, dit-elle. Je veux juste cela. Continuer à vivre ce bonheur-là, celui de t'aimer, d'être aimée de toi et d'accueillir notre enfant.
**
Le jour s'annonçait à peine. Maureen était réveillée et regardait Mickaël, endormi à ses côtés. Il était couché sur le flanc, tourné vers elle. Un léger sourire éclairait ses traits. Elle repensait à leur conversation d'hier soir et, aussi, à celle qu'elle avait eue avec Kenneth. Mickaël avait certainement raison : derrière une façon un peu rigide d'émettre un avis, Kenneth dissimulait sans doute ses propres craintes pour elle. Mais cela ne l'empêchait pas de vouloir poursuivre son propre chemin, comme elle en avait envie.
Elle savait bien que le plus important, c'étaient les sentiments qui les liaient, c'était cette envie d'avancer sur le même chemin, d'envisager la vie et leur avenir de la même façon. Ce n'était pas se plier à des règles, à des dogmes. Le plus important, c'était ce partage harmonieux, cette joie simple qu'ils éprouvaient au quotidien, à vivre ensemble.
Elle n'était pas inquiète pour son enfant, pour leur enfant. Elle n'était pas inquiète pour elle-même. Elle savait que Mickaël serait toujours là pour prendre soin d'eux. Et qu'il serait un bien meilleur père que Brian n'aurait pu l'être…
"Je t'aime… Oh, mon amour, comme je t'aime… Et comme ce bébé me rend déjà heureuse ! C'est ton enfant… C'est notre enfant… Qui peut mesurer ce que ces simples mots peuvent représenter pour moi ?"
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