Chapitre 4 (quatrième partie)
Lundi 26 juin 2006
Ce matin-là, Mickaël partit assez tôt chercher Sam pour rencontrer plusieurs artisans. Ils signèrent aussi les devis, convinrent de plusieurs rendez-vous vers la fin juillet pour pouvoir fixer le début du chantier et son organisation. Il rentra un peu tard pour déjeuner chez Mummy, tout en espérant que sa grand-mère et Maureen avaient commencé sans l'attendre. Il était satisfait de leur matinée : il leur restait juste à trouver un peintre et à revoir quelques détails avec l'électricien, ce qui pourrait se préciser ultérieurement. Il attendrait la semaine suivante pour rencontrer des fournisseurs, car il voulait pouvoir profiter de son après-midi pour aider sa grand-mère au jardin.
Quand il arriva, les deux femmes étaient effectivement attablées.
- On ne t'a pas attendu, Mickaël, dit Mummy. Maureen avait faim...
- Pas de soucis, je savais qu'on risquait de finir un peu tard, vous avez bien fait, répondit-il en prenant place.
Mummy était assise à sa place habituelle, à un bout de la table. Dans son dos se trouvait la gazinière et le petit plan de travail, ainsi que le réfrigérateur. Maureen s'asseyait face à la fenêtre devant laquelle se trouvaient l'évier et un autre plan de travail. La cuisine n'était pas vraiment aménagée, pas comme ce que Mickaël avait fait à l'appartement. Le plan de travail situé à droite de l'évier était une simple longue table en formica, avec des étagères en-dessous et un rideau de tissu qui les cachait. Mickaël se souvenait bien du jour où Steven avait réalisé cet aménagement et de la satisfaction de Mummy d'avoir une place plus importante pour ranger sa marmite en fonte et sa bassine en cuivre dans laquelle elle préparait ses confitures, ainsi que la fameuse cocotte-minute ramenée de France. Un buffet ancien se trouvait sur le mur de droite, face à Mummy. C'était là qu'elle rangeait la vaisselle, les autres placards étant réservés pour les provisions. Ce n'était pas une très grande pièce, mais elle était pour lui le cœur de la maison. C'était là que tout gravitait, là que tout avait commencé, quand, encore tout petit garçon, peut-être même n'était-il pas encore bien assuré sur ses jambes, il avait passé parmi les heures les plus riches de son enfance.
Il se souvenait parfaitement de rester accroché aux jupes de Mummy quand elle cuisinait, de l'avoir vue préparer quantité de plats, d'avoir tout observé, tout senti, tout ressenti. Comment les parfums des préparatifs du repas se retrouvaient ensuite dans son assiette, dans ce qu'il mangeait. C'était cela, il le savait, qui l'avait façonné au point de vouloir en faire son métier. Il se revoyait, petit garçon, assis à la place de Maureen, Sam à ses côtés, Véra en face. Et Steven, son pépé, assis là où lui-même avait pris place. Seule Mummy ne bougeait pas. C'était ainsi. Elle était enracinée à cette maison et, pour Mickaël, encore plus particulièrement dans cette pièce. Il espérait qu'il en serait toujours ainsi, pour elle. Qu'elle ne serait pas contrainte, dans quelques années, d'aller en établissement médicalisé.
Oui, c'était une chance aussi pour sa grand-mère que lui-même et Maureen viennent vivre à Fort William, même s'ils ne resteraient pas ici-même. Il aurait bien le temps de penser à cela plus tard : trouver un logement n'était vraiment pas sa priorité, puisque la maison de ses ancêtres et Mummy elle-même pouvaient bien les accueillir durant quelques mois, voire un peu plus. Tout au mieux imaginait-il pouvoir emménager, Maureen et lui - et le bébé -, d'ici un an. Ils avaient le temps de voir venir, rien ne pressait pour cette question et il y en avait bien d'autres de plus urgentes et de plus importantes à envisager d'abord.
La cocotte embaumait, Mummy avait préparé une blanquette, il en avait identifié les parfums dès qu'il était entré dans la maison. Sans doute l'avait-elle préparée depuis deux jours au moins, pour qu'elle soit fondante, que la viande s'effiloche aisément, bien imprégnée de sauce.
- Alors, demanda Maureen, comment ça s'est passé ce matin ?
- Bien. Oui, vraiment bien, répondit-il. Il nous reste juste à trouver un peintre... Celui que nous avions contacté ne sera pas disponible, il a d'autres chantiers sur les bras à cette période de l'année. Il nous a donné les coordonnées d'un collègue, Sam le contactera dans la semaine pour voir si on peut le rencontrer lundi prochain.
- Tu n'oublieras pas qu'on a rendez-vous à la maternité en fin de matinée ? dit Maureen.
- Non, je n'oublie pas, sourit-il. Je lui demanderai si c'est possible plutôt l'après-midi. Je dois aussi revoir des fournisseurs, notamment des pêcheurs pour le poisson... Encore heureux qu'Harris prenne les tours de criée du mardi, ça nous laisse plus de temps Sam et moi. D'ailleurs, je pense que je confierai la première rencontre avec le peintre à Sam, pendant que j'irai voir les pêcheurs, ce sera plus efficace. Et eux, je sais qu'ils seront disponibles l'après-midi.
Mummy hocha la tête. Oui, ce serait le cas s'ils n'étaient pas partis pour une campagne de quelques jours en mer, comme cela arrivait parfois, surtout en cette saison.
Après le déjeuner, Maureen s'allongea comme à son habitude. Mickaël savoura son thé sur la terrasse, puis se rendit au potager : sa grand-mère avait besoin qu'il butte les rangs de pommes de terre. Une fois qu'il en eut terminé et comme Maureen se reposait toujours, il gagna le grand hangar et y rangea le bois des pommiers taillés quelques semaines plus tôt. Il fit aussi une rapide évaluation du stock de bûches et se dit qu'il ne serait pas inutile d'en faire rentrer au cours de l'été. Il verrait avec John et Sven puisque ceux-ci exploitaient plusieurs bois situés sur les terres de feu Donan MacLeod, dont une grande partie était d'ailleurs toujours la propriété de Mummy. Cela faisait partie des arrangements entre sa grand-mère et son neveu, pour l'entretien des terres. Si Mummy possédait toujours ces bois, John les entretenait et pouvait y prélever gratuitement le bois dont lui-même avait besoin. En échange, il en apportait à Mummy pour son usage quotidien. Mickaël avait toujours trouvé très judicieuse l'organisation et les dispositions prises après le décès de son grand-père et même, durant sa maladie.
Pendant qu'il s'activait ainsi, Mummy faisait le tour de son jardin, arrachant ici ou là quelques mauvaises herbes, coupant des fleurs fanées et, notamment, celles des rosiers et des iris qui fleurissaient tout le long de la barrière. Elle avait fait disposer par les garçons de grandes jarres de pierre devant la maison, côté cour, et elle y avait planté des fleurs, pour rendre plus jolie la cour. Depuis que Steven et Donan l'avaient goudronnée, elle lui était toujours apparue un peu sèche, d'une apparence moins accueillante que lorsque c'était de la terre battue. Mais elle ne regrettait pas cette décision : cela avait tellement simplifié le ménage dans la maison ! Et même les corvées de balayage de la cour, après le passage des moutons, en avaient été rendues plus aisées. Enfin, tout de même, quelques fleurs ne pouvaient pas faire de mal...
Maureen les rejoignit alors et s'installa aussi au jardin. Mickaël profita qu'elle était maintenant réveillée pour tondre la pelouse. Il y avait de cela trois ans maintenant, Jimmy et Véra étaient arrivés un été avec une nouvelle tondeuse, un peu plus puissante, autotractée et, surtout, équipée d'un bac pour récupérer l'herbe tondue. Finie les corvées de ratissage du jardin, même quand l'automne faisait tomber toutes les feuilles : il leur suffisait alors de repasser un tour de tondeuse pour les broyer et vider ensuite, au fur et à mesure, le bac au pied des arbres, sur les plates-bandes. Maureen avait pris un livre, Mummy la rejoignit avec son tricot. Le bébé avait déjà une jolie provision de petits pulls, de brassières, et même, des petits pantalons en tricot. Maureen avait aussi décidé de coudre de petits vêtements, mais elle gardait cette occupation pour les jours gris, les jours de pluie.
Quand Mickaël en eut terminé, ce fut l'heure du thé et de la tarte. Il demanda à sa grand-mère si elle en faisait tous les jours à Maureen, ce qui aurait expliqué aussi pourquoi le bébé avait si bien profité depuis qu'elle était arrivée à Fort William. Cette remarque amusa beaucoup les deux femmes et Mummy lui répliqua que non, elle ne faisait pas de tarte tous les jours. Mais qu'enfin, elles pouvaient bien s'offrir une petite douceur avec le thé de l'après-midi...
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