Chapitre 7 (troisième partie)
Dimanche 3 décembre 2006
Les journées passaient vite, d'autant qu'avec l'hiver approchant, les heures de clarté se réduisaient dans la journée. Le matin, Mickaël quittait la maison alors qu'il faisait encore nuit. Maureen avait trouvé son rythme, entre Killian, la comptabilité du restaurant, les moments passés avec Mummy. Elle sortait aussi le bébé de temps en temps, pour des petites courses ou pour les visites de contrôle chez le médecin. Il n'était pas un bébé difficile, prenait bien, mais il se réveillait encore très fréquemment. Souvent, le retour de Mickaël dans la nuit correspondait avec l'heure de la tétée et il pouvait ainsi en profiter. Malgré la fatigue de sa journée, c'était souvent lui qui changeait Killian à cette heure. Il avait rarement l'occasion de le faire et saisissait toujours celles que ses propres horaires lui offraient.
En ce début du mois de décembre, Mummy prit une importante décision. Jusqu'alors, elle avait toujours dormi à l'étage, dans la chambre qui avait été la leur, à Steven et elle, depuis qu'ils étaient arrivés à Fort William, en 1945. Rares avaient été les nuits qu'elle avait passées dans une autre pièce. Ce dimanche-là, Mickaël ne travaillant pas, elle annonça :
- Je vais m'installer dans la chambre du bas.
- Hein ?
Mickaël en avait lâché l'économe qu'il utilisait pour éplucher des légumes.
- J'ai dit que j'allais m'installer dans la chambre du bas, répéta la vieille dame avec conviction.
- Le bébé te réveille ? s'inquiéta Mickaël.
- Un peu, parfois, répondit-elle. Mais ce n'est pas pour cela.
- Pourquoi alors ?
- Je commence à avoir trop mal aux jambes, expliqua Mummy. C'est dur de monter les escaliers, maintenant, pour moi. En bas, je serai très bien. On avait fait faire cette chambre et la petite salle d'eau pour Donan. Mémé Fine la trouvait très pratique. Elle s'y plaisait beaucoup, jusqu'à la fin de sa vie.
Mickaël fronça les sourcils. Il n'aimait pas entendre parler sa grand-mère ainsi, même s'il savait qu'il fallait être réaliste. Elle ne serait pas éternelle. Et, pourtant, il la trouvait encore bien vaillante. Elle avait assuré tout l'été, à fournir un nombre impressionnant de repas, à veiller sur Maureen. Là encore, elle lui épargnait bien des tâches prenantes.
- Dis-moi la vérité, insista Mickaël. Ce sont seulement tes jambes ?
- Oui. Je t'assure, rien d'autre, dit Mummy d'une voix assurée. Je vais très bien, sinon. Enfin, aussi bien qu'une vieille femme comme moi peut aller. Et puis, je trouve que c'est mieux que vous ayez l'étage pour vous. Ca vous fait votre espace. Vous vous y organisez comme vous voulez.
Mickaël eut du mal à réprimer un petit sourire : Mummy avait beau dire, il n'y avait pas que ses jambes qui la poussaient à emménager dans la chambre du bas.
- Ok, fit-il. C'est toi qui vois... Je t'aiderai à descendre tes affaires.
Maureen entra dans la cuisine à ce moment-là et regarda Mickaël d'un air interrogateur, se demandant ce que signifiaient ses dernières paroles. Il lui expliqua en deux mots et Maureen comprit. Elle ne le montra pas, mais ressentit un pincement au cœur à imaginer que la vieille dame allait devoir abandonner sa chambre, celle de sa vie, de son amour. Elle songea cependant avec justesse qu'ils vivaient heureusement désormais avec elle et que Mickaël avait eu raison d'insister pour qu'ils s'installent ici. Ces changements étaient sans doute plus faciles à envisager, à accepter pour Mummy, que si elle avait continué à vivre seule dans sa maison. Et Maureen ne put s'empêcher de frissonner à imaginer qu'elle pourrait chuter dans l'escalier, sans que personne ne s'en aperçoive et ne vienne l'aider. Au moins, quand elle-même s'absentait, ce n'était jamais pour très longtemps, une poignée d'heures tout au plus. Et elle savait que la vieille dame ne prendrait pas de risque durant son absence. Elle se promit aussi de faire installer à Mickaël le lit pliant qu'avait donné Véra pour Killian, et dont ils ne s'étaient pas encore servi, dans un coin du salon : si elle-même s'absentait pour une raison ou pour une autre alors que le bébé faisait sa sieste, au moins, Mummy pourrait veiller sur lui et s'en occuper aisément s'il se réveillait avant son retour, sans avoir à monter à l'étage.
Mickaël trouva l'idée judicieuse et ils passèrent le dimanche après-midi à aider Mummy à s'installer dans la chambre du bas.
Jeudi 7 décembre 2006
L'hiver, pas à pas, refermait donc son étau sur les Highlands. Les visites étaient plus rares, mais, parfois, Mary passait. Jane était venue aussi, un matin. Jenn venait chaque semaine, parfois deux fois par semaine. Elle prenait plaisir à s'occuper du petit Killian. Maureen n'osait pas demander si elle et Sam envisageraient d'avoir un enfant, plus tard. La jeune femme blonde avait fait des études de secrétaire et avait dû renoncer à chercher du travail lorsque l'état de santé de sa mère s'était détérioré. Maintenant que Sam était de retour ici, elle avait relancé ses démarches. Ce jour-là, elle arriva avec une bonne nouvelle chez Mummy. Elle venait de décrocher un mi-temps au centre de secours de Fort William. Elle aurait à charge de réaliser les paies des pompiers et du personnel, de régler les factures en matériels et équipements. Elle travaillerait tous les après-midis, ce qui la satisfaisait pleinement : le matin, elle pourrait toujours donner un coup de main au restaurant, pour le ménage, pour préparer la salle, en soutien à Shirley.
Mummy et Maureen se réjouirent pour elle.
- Papa est content, aussi, leur dit-elle. Il commençait à s'inquiéter de me voir toujours à la maison... Il disait que ce n'était pas dans ma nature !
- Il a raison, dit Mummy. Et c'est un bon travail que tu auras là !
- Je ne veux pas dépendre de Sam non plus, surtout que pour l'heure... fit la jeune femme en laissant planer la fin de sa phrase.
- Oui, intervint Maureen. Ils parviennent à payer Shirley et les factures, à rembourser l'emprunt, mais pour les salaires... pour eux, ce n'est pas encore ça.
- Ca va évoluer, dit Jenn. Là, c'est un peu le creux... Il n'y a que les gens du coin à pouvoir venir. Avec les fêtes et les vacances d'hiver, les gens vont revenir pour skier. Ca va attirer du monde. Et les relancer. Enfin, en fin de semaine, ça marche bien, ils sont contents. C'est déjà ça.
- Oui, fit Mummy.
- Mais il arrive qu'ils n'aient personne, certains soirs, en semaine, soupira Maureen. Je ne me plains pas de voir rentrer Mickaël de bonne heure et qu'il puisse récupérer, enfin... Ca me rappelle mes débuts, à Glasgow. J'avais fait une semaine catastrophique en novembre. Après, avec les fêtes, l'activité avait repris.
- Cela fera pareil, crois-moi, dit Jenn avec assurance. Et puis, il n'y a pas tant de bons restaurants sur le secteur. Il faut juste leur laisser du temps.
- Ils ont eu un petit article, dans la presse locale, l'autre jour. Tu as vu ? dit Mummy.
- Oui, répondit Jenn. Papa a été le premier à le lire, il était tout fier !
Mummy s'activa à préparer un thé, Maureen disposa des tasses dans le salon. Elles poursuivirent la discussion.
- Est-ce que ta sœur viendra pour Noël, Jenn ? demanda Mummy.
- Oui. Elle aurait aimé qu'on aille la voir, mais je lui ai dit que ce ne serait pas possible pour Sam, répondit Jenn. Et je travaillerai certainement moi aussi, je n'aurai pas de vacances. Alors, elle va faire le voyage. Elle viendra par le train, en cette saison, c'est mieux. Et les parents de Sam viendront aussi. Ils ont déjà réservé pour une soirée au restaurant ! ajouta la jeune femme en riant.
- Nous, tout le monde va venir aussi, précisa Mummy. Je suis contente de les avoir à Noël.
- Je suis sûre que Léony a hâte de revoir son petit cousin, non ? demanda Jenn.
- Oui, répondit Maureen avec un doux sourire. Elle n'a plus l'air déçu d'avoir un cousin et pas une cousine. Enfin, elle a quand même dit que le prochain bébé, elle aimerait bien que ce soit une fille !
Jenn sourit à la remarque. Elle se disait que, contrairement à Véra, Mickaël aurait certainement envie d'avoir un autre enfant. Même s'il était bien trop tôt pour y songer encore...
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