Hier encore, j’ouvrais le frigo pour y plonger mon visage dans une vaine tentative de me rafraîchir par une chaude journée d’été, attendant l’heure du goûter pour pouvoir déguster une glace à l’eau qui dégoulinerait le long de mes doigts. J’entends la voix de ma mère qui appelle mon frère pour lui demander quelque chose, et des mouches volent au-dessus du panier à fruits dans lequel des pêches sont en train de pourrir. Mes mains se mettent à trembler, mes jambes nues flageolent, mais je ne parviens pas à refermer le frigidaire. J’espère peut-être qu’il va m’aspirer dans un pays imaginaire. Il ne m’en faut pas tant. Je suis encore une enfant. Il me suffit de fermer les yeux pour m’imaginer ailleurs.

 Ailleurs, m’y voilà. Forêt d’Ounasvaara, en Laponie finlandaise. Là où le soleil se fait timide en hiver, et omniprésent en été. Je suis juchée en haut d’un belvédère de bois qui surplombe les pins, lui-même en haut d’une colline en amont de la ville. Rovaniemi, capitale laponne. Il y a six mois, je ne connaissais rien de ce lieu, si ce n’est qu’il y ferait bien froid. J’ai mon compte. La neige n’a pas cessé de tomber ces derniers jours. Et les températures négatives me font parfois regretter l’hiver doux de mon pays natal français. Mais les regrets n’ont pas leur place ici. Le temps est un décompte. Neuf mois, moins d’une année, trois saisons. Une flopée d’expériences inédites que je n’aurai jamais l’occasion de réitérer. Des amis qui partiront. Une terre qui m’aura hébergée avant de m’oublier. Moi, je n’oublierai jamais.

 Tant que je suis ici, je suis en sécurité, loin du monde et de ses méandres. Loin des perspectives d’avenir, des engagements et des responsabilités imminentes. Loin de cet âge qui me propulsera parmi les adultes, les vrais. Je le sais : d’ici la fin de l’année, j’aurai perdu cette liberté.

 Alors je ferme les yeux et j’inspire l’air glacé. Les flocons tombent sur mon front comme de petites boules de coton. Et le ciel, éternellement gris, m’embrasse.