Episode 2
Pour la énième fois, il relut l’article de journal de son premier meurtre : Lucie Cosby, 32 ans, institutrice à Mastertown ; retrouvée morte, découpée en morceaux, baignant dans son sang. Il sourit. L’article décrivait l’enquête de police qui stagnait à cause du manque de pistes et de l’extrême précaution du tueur à ne laisser aucune trace.
La photo de Lucie était accompagnée d’une de son mari, l’officier David Cosby, assis sur le parvis du poste de police, la tête entre ses mains. Bien que pris de loin, le cliché traduisait cruement la détresse de l'homme qui venait de découvrir le cadavre de son épouse. Il était dévasté, le visage blanc et les yeux agards. Magnifique.
Il ne put s'empêcher de caresser avec tendresse la silhouette du policier bien que celle-ci ne soit qu'imprimée sur le papier glacé du magazine. Puis, il passa à l'article suivant : Saphyr Beldonne, 23 ans, caissière dans un magasin de bricolage d’une petite ville de l’Iowa.
L'article était assez pauvre en informations et mettait surtout l’accent sur l’absence de lien entre les deux victimes. Séparés par des centaines de kilomètres, les deux crimes avait mis trois mois avant d’être corrélés et attribués au même tueur. Pourtant, cela lui paraissait évident. La découpe chiurgicale, les globes occulaires manquant, le bain de sang... autant de détails qui aurait du les mettres sur la piste. L’incompétence policière dans toute sa splendeur.
Il sentait l’excitation monter en lui lorsqu’il commença la lecture du troisième article : Diane Martin, touriste française d’une trentaine d’année, en visite dans l’état de Washington. Il appréciait le ton alarmiste du journaliste qui mettait les lecteurs en garde contre cet « imprévisible psychopathe ». David Cosby était pour la première fois cité en tant que Sherif en charge de l’enquête avec l’aide du FBI.
Lorsqu'il posa les yeux sur les photos de ses victimes, il commença à se sentir serré dans son pantalon. Il avait pris soin d’épingler aux côtés des coupures de journaux, par ordre chronologique.
Toutes de si jolies femmes ! Pourtant leurs corps n'étaient pas ce qui déclenchaient ses irréprésibles pulsions sexuelles, mais plutôt le pouvoir qu'il exerçait sur elles : de leur capture à leur exécution. Cette douce ivresse de domination pure qui saturait alors ses veines. Un délice !
Une fois le crime commis, ce qu’il appréciait le plus c’était de voir le Sherif David Cosby échouer à lui mettre la main dessus malgré tous les indices délibérément semés.
Il pressa sa paume contre sa virilité durcie et passa à l’article suivant : Queenie, une jeune prostituée mineure d’une ville voisine de Mastertown. Toujours aucune piste.
Il commençait ses va-et-vient. Quand il lut les mots du journaliste, il laissa échapper des gémissements rauques: « une enquête impossible », « un tueur qui joue avec la police », « un marionnettiste professionnel, faisant des forces de l’ordre de simples pantins d’un spectacle macabre ». Le plaisir était si intense.
Nichole et Charlie, de magnifiques jumelles avec qui il avait pu avoir la joie de mélanger les membres découpés lors de sa mise en scène. Il pouffa lorsqu'il se remémora avoir mis deux jambes droites à Nichole et une main en plus à Charlie. Ce qu’il avait particulièrement apprécié dans ce combo, c’était de voir la souffrance de l’une faire écho à celle de l’autre.
Il avait pris d’énormes risques en tuant deux femmes d’un coup et le Sherif Cosby était remonté à bloc. Il faisait des heures supplémentaires pour enquêter seul, alors que le FBI avait été affecté à d’autres affaires en l’absence d’éléments nécessaires à l'avancement de l’enquête.
L'orgasme explosa quand il commença la lecture du huitième article, son préféré : Xeres Kohl, jeune avocate tout juste diplômée.
Durant la conférence de presse, le Sherif Cosby, visiblement intoxiqué, avait dû se précipiter vers la poubelle la plus proche pour vomir. Le scandale du « héros déchu », de « l’homme vaincu par l’alcool » avait fait la une des journaux. L’enquête avait été de nouveau confiée au FBI, et le Sherif contraint de prendre des « vacances » pour une durée indéterminée.
Après avoir nettoyé les traces visqueuses laissées par ses caresses, le Marionnettiste parcourut en diagonale les autres articles. Il avait été déçu de la rapidité avec laquelle il avait détruit David, alors, il avait arrêté ses meurtres en attendant son retour.
Quelques mois après, le Sherif reprit ses fonctions, et le Marionnettiste ses crimes. Le duel avait repris, pour son plus grand bonheur.
Désormais, il préparait son prochain coup. Cela faisait quatre mois qu’il n’avait pas arraché les yeux d’une victime sans défense, qu’il n’avait pas découpé de membres, qu’il n’avait pas tué. Il s'impatientait de recommencer, de ressentir ce pouvoir immense de posséder le contrôle absolu. Placer les globes oculaires sanguinolents sur une chaise, tel un public factice de son grand spectacle de torture, était son moment préféré. Il tranchait bras, jambes, tronc. Du cou à aux phalanges, tout finissait en pièce. Puis, il agenceait méthodiquement son puzzle humain, toujours sous la supervision des sphères aux pupilles éteintes. S’il était possible d’extraire les images imprimées sur les rétines sans vie, la police l’aurait depuis bien longtemps capturé. C’était ça l’ironie du crime : offrir à la police le meilleur des témoins ! Il rit de son génie, puis se dirigea vers la salle de bain et sauta sous la douche.
Il était le Marionnettiste. Pourtant, ses voisins étaient persuadés qu’il était monsieur tout le monde, souriant et serviable, toujours le mot pour rire lors des barbecues de quartier. Il enfila sa veste et commença sa journée normale, comme un homme normal, à la vie normale.
***
L'équipe avait reprit vie depuis que Chase était arrivé au poste. David s'agaçait de voir tout le monde de si bonne humeur, souriant et avenant. C’était la première fois depuis longtemps qu’il avait dû autant interagir avec ses pairs. Heureusement, Mathilda restait la même, lunettes vert pomme sur le nez, vernis bleu sur les ongles. Ils n’avaient pas évoqué l’incident mais ils n’en ressentaient pas le besoin. Mathilda avait été là avant Lucie et après Lucie. Mathilda était et serait toujours là, quoi qu’il advienne. En revanche, David n’avait qu’une seule envie : voir déguerpir ce chiot qui lui courait entre les pattes.
Tous les jours, Chase ne pouvait s’empêcher de demander l’accès aux dossiers de l’enquête sur le Marionnettiste. Peu importe le nombre de refus, il revenait à la charge. David avait beau lui signifier que l’enquête était suspendue, qu’ils avaient d’autres chats à fouetter et que de toute façon, c’était son affaire, le bleu n’en démordait pas.
« Tu sais ce qu’il faudrait pour que je te donne accès à ce dossier ? Que cet enflure refasse surface ! Et crois moi petit, t’as pas envie que ce soit le cas ! »
Sur ce, David claqua la porte de son bureau. Le coup fut si fort qu'il délogea une des vis de la plaque avec son nom, au point qu'elle se mit à pendouiller pathétiquement. Chase prit son courage à deux mains et toqua à la porte, juste assez fort pour que la plaque oscille en grinçant sur sa vis restante. Le Sherif lui autorisa l’entrée dans un bougonnement d’ours mal léché.
« Sherif, je sais que pour le moment vous vous demandez ce qu’un petit jeune comme moi pourrait apporter à l’enquête, mais laissez-moi vous prouver que je peux être utile ! J’ai été major de promo et en criminologie je me suis spécialisé sur le comportement des tueurs en série … Je pense que je peux apporter mon analyse à la résolution de cette affaire… Je ne vous décevrais pas. De toute façon, qu'avez-vous à perdre ? »
David examina cet audacieux blanc bec, incrédule. Jamais on ne lui avait parlé sur ce ton, du moins pas depuis Lucie. Il ne comprenait plus rien et n’avait pas envie de comprendre. Il soupira bruyamment.
« Très bien… Va voir Mathilda de ma part. Elle te donnera accès au dossier. »
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