Episode 4
Il était de retour quelques semaines plus tard, après une longue phase d’inaction. Il observait sa cible qui poussait son chariot vide dans le magasin gigantesque, temple de la surconsommation. Ses pupilles se dilatèrent et son coeur tambourina dans sa poitrine tel un orchestre de mille percussions. L'excitation et l'impatience saturaient déjà son esprit et il dut calmer sa respiration pour retrouver un semblant de concentration. Il serra dans sa poche la petite bouteille de chloroforme et patienta. Sa proie gambadait dans les rayons, insouciente. Elle n'avait pas idée de ce qui l'attendait. Comment aurait-elle pu ? Quand le chasseur est aussi habile, le gibier ne sait jamais qu'il est observé.
La femme sorti une heure après, le chariot remplis à ras bord comme à l’accoutumé. Elle devait s’arrêter tous les cinq mètres pour ramasser un des objets qui avait chu.
« Oh bonjour ! »
Il était sorti comme un diable de sa boîte. Elle eut un mouvement de recul craintif et le dévisagea longuement. Elle semblait ne pas le reconnaître.
« Vous ne vous souvenez pas de moi… Mike, on s’est rencontré sur le parking il y a de ça un mois peut-être. Je vous avais aidé avec vos achats. Vous m’aviez même parlé des décorations d’halloween ! Je vois que vous avez tenu parole ! »
La brune eut un moment de flottement et elle comprit enfin à qui elle avait affaire. Le sourire aux lèvres, elle prit part à la conversation, tout en se laissant accompagnée à son véhicule par ce jeune homme qui lui poussait son caddy. Il l’aida même à mettre ses emplètes dans le coffre ! Puis, voulant désormais prendre congé, elle fit cliqueter ses clefs bruyamment, signal universel qu’il est temps de mettre fin à cette rencontre. Il comprit et elle prit place derrière le volant. Elle sursauta quand il vint s’assoir sur le siège passager et n’eut pas le temps de réagir quand il lui plaqua un tissu sous le nez. Le gaz engourdissait ses membres ce qui l'empêchait de se débattre efficacement. Elle se sentait flasque telle une poupée de chiffon. Son esprit lutta encore quelques secondes, sa vision se troubla et elle perdit connaissance. Son agresseur avait quitter son masque avenant pour arborer un regard carnassier.
Le Marionnettiste réussit non sans mal à échanger de place avec sa victime et rejoignit sa voiture garer à une dizaine de kilomètre, dans une friche industrielle abandonnée depuis longtemps. Il avait préalablement analysé la zone et se savait certain de ne pas être dérangé.
Il gara le véhicule et jetta un coup d'oeil à sa passagère. Elle était toujours inconsciente et ses paupières trésautaient par moment. Il fallait qu'il se dépêche. Il sortit sa boîte à outils du coffre, enfila sa combinaison neuve et respira l'air humide. Il sentait les prémices d'une érection et se délectait déjà de l'orgasme futur.
Il traîna sa victime comme une carcasse de boeuf. Les habits la jeune femme s'imbibaient de l'eau sale des flaques, ses bras pendaient mollement et ses doigts ratissaient le gravier. Il la laissa tomber lourdement à l'endroit prévu et retourna vers sa voiture prendre son matériel.
Son spectacle allait commencé, pourtant le plaisir différait des autres fois. Terne. Décevant. Il se retourna vers sa victime et observa longtemps cette masse informe qu'il allait transformer en oeuvre d'art. Il sourit en sentant son sexe réagir à cette pensée.
La seringue annonça le debut de la performance : tel les coups du brigadier au théâtre, il expulsa les bulles d'air en trois fois. Le liquide gicla puissamment et éclaboussa le visage de la jeune femme. Elle gémit et remua dans son inconsience. Il lui injecta la drogue paralysante dans le bras.
Il avait horreur des femmes qui se débattent. A vrai dire, il avait horreur des femmes tout court. Le visage de sa mère apparut alors dans son esprit et il suspendit son geste, l'aiguille toujours profondemment plantée dans la chair de sa victime. Ces pensées parasites étaient devenues récurrentes ces derniers temps. Il ferma les paupières violement, écrasant le sourire bienveillant de sa mère par la même occasion.
Le corps inerte de sa victime lui arracha un rictus satisfait. Il la voulait immobile, à sa merci. Puis, ses mouvements quelque peu restreints pas la combinaison qu’il portait, il s’arma d’une cuillère. L'ustensile innofencif devint une arme de torture dans sa main gantée. D’un coup sec, il l'enfonça dans l’orbite de la femme et dans un - pop - mélodieux délogea l’œil.
La victime se réveilla aussitôt, sans un cri. Son oeil restant bougeait dans tous les sens, seule partie encore mobile de son corps drogué. On y lisait toute la souffrance, la peur, l'incompréhension. Cette danse occulaire réussisait même à traduire les supplications intérieures. Le sang coulait le long de la tempe gauche, dilué par un flot continu de larme qui se mélangeait déjà à la boue du sol.
Ravi du résultat, le Marionnettiste ne put s'empêcher de placer le globe sanguinolent à hauteur de ses propres yeux. Il réussit à capter le regard de sa victime et lui intima d'être très attentive. Celle-ci dévisageait son bourreau sans comprendre. Alors, celui-ci attrapa un fauteuil rouge miniature, réplique d'un siège de spectacle confortable et y plaça l'oeil. Puis, il déposa le spectateur macabre et commença sa découpe.
Membres après membres, l'hémoglobine imprégnait ses vêtements et la chaleur du liquide traversait les couches de tissus. Il maniait sa scie comme un pinceaux de maître jusqu'à devenir lui-même un tableau vivant, camaïeu d'éclats d'os et de lambeaux de chair. Il était euphorique et l'excitation faisait pulser son coeur et sa verge.
Lorsqu’il sectionna la jambe, la femme mourut. La deception le frappa de plein fouet, son sexe flasque soudain privé de sa stimulation. Trop vite. Elle ne devait pas mourir si vite ! Il serra la mâchoire et bloqua sa respiration, sans pour autant se libérer de sa colère grandissante. Il se sentait trahi. Elle ne pouvait pas choisir quand mourir ! C'était lui le maître ! Il lui assena un coup de scie au visage et lui écorcha violemment la joue dans une gerbe carmin. Ce geste sembla évacuer le stress et la tension de ses muscles se relâcha. Il regarda alors le carnage devant lui et une sensation de vide enfla dans son corps. Il se sentit las, vidé de sa substance, sans but.
Puis il se rappela qu’elle n’était que l’appât. Alors il reprit sa découpe. L'odeur enhivrante du fer emplit de nouveau ses narines, sa bouche et il laissa ce doux parfum guider ses ultimes gestes. Lorsqu'il s'attaqua au tronc, l'odeur devint exquise. Les vicères sectionnées déversèrent leur contenu dans un éclaboussement d'urine et de fécès. Lorsqu'il scia le coup final, son érection tendait douloureusement le tissu de sa combinaison.
***
Chase déboula en trombe dans son bureau. Le jeune homme était en sueur et tenait à la main une étrange boîte. Le gamin avait le sourire aux lèvres et David ne comprit pas tout de suite. Quand le garçon ouvrit la boîte, un diable en sortit, oscillant sur son ressort en ricanant mécaniquement. A la vue des deux sphères blanches nervurées de capillaires brunâtres, remplaçant les yeux de la poupée par leur pupille sans vie, David comprit.
« Sherif ! J’ai découvert ça sur le pas de ma porte ! Il est de retour ! Je pense qu’il veut que je participe à l’enquête ! »
David resta un moment interdit, ne sachant comment interpréter l’euphorie de son équipier. Puis, décrétant que cela devait être la première grosse affaire dont le petit allait devoir s’occuper, il lui décocha un sourire en coin.
« Tu as perdu la tête Chase ? C’est moi ou tu tiens une pièce à conviction sans gant ! Tu es en train de la souiller avec tes empreintes, imbécile ! Dépose-moi cette boîte tout de suite et va me chercher l’équipe scientifique ! »
Ayant retrouvé ses esprits et comprenant la gravité des conséquences de la bourde de sa recrue, David se mordit les lèvres. Si ce jeune blanc bec venait de bousiller sa chance d’attraper ce salaud, il ne respirera plus très longtemps !
L’équipe de la police scientifique arriva au plus vite et s’adonna aux examens préliminaires : recherche de traces de sang, d’empreinte, de cheveux, … Rien… à part ceux de Chase bien sûr. David était fou de rage mais ne laissa rien paraître. Au fond de la boîte son équipe avait trouvé l’habituelle énigme.
« Pour un acheté, trois offerts ! … Mais qu’est-ce que ça veut dire…
- Peut-être que ce pantin est vendu en promotion dans un magasin… Me regardez pas comme ça Sherif… C’est juste que c’est bientôt Halloween et que ce putain de diablotin fout grave les j’tons ! »
Sans plus attendre David ordonna qu’on cherche tous les magasins où se vendaient ces poupées. Parmi la dizaine d’établissements potentiels, seuls deux proposaient des promotions, l’un dans l’état voisin et l’autre à une centaine de kilomètre de Mastertown. Effectuant des recherches dans un périmètre autour des deux magasins, les policiers ne tardèrent pas à trouver le corps d’Angel, dans la même mise en scène désormais tristement familière : membres découpés et bain de sang. David laissa ses policiers faire leur travail et commença à recueillir les témoignages.
Après une dure journée, tout le monde était de retour au poste. David ne pouvait contenir son impatience. En six ans d’enquête c’était la première fois qu’ils faisaient des découvertes si rapides, et tout ça grâce à Chase ! Même si le serial killer était encore dehors, David sentait qu’il était plus proche que jamais du but. Avec de la chance, l’intuition du petit les mènerait tout droit au tueur et il pourrait enfin faire le deuil de Lucie.
« Allez les amis, trinquons à la chute imminente du Marionnettiste et au héros du jour, Chase Cornick ! »
Tout le monde applaudit et les verres s’entrechoquèrent avec gaieté. Bien ancrée dans son fauteuil, Mathilda ne participait pas à l’effusion enthousiaste de ses collègues. Elle examinait discrètement Chase dont la joie semblait évidente mais provoquée par une raison tout autre que la réouverture de l’enquête.
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