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- À mort ! Sorcière !

- Brûlez-la ! C'est la créature du Malin !

- Je l'ai vue partir sur un balai au sabbat !

- Elle a participé à des rituels démoniaques ! Égorgeuse d'enfants !

- Elle a copulé avec des démons !

- Les animaux tombent malade et meurent à son contact !

- Les enfants dont elle a assisté à la naissance sont nés malformés, bossus ou avec un pied bot !

- Brûlez-la, brûlez-la !

Des cris de rage et de haine retentissaient autour d'elle, mais elle tâchait de les ignorer.

Elle éprouvait une profonde aversion pour ces gens qui ne pensaient pas par eux-mêmes et se contentaient de suivre le mouvement, par crainte d'être à leur tour soupçonnés de sorcellerie ; mais ceux qui les dirigeaient lui étaient plus antipathiques encore. La préservation des bonnes mœurs et la protection de la population contre les méfaits de ces "sorcières" et autres empoisonneuses leur était bien indifférente, seuls comptaient à leurs yeux avides les biens de la femme accusée, qui leur revenaient de droit.

Tant d'aveuglement chez les uns et de cupidité chez les autres écœuraient la jeune femme au centre de la foule.

Elle était plutôt grande, approchait de la trentaine. De longues boucles noires cascadaient dans son dos légèrement tordu par une scoliose. Dans ses yeux vairons luisaient le mépris et le dédain, voire le dégoût profond par moments. Son port de tête altier et hautain faisait redoubler le débit du flot d'injures et de calomnies dont elle était abreuvée depuis plus d'une heure.

Les mains liées derrière le dos, elle regardait le ciel alors qu'une charrette la menait, avec forces chaos sur le pavé de Paris, vers la Place de la Grève où se dressait son bûcher.

Elle tentait en vain d'empêcher tout son corps de trembler, mais celui-ci était envahi par la peur de mourir et recouvert d'une fine pellicule de sueur et de poussière ; au moins parvenait-elle à dissimuler son angoisse grandissante à mesure qu'elle se rapprochait du lieu fatidique aux gens qui lui crachaient leur venin au visage.

Elle était simplement vêtue d'une fine chemise de laine sale, gracieusement fournie par un membre du tribunal sommaire qui l'avait jugée en une parodie de procès.

Elle ne laissa rien paraître de sa terreur en voyant au détour d'une rue le poteau et les fagots de bois sec, au pied desquels l'attendait le bourreau, une torche enflammée à la main. Elle déglutit péniblement, la gorge sèche, et serra les dents : elle ne leur donnerait pas le plaisir de la voir paniquer dans les derniers instants.

Après un moment qui lui parut durer une éternité, la charrette fit halte. Elle descendit lentement en contemplant, avec une fascination morbide, le tas de bois qui projetait sur elle son ombre de mort et n'augurait que souffrance et martyr.

Essayant sans succès de ralentir les battements effrénés de son cœur, elle suivit le bourreau sans lui opposer la moindre résistance, apathique.

Elle entendit à peine le sempiternel discours du prêtre, et ne reconnut dans ses paroles que son prénom : Aélis. Elle n'admettait avoir commis aucun des crimes qu'il citait et pour lesquels elle était inculpée. Elle n'était qu'une herboriste, pas la sorciere décrite, sans âme qui dévorait les petits enfants.

Au début, elle avait farouchement nié tous ces chefs d'accusation, maintenant que ce n'étaient que de viles calomnies. Puis, on l'avait introduite dans la chambre de torture, et elle avait vite compris où se situait l'Enfer sur Terre.

Deux choix s'offraient à elle, cruauté supplémentaire de ses accusateurs abjects : persister dans la négation et subir la question jusqu'à ce que mort s'ensuive ; ou admettre tout immédiatement, et être condamnée à mort.

Ce dernier cas promettait un trépas plus rapide et moins douloureux que celui qui l'attendait dans la salle des tourments.

Comme nombre de femmes avant elle, Aélis avait opté pour l'exécution publique, où elle quitterait ce monde sous les crachats et les kyrielles d'injures.

Sous ses yeux apparut un crucifix, la croix de la Rédemption. Elle croyait en Dieu avec ferveur, avait toujours respecté Ses Commandements et aimait son prochain ; quelle aberration qu'elle meure accusée d'avoir pactisé avec l'Ennemi...

Elle n'entendait plus les paroles apaisantes du prêtre, ni les vociférations de la foule agglutinée autour du bûcher.

Elle n'avait pas empoisonné Monsieur Jacques, non, ce n'était pas elle la coupable. Elle hurlait son innocence à pleins poumons, mais personne ne crut ce qu'ils considéraient comme les élucubrations d'une femme aux portes de la mort.

Soudain, tout ne fut plus que feu, chaleur et souffrance intense. Un cri inhumain s'éleva du brasier ronflant.

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