Cube
Sa vue revient progressivement. Il peut à présent distinguer certains détails. Il se trouve dans une pièce gigantesque, semblable à un hangar, comme ceux de Boeing. Les longues poutres d'acier soutiennent un plafond voûté en tôle, sur lequel sont suspendues de larges barres de néon. Tout cet univers semble très industriel, mais pour autant très moderne. En effet, sur les murs, il observe des marquages blancs, qui contrastent avec la sombre peinture du reste de la pièce ; des marquages géométriques, linéaires, qui semblent avoir une certaine logique dans la façon dont ils ont été tracés. Il y a aussi ces câbles, partout, qui sortent de nulle part, qui se joignent et se croisent dans un entrelacs statique, se jetant dans des colonnes mates et imposantes, d'une finition parfaite : certainement des ordinateurs de nouvelle génération.
Lui est dans ce cube. Un cube immense, en verre, posé là au centre du hangar. Il est seul et nu, prisonnier de ces choses. Il comprend maintenant qu'il est pris au piège. Il se lève, fait quelques pas et pose ses paumes de mains sur les parois froides de ce cube, des parois à première vue incassables, de par leur importante largeur. Il prend un instant pour réfléchir. Puis il se jette au sol et scrute les jointures des différentes parois, telle la mouche qui cherche à s'échapper du gobelet en plastique retourné. Pas de silicone, pas de trace de colle ou d'une quelconque fixation. Le cube semble être fait d'une seule et unique pièce de verre. Une prouesse technologique respectable au vu de la taille de l'édifice.
Dans son élan, il ne s'est pas rendu compte qu'un plateau-repas avait été déposé dans sa cellule. Viande, légumes, pain, yaourt... Tout y est. Tout est présenté sur cette petite plaque de métal. Il s’accroupit lentement, saisit le steak avec ses mains, le porte à son nez avec méfiance pour le sentir. Rien d'anormal. Il en croque un morceau, le mâche lentement, hésite à l'avaler, mais finalement, laisse le petit morceau de viande glisser dans son œsophage. C'est un steak parfaitement banal. Il engloutit alors tout ce qui se trouve devant lui, comme s'il n'avait pas mangé depuis trop longtemps. C'est un sentiment de frustration qui le gagne lorsque le plateau est terminé. Il s'allonge sur le dos, le ventre plein et regarde le haut du cube. La face du haut est différente. Ce n'est pas du verre. On dirait plutôt du plastique, du caoutchouc, du fer, formant une sorte de quadrillage dont chaque intersection serait des petits cercles creux.
Soudain, un bruit étrange le fait sursauter. Ce même bruit que l'on entend lorsque l'on compresse fortement de l'eau dans un réservoir et qu'elle est expulsée à forte pression par un tout petit orifice. Il comprend que quelque chose va d'ici peu l'asperger. Il tente de se protéger en se repliant dans un coin, de peur qu'il s'agisse d'acide ou de toute autre chose susceptible de le tuer, mais rien ne peut le mettre à l’abri. Les diffuseurs, les petits cercles, sont répartis sur toute la face haute du cube et les panaches de fumée l'embaument instantanément. Il panique, hurle, replié sur lui-même en position fœtale. Il saisit le plateau et le lance avec force sur ces orifices. Mais alors que les diffuseurs continuent de déverser leur contenu de plus en plus intensément, il s'aperçoit qu'il s'agit d'eau. Une eau chaude, douce, agréable. L’incompréhension le gagne. Pourquoi font-ils tout cela ? Puis il remarque qu'à l'endroit où il a lancé le plateau, le diffuseur est fendu et l'eau qui s'en échappe coule bien plus fortement que par les autres. C'est alors que lui vient une idée. Une idée à double tranchant : soit son plan fonctionne, soit c'est la mort.
Il saisit le plateau et vise un à un les diffuseurs. L'eau s'échappe de plus en plus fortement à mesure que les valves sont brisées. Une cascade se crée dans le cube, déclenchant une alerte sonore, activant des gyrophares rouges sur les murs et le plafond du hangar. Les calculateurs tentent de régler le problème, sans résultats. Lui commence à perdre pied dans ce cube qui se remplit. Il tente de maintenir la tête à la surface, mais les flots sont vifs et la masse d'eau qui se déverse sur lui le pousse vers le fond. Il espère que son plan va fonctionner. Puis il reprend espoir lorsqu'il entend un bruit de verre qui gronde dans l'eau. La pression exercée sur les parois devient importante. Lui n'arrive pas à regagner la surface, son pouls s'accélère et l'oxygène commence à manquer dans ses poumons. Il constate que des robots sont de l'autre côté de la vitre et le regardent, ne sachant pas quoi faire. Les parois se fissurent par à-coups. Il ferme les yeux et se force encore un peu à rester en apnée, quand enfin les parois du cube cèdent, libérant des litres d'eau dans le hangar. Il est transporté par le courant, parmi les énormes débris de verre. Les robots fuient la zone et le calme regagne alors l'environnement. Il respire à pleine bouffée, là, allongé sur le sol. La cascade, ininterrompue, continue de déverser toute cette eau.
Mais pas le temps d'observer son œuvre, il faut partir avant que l'eau ne gagne les calculateurs et qu'il ne meurt électrocuté. Il se lève alors et court vers la première issue qu'il trouve.
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