2. Lucy

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Je suis certaine qu’il pense que je commence à l’oublier. J’en suis même plus que certaine, j’en suis sûre. Deux mois, sans lui envoyer de message, sans lui envoyer un seul message. C’est long, trop long. J’ai envie de lui donner ne serait-ce qu’un seul petit signe, mais je ne peux pas. Je ne peux plus continuer de cette façon-là. Je ne veux plus être blessé pourtant je reste attaché à lui, à nos souvenirs, à notre jeu… Je ne devrais pas, je dois l’oublier. Je dois le sortir de mes pensées mais c’est impossible. Il occupe vraiment toutes mes pensées. J’ai l’impression de l’attendre, alors que je sais très bien qu’il ne viendra pas. Pas à trois cents kilomètres de chez nous. Et c’est une tête de mule, bien trop butée pour faire le premier pas. Je le sais bien.

Je me laisse avoir et cède à l’envie de lui envoyer un message. Un dernier message. Un message encore sans réponse. Même avec ce message, il se dira que je vais réussir à l’oublier. Il pense que je vais l’oublier tout ça parce qu’il l’a décidé. Il croit que je vais l’oublier parce que je ne vais recevoir aucune réponse de sa part. Mais ce n’est pas vrai, ça non jamais je ne pourrais. Jamais, je ne pourrais effacer tout ce que nous avons ensemble, tout le passé et toute mon enfance sont rythmés par mes moments, mes instants avec lui. Si j’oubliais cela voudrait dire que je dois perdre une grande partie de ce que j’ai vécu. Perdre une part de moi, impossible. Il se moque de moi... Il ne peut pas me laisser sans réponse, plus maintenant pas après tout ce temps. Pourtant, je sens que j’espère une chose qui n’arrivera pas. J’espère quelque chose qu’il n’est pas prêt à faire. Il est loin d’être prêt. Il croit que le jeu compte encore. Mais putain, moi, je m’en fous totalement de notre jeu. Je veux m’en défaire. Seulement, je ne sais pas si c’est possible. Je ne pense pas que nous ayons vécu sans le jeu un seul instant. Je n’arrive plus à savoir quand il me parlait réellement de ses sentiments. Comment distinguer le vrai du faux, la vérité du mensonge quand soi-même, on ne sait pas, on ne sait plus ce qu’on ressent.

Puis, il est vrai aussi que c’est la première fois qu’il s’énerve autant, il ne répond même pas, même plus à mes appels, à mes messages, à mes espoirs. Je me doute que son pourri de cousin en profite pour l’entraîner dans des galères. Enfin, j’espère que j’ai tort sur ce point. Gaël est peut-être, est un type pourri mais il aime Romain. Alors, il ne l’amènera pas au fond du puits. Du moins, je ne pense pas qu’il lui ferait ça. Même si ses histoires sont allées un peu loin parfois. Je suis déjà allée chercher Romain plusieurs fois au poste de la gendarmerie. Heureusement, pour eux que je n’habite, n’habitais qu’à cinq minutes de celle-ci. Maintenant, il va devoir se débrouille sans moi, pour se sortir de la merde de son cousin. Remarque s’il se laisse faire c’est qu’il est vraiment idiot. Il se fait vraiment manipuler comme un débutant ou alors c’est qu’il y a une partie de lui qui le veut bien. Oui, c’est plutôt ça, il veut être dans la merde. Parce que c’est ce qu’il fait quand il est énervé, il se pousse à bout, il fait des conneries. Il fait tout cela pour se faire du mal sans penser que son entourage peut être touché par ce qu’il fait. Nos décisions entrainent souvent des répercutions, c’est même immanquable.

Bon, finit de parler de Romain, il n’a pas voulu m’écouter du coup je n’ai pas eu le temps de lui expliquer pourquoi je suis partie. Si lui n’a pas voulu savoir, d’autres m’ont écouté. Donc alors, j’ai dû partir parce que je voulais continuer mes études et oui, je suis une petite étudiante. Je suis aussi partie parce qu’on avait besoin d’air. Lui comme moi, nous avons cherché et joué mais je n’avais plus envie de continuer de cette façon-là. Alors partir était la bonne solution. En plus, les études que je fais sont particulières. Je n’avais pas trop le choix, les écoles sont plutôt éloignées de chez nous. Cela ne m’empêche pas d’être heureuse. Je suis super contente d’être partie pour mes études effectivement, c’est pour mon avenir. Et l’avenir c’est important. Je ne vais pas le passé à jouer un jeu qui me brise. Non, je veux plutôt le passer avec mes feuilles et mes crayons. Une imagination débordante qui n’attend plus qu’à s’exprimer à travers mes dessins. Je passe mes journées face à mes feuilles souvent avec des touches de couleurs partout sur les mains mais c’est de ça que je veux remplir mon avenir. Je veux remplir mon avenir de sourire, de rire et de bonheur, j’en ai fini avec les larmes. J’en ai surtout fini avec les mensonges de là-bas.

Maintenant, je me retrouve avec mon appartement et des rencontres merveilleuses, toutes les personnes sont géniales ici. Vraiment. Nous avons les mêmes passions. Le dessin guide nos journées, nos soirées sont bien animées aussi. J’ai rencontré des personnes extraordinaires qui essaient tous les jours de me changer les esprits, de me faire oublier celui que j’ai laissé derrière moi, celui qui est encore dans cette ville. Cette ville que je déteste, cette ville ou je suis restée si longtemps seulement pour des personnes qui me font chaud au cœur. Seulement, parce que des gens me faisaient sourire. Cette ville n’est pas mon destin et je le sais. Mais lui, le sait-il ? J’espère qu’il va le comprendre. J’étais vraiment mal quand je suis partie. Il a tellement mal réagi à mon annonce.

Je me sens bien à présent, je sais où je vais, certes j’ai fait des erreurs même beaucoup mais je laisse le passé où il est. J’essaie de ne pas trop penser à mes erreurs, elles m’ont permis d’avancer et de grandir beaucoup plus vite que ce que j’aurais dû. Maintenant, le manque se fait sentir. Il y a des personnes qui me manquent, des personnes qui sont importantes pour moi. Mes parents enfin mon père qui est très éloigné de moi, beaucoup trop encore une fois, mon frère et aussi Romain, oui encore lui. Mais qu’est-ce que je peux y faire ? On a grandi ensemble.... Il est un de mes repères, un des piliers de ma vie, je ne peux pas avancer sans lui. Maintenant, je crois bien que je ne vais pas avoir le choix et que je vais devoir essayer d’avancer sans lui. De continuer à grandir et évoluer sans lui. C’est mon Romain et ça le sera toujours. Même si en vérité il n’est pas vraiment à moi c’est juste une façon de parler.

Il va falloir que je me dépêche de retourner en cours, moi, je ne suis pas en avance du tout. Merde ! Anne et Max vont encore se marrer. J’arrive souvent en retard, enfin deux minutes de retard et je m’en excuse. Chaque fois, je m’excuse alors que les profs ne sont pas encore là.

— Lucy ! Hey, Lucy ? Attends-moi ! Je suis aussi en retard, n’avance pas si vite ! Allo la lune ?

— Ici la terre. Oh, pardon. J’étais perdue dans mes pensées. Comment se fait-il que tu sois en retard Marie ? D’habitude, tu as au moins dix minutes d’avance.

— Oui, je sais. Ne me le rappelle pas. J’avais oublié mon sac. Quelle idiote, je fais. Tu y crois ? Oublier son sac alors qu’on va en cours. Franchement, n’importe quoi.

— Ah ah, merci Marie.

— De quoi ? Je n’ai rien fait. Oh, je vois. Tu pensais encore à ton mystérieux Romain. Je me trompe ?

— Non, tu as tapé dans le mille. Je ne pourrais pas l’oublier de toutes manières donc vous risquez d’en entendre parler pendant longtemps. J’ai tendance à perdre le fil de la réalité quand je pense à lui. Il me manque beaucoup plus que ce que j’aurais cru. Tu sais, nous n’avons jamais été aussi éloigné l’un de l’autre, je veux dire. Il n’y a jamais eu une telle distance entre nous. Le fait qu’il ne me donne pas de signe de vie n’arrange pas les choses. Loin de là.

— Si j’ai bien compris, vous avez grandi ensemble. Alors écoutes-moi, c’est tout à fait normal que tu penses à lui. Je comprends très bien ta situation mais tu dois aussi savoir que nous sommes là pour toi. Tu n’es plus seule. Vous n’êtes plus que tous les deux. Laisse-nous entrer. Et tu verras, ton sourire se montrera plus facilement avec le temps. Je sais c’est plus facile à dire qu’à faire. Fais-moi confiance, c’est tout. Je ne te demande pas de l’oublier, juste de nous faire un peu de place.

Elle a raison, je peux leur faire de la place. Cela fait tellement plaisir d’avoir des amis sur qui compter. Nous ne sommes plus deux contre le reste du monde. Non, cette partie-là est terminée. Maintenant, je laisse entrer ces rencontres qui deviennent de plus en plus importantes. Ces personnes qui sont là chaque jour pour m’encourager, me faire sourire, et rire.

Peut-être bien que je n’aie pas envie de me détacher de lui. Pas tout de suite en tout cas, peut-être même jamais. Il y a ce lien entre nous, ce lien inexplicable. Notre relation a toujours été étrange, mais c’est la nôtre. Peu importe tout ce qu’il m’a fait, finalement il sera toujours dans ma vie quoiqu’il arrive, il m’a permis de me construire. Il a contribué à la personne que je suis aujourd’hui. Toutes ces disputes entre nous ont toujours fini par nous rapprocher. Nous avons toujours fini tous les deux à rire devant un bon film. C’est notre marque de fabrication, notre façon à nous de faire la paix.

Ce qui est le plus mignon, c’est qu’il choisit toujours un film qu’il est sûr que je vais détester et qu’il s’endort toujours au début, alors j’ai le temps d’en regarder un autre avant qu’il finisse par se réveiller. Lorsque c’est le cas, il ronchonne parce qu’il n’a pas vu le film. S’il savait que ce n’est pas celui qu’il choisit, ça ferait longtemps qu’il ferait la tête. Il pense m’embêter mais il se trompe. Passons. Il n’est pas là et cela m’étonnerais que je le trouve devant ma porte avec un bon film au programme. Je rêve un peu trop. Et pourtant, j’espère un peu au fond de moi. Encore et toujours. Une part de moi croit encore qu’il tient assez à moi pour venir. Pour faire trois cents kilomètres pour me retrouver.

Il faut vraiment que je me change les idées. Je ressasse un peu trop là. Ils sont partis où les autres déjà ? Oh non, cette fois je suis vraiment en retard. Marie a dû avancer plus vite que moi, je suis seule dans le couloir. Je suis bonne pour repartir chercher un mot d’excuse. C’est déjà la troisième fois cette semaine que je suis en retard. Si les parents l’apprennent, je suis mal. Merde, merde, merde ! Il faut que je me dépêche et vite !

Oups ! En me retournant, pour filer cherche ce fichu mot, j’ai foncé dans quelqu’un. C’est bien ma journée tient... Je suis une catastrophe, je cumule les gourdes. Ah ah. Vraiment, je n’en rate pas une. On me tend la main pour m’aider à me relever. Quelle n’est pas ma surprise quand je vois le beau visage de Max. Je ne mens pas quand je dis qu’il est beau, avec ses magnifiques yeux bleus. La couleur de ses yeux est si intense qu’on pourrait s’y noyer. J’adore ses yeux. Je ne pourrais pas me lasser de les regarder.

— Hey ! Miss ? Tu vas bien ? Qu’est-ce qui t’as pris de te retourner aussi vite ?

— Euh, salut. Comment dire… Je suis encore en retard, il me faut un mot. Je n’avais jamais été en retard avant cette année. Franchement, je n’aime pas du tout le stress que c’est.

— Oh pauvre chou. Aller suis-moi.

— Quoi ? Non, mais attends ! Max, non ! Tu veux vraiment que le prof me cris dessus ? Je n’en peux plus de lui en plus. Il est super froid et on ne comprend rien à son cours.

— Oh mais ne t’inquiète pas, je gère l’affaire. Et ne dis pas un mot sinon tu vas tout faire rater.

— Mmmh, ok. Je suppose que je n’ai pas vraiment le choix. Je dois te faire confiance et me taire.

— Oui.

Mais qu’est-ce qu’il me fait là ? Il me prend par la main et me tire vers la porte de la salle. Je vois à son regard qu’il sait déjà ce qu’il va dire et j’avoue, que ce regard ne me dit rien qui vaille. Je sens que je vais le regretter. Qu’est-ce qu’il va me demander en retour encore ? La dernière fois, il a voulu qu’on fasse une soirée seulement tous les deux. Je n’étais pas très à l’aise. Et puis, il m’a fait parler. Super longtemps d’ailleurs. Bien entendu, il a eu droit à entendre tout un récit sur Romain. Puis il a dévié la conversation comme si de rien n’était. Pour me parler de quoi ? Du nombre de ses conquêtes ! Comme si j’avais envie de savoir ce genre de chose. Franchement. Mais il a dit une chose qui m’a touché, je ne sais pas encore si c’est positif ou négatif mais bon. Il a dit et je cite : « Ton Romain est vraiment bête de t’avoir laissé partir, il ne sait pas ce qu’il perd. Cela se voit que tu es super. Peut-être qu’il ne voit pas que tu pourrais avoir celui que tu veux en un claquement de doigts. » Et pour la touche finale, alors que je pensais qu’il avait enfin finit sa tirade.

Il a rajouté : « Je ne comprends pas pourquoi tu l’attends au lieu de profiter avec d’autres ? ». Là par contre, je me suis énervée pour qui il me prend ? Le pire, ma réaction la fait rire. Mais il ne sait pas, il ne sait rien de notre jeu. Personne ici, ne connaît le jeu. Heureusement, sinon je ne donnerais pas cher de mes amitiés toutes fraiches. Des fois, il vaut mieux garder pour soi des éléments de notre vie. Des erreurs que nous avons faites. Tout d’abord, parce qu’elles nous blessent très souvent et deuxièmement, parce que selon leur intensité, elles peuvent blesser et choquer certaines personnes. Revenons au présent, je pars un peu loin dans mes pensées et ce n’est pas le moment.

Toc toc

— Oui ? Entrer !

— Bonjour Monsieur. Excusez-nous pour le retard. Je suis passée chercher Lucy chez elle et nous avons eu un imprévu sur la route.

— Quel genre d’imprévu ? Lucy, c’est la troisième fois que vous êtes en retard cette semaine, je commence à croire que vous le faites exprès.

— Non non, ce n’est pas de sa faute. Aujourd’hui, c’est de ma faute si elle est en retard. J’ai vu un gars sur le parking avec une super caisse et j’ai pris tout mon temps pour discuter avec lui. Alors forcément, Lucy est en retard.

— En quoi ce retard la concerne ?

— Je l’ai empêché de partir, elle aime autant les bagnoles que moi. Vous comprenez. On ne voit pas tous les jours une Lamborghini ici. C’est plutôt, les petites grenouilles qui dominent le paysage.

— Les grenouilles, jeune homme ?

— Si je puis me permettre monsieur, les grenouilles se sont les Twingo.

— Si vous voulez. Prenez place ! Et plus vite que ça !

C’est tout ! Non mais je rêve encore. Comment le prof peut-il accepter une telle excuse. Elle n’a aucun sens et puis qui croirait qu’une Lamborghini puisse se trouver ici ? Il ne pouvait pas trouver pire excuse. Il a pourtant l’air fier de lui et il m’entraine à sa suite. Je suis forcée de m’asseoir à côté de lui, il tient toujours fermement ma main dans la sienne. D’ailleurs, je vois bien aux yeux des filles et à leurs sourcils froncés, qu’elles ne comprennent pas. Honnêtement, moi non plus, je ne comprends pas alors je hausse les épaules et me laisse tomber sur ma chaise.

— Ne recommence pas à rêvasser la miss. Surtout si c’est pour penser à ton cher Romain. C’est un pauvre type s’il continue à t’ignorer. Tu devrais plutôt passer à autre chose. Ou à un autre.

— Qu’est-ce que cela peut te faire à qui je pense ? Quoi tu veux être l’autre ?

J’espère qu’il a compris que ses phrases ne m’ont pas du tout plus. J’ai employé le ton le plus sarcastique que je connaisse. Et vu, le regard qu’il me jette, je suis certaine d’être arrivé à mon but. Cela ne l’empêche pas de me mettre un léger coup de coude.

Ce moment, ce geste, ce regard. Tous ces éléments me replongent immédiatement dans mes pensées et elles sont bien évidemment tournées vers lui. Romain. Mais que fais-tu ? Où es-tu ? Tu es vraiment en colère contre moi. Pourrais-tu comprendre que j’avais besoin de m’éloigner de tout ça, de tous les problèmes que nous commencions à avoir ? Tes amis, ils ont toujours pensé que c’était toi le leader de votre groupe mais moi, je sais. Je sais, que tu as poussé le jeu tellement loin. Si loin que tu ne fais plus attention aux gens qui t’entourent et que tu blesses. Tu les as blessés aussi d’une certaine manière. Moins que moi, moins que le jeu en lui-même mais un peu tout de même.

A force de penser à toi, je comprends enfin ce qui pourrait te faire réagir. J’en ai fini des messages, celui que je t’ai envoyé récemment sera le dernier. Oui, c’est le dernier que tu recevras de moi. Ils ont raisons et tu avais raison. Nous devons essayer de nous oublier. Peut-être que je ferais. Non, je vais faire une chose qui sera là notre dernière chance. J’espère seulement que tu la saisiras. Je crois encore au fond de moi, que dans ton cœur et surtout dans ta tête, parce que tu réfléchis trop, il y a une part de nous. Nos souvenirs ensemble et ceux de notre jeu te feront peut-être avoir un déclic qui nous sauvera, l’un comme l’autre. Sans toi, j’ai l’impression de ne pas être entièrement moi. Est-ce que c’est aussi le cas pour toi ?

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