L'éveil – Guillaume

5 minutes de lecture

L’extinction quasi-totale des appareils électriques plongea le grand appartement chic dans un noir et un silence inaccoutumé. Guillaume essuya ses mains moites sur son pantalon, il pouvait partir. Un livre de contes coincé dans sa poche, une minuscule lampe à dynamo en main, il sortit dans le long couloir décoré de statuts te de plantes en pots. Dans le noir, le moindre éclat de lumière se voyait de loin. L’adolescent plaça le faisceau de sa lampe contre sa main, ainsi il y voyait juste assez pour éviter les obstacles.

Guillaume entendait au fin fond de l’appartement le rire gaillard son père. Il le devina se moquant de cette lubie écologique, jouant le jeu juste par amusement. Lui, trouvait cette idée étrange bien pratique, car elle lui permettait de se rendre dans les laboratoires plus discrétise ment. Autant Guillaume Karoni, unique héritier de la K.Corp avait libre accès à l’intégralité des lieux de la société, autant son attitude et ses propos devaient se conformer à ce qu’en attendait son père sous peine de sévères remontrances. L’adolescent le craignait terriblement pour deux raisons : premièrement ses punitions affectaient aussi d’autres personnes, signifiant renvoi, emprisonnement ou pire, secondement la tolérance de Marc Karoni était aussi réduite que sa patience ou son sens de la famille.

La porte d’entrée fermée dans un chuintement assourdi, Guillaume descendit en courant de l’immeuble directorial dont l’appartement occupait le dernier étage. Il rejoignit un couloir d’employés qui menait au complexe scientifique. Un laborantin lui avait confié secrètement une clé passe-partout – destinée aux déplacements en cas de coupure de courant. Grâce à elle, il rejoignit par les escaliers dérobés le laboratoire biotechnologique.

Normalement, il n'y avait plus aucun employé dans les locaux car l'obscurité mettait la plupart au chômage technique. En revanche, les gardes circulaient en plus grand nombre et s'ils ne feraient rien à Guillaume, ils rapporteraient sa présence à son père. Il faudrait alors raconter les raisons de sa présence, qui ne lui plairaient pas, et expliquer comment il était entré en possession d'un passe-partout.

Connaissant par cœur les lieux, Guillaume atteignit sans peine sa destination. Avec l'arrêt des lumières, seuls les mécanismes nécessitant une alimentation en continu fonctionnaient. Dans la salle d'incubation, une veilleuse éclairait les caissons en permanence. L'adolescent circula dans l'allée principale, jetant un œil inquiet à travers les petites fenêtres. On y voyait des enfants à différents stades de développement allant du fœtus à six ans.

– Bonsoir, comment allez-vous ? demanda Guillaume à mi-voix, s'adressant principalement aux plus âgés.

Un ordinateur ronronnait contre un mur, il fonctionnait au ralenti. Guillaume tira le fauteuil roulant et s'installa dessus.

– Ce soir, je vais vous lire le conte des Trois Pommes, annonça-t-il.

Marc Karoni considérait profondément aberrant de faire la lecture à des expérimentations, endormies de surcroît. Guillaume, quant à lui, s'était attaché à ces enfants qu'il voyait grandir à vitesse accélérée. Lui qui avait grandi environné d'adultes sentait croître en lui un élan paternel envers eux.

A peine eut-il lu le « Il était une fois » qu'un léger mouvement attira son œil. Une petite bouille aux grands yeux de nuages le regardait à travers un hublot. Guillaume laissa éclater un cri de joie.

– Bonjour, Senta ! Bienvenue parmi nous !

L'enfant cligna des yeux. Guillaume hésita, incertain des consignes à adopter lors de l'éveil d'une expérimentation, et décida d'ouvrir le caisson, il ne pouvait laisser le garçonnet enfermé. Tandis qu'il soulevait le clapet d'ouverture il entendit un martèlement derrière lui. Une autre bouille avec des petits poings vindicatifs exigeait qu'on la sorte de là.

– Toi aussi, Abel ! Je vais te sortir de là.

Ce ne fut pas aisé car l’agitation du garçon faisait trembler le clapet.

– Calme-toi, tu ne fais que rallonger l’attente.

Il finit par y parvenir et Abel se laissa tomber hors du caisson, emportant avec lui une électrode et son cordon.

Guillaume se retourna et vit que Senta avait ouvert à un troisième garçon.

– Et Ulysse, sourit Guillaume. Les trois aînés, voulez-vous une histoire ?

Ils acquiescèrent vivement en le détaillant de leurs grands yeux curieux. La doctoresse Karole Joud avait prévenu que les bio-conçus ne parleraient pas à leur réveil. Il leur faudrait un peu de pratique pour arriver à articuler les mots qu’on leur avait appris durant leur développement.

Guillaume les fit s’asseoir devant lui, mais l’énergie de leurs muscles bien reposés les agitait et leurs yeux enfin ouverts réclamaient de voir. Et voir de préférence les lettres et les images du livre. Ils se collèrent au lecteur et l’écoutèrent avec assiduité. L’adolescent se demanda avec émotion s’ils reconnaissaient sa voix. Sans doute, oui, puisqu’ils semblaient l’avoir écouté dans leur sommeil.

Il lut d’abord en chevrotant, puis son timbre se calma. Plongés dans le conte, nul n’entendit la porte s’entrouvrir. Les enfants s’intéressaient trop à leur histoire.

Un son de gorge à peine audible surprit Guillaume Karoni. Suspendant sa lecture, il regarda derrière lui, inquiet d’être surpris par un garde. On le morigénerait de ne pas être allé aussitôt annoncer le réveil du trio.

Le sang quitta son visage quand il devint évidant que l’ombre mince qui franchissait la pièce n’était pas celle d’un employé. Il vit une tenue dédiée à l’infiltration, un sac et une énécap tendue vers lui.

– Bonsoir petit Karoni, tu vas être sage et m’obéir, d’accord ?

Guillaume ne répondit pas, il repoussait les enfants derrière lui.

– Cachez-vous, leur chuchota-t-il.

– J’aimerais récupérer les données de création des ces morveux, allume l’ordinateur.

– Une alarme a été mise en place pour l’Heure de Noir, chevrota Guillaume. Si on sort l’ordinateur de sa veille sans le bon mot-de-passe, elle s’allume.

En vérité, l’adolescent supposait fort probable qu’il en soit ainsi et, c’est sûr, cela permettrait d’attirer du monde. Mais… dans le cas contraire, l’intrus s’en tirerait avec des données très précieuses, trop. Une fine sueur lui coulait sur le front. L’intrus cracha par terre.

– Dans le doute, je vais te croire. Dans ce cas, tu vas prendre un des mômes et me suivre.

– Non.

Le refus avait fusé sans même qu’il y réfléchisse. Guillaume refusait de laisser aucun des garçons partir avec cet inconnu. Petit à petit son esprit reconnaissait ces traits émaciés, une dreadlock rousse dépassait de son bonnet. Les entrailles déjà malmenée de l’adolescent se tordirent. Il s’agissait de Sèntarémio, ancien membre du commando de mercenaire qui formait l’embryon d’armée privée de Marc Karoni. Un anarchiste nihiliste qui était parti avec des prototypes et dans un chemin de sang. Accessoirement, l’échantillon de sang prélevé à ses débuts avait été utilisé pour certains des bio-conçus.

Un sourire sadique étira les lèvres fines du criminel.

– Mauvaise réponse.

Une lumière vive émana de l’énécap.

En une fraction de seconde, l’éblouissement devint brûlure. Guillaume se plaqua les mains contre les yeux en glapissant de douleur.

– Oups, manque de contrôle, entendit-il dire Sèntarémio.

Des mouvements contre ses jambes signalèrent l’agitation des enfants.

– Restez en retrait ! Leur intima-t-il.

Il savait très bien qu’il représentait une protection dérisoire face au criminel. Tout au plus espérait-il que les enfants ne paniqueraient pas. Si les bio-conçus disposaient de la maîtrise de l’énévie comme Morgan et Caïn, ils pouvaient déclencher des pouvoirs incontrôlables.

– Bon, les morveux, il y en a un qui va prendre la main de Karoni junior et venir gentiment vers moi.

La douleur de ses cornées envahissait les capacités de réflexion de Guillaume. Il n’y voyait plus rien, juste des taches de lumières. Des petites mains agrippèrent à sa chemise et son pantalon.

– Non, clama une voix fluette.

Une explosion effraya l’adolescent sans pour autant qu’il ressente le moindre souffle. Un juron s’éleva dans un grognement de douleur, suivi d’un bruit de course.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cléo Didée ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0