F. ou les vertus automobiles

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Le soir F. m’a promis de me rejoindre mais elle ne sait pas à quelle heure elle pourra se libérer. La situation est tendue avec son compagnon, T., la veille il lui a dit qu’il aurait préféré qu’elle lui annonce qu’elle avait couché avec dix mecs plutôt que « ça ». « Ca » c’est moi, c’est nous, un truc de dingues, qui nous rend invivables, tous les deux. Je comprends que la situation puisse être tendue. Moi, je veux vivre tous les instants possible auprès de F., qu’importe que je sois un salaud aux yeux de tous, je veux être un prince à ses yeux. En amour comme à la guerre, il faut parfois vivre au-delà de la morale et des principes.

Je dine avec un pote. Je pars tôt pour être disponible dès que F. le sera. Je me gare à proximité de son immeuble et attends patiemment dans ma voiture. Vers 22h00 je reçois un texto : « Devant l’entrée du parking rue d’Aubervilliers dans 5 mn ». Je suis à côté, attends, démarre, pointe le bout du museau du break devant le portail en métal, le gyrophare orange se met à clignoter. Je descends lentement, elle est là, elle monte dans la voiture et nous descendons au niveau inférieur. Je gare la voiture à côté de la sienne, arrête le moteur et nous nous embrassons.

F. soupire, respire, transpire, souffle, elle n’en peut plus du reste du monde, voudrait que le temps s’arrête là. Juste au moment où le dernier atome de l’extrémité de ma langue frôle le dernier atome de ses lèvres. Que tout soit gelé à jamais dans cet instant si fugace où le contact nous abreuve en même temps que l’appréhension de la séparation de nos corps nous fait trembler. Ne pas se toucher devient une angoisse que nous repoussons sans cesse par nos baisers.

Nous sommes gênés par l’immensité de l’habitacle, par nos sièges, scandaleusement individuels et passons sur la banquette arrière, lieu de la multitude, de la promiscuité automobile. Là, je l’envahis de mes mains, passe un avant-bras sous son chemisier, caresse doucement le haut de ses seins, glisse une autre main sur son ventre, descends lentement sur le bouton de son jean que je dégraffe d’un coup sec. Je passe ma main sur sa hanche et tire en arrière, elle se cambre en avant et glisse ses pouces le long de ses hanches et dans sa culotte pour se défaire de ses boucliers. Je la retiens, lui permettant juste de s’extraire de son jean d’une quinzaine de centimètres et la repousse sur la banquette. Elle gémit lentement, transforme la frustration imposée comme un supplément de plaisir. Sa culotte se frotte sur le cuir, je passe un doigt presque indifférent, volontairement grossier et maladroit sur sa toison à travers le tissu et l’embrasse passionnément. Je repousse son soutien gorge sur le haut de ses seins qui semblent si fragiles, pointés vers le haut à en crever l’habitacle, innervés de plaisir et de demandes.

F. pose une main sur mon épaule, comme pour me repousser, mais pas assez fort pour atteindre ce but, je me penche plus en avant sur sa main que je sens appuyée. Elle serre ma clavicule, me tenant à la fois à distance et proche. Je dégage sa main en tenant son poignet et en le collant contre le siège, à côté de sa tête, je saisis son autre poignet et le colle aussi contre le siège. Je tape ses deux mains légèrement contre le cuir, leur intimant de rester là où je les ai posées. Les mains m’obéissent, les miennes sont libres de la dévêtir complètement. Je commence par dégraffer son haut. Elle se soulève juste ce qu’il faut pour que celui-ci passe par-dessus son corps et sa tête. Je dégrafe son soutien gorge qui en un instant vole dans la voiture pour atterir dans un recoin. Nos rencontres se termineront souvent par ces tas de vêtements épars, que nous observerons avec délice dans nos moments de répis. Je passe mes mains le long de ses hanches, embarque culotte et jean dans leur passage. F. est allongée devant moi, nue, elle attend. Je pose une main ferme sur son ventre, cette main est autant un ordre qu’une supplique de temps mort pour que je puisse enfin la voir dans son entiereté. Je souffle, passe mes yeux sur ses pieds, remonte le long de ses jambes, à l’endroit où celles-ci se terminent j’arrête mon regard, son intimité tressaille comme pour remercier d’être vue. J’aspire une bouffée d’air et d’odeurs de nous, ma tête tombe à la renverse. Mes yeux remontent sur son nombril, je dois choisir une hanche pour continuer la montée. J’opte pour sa hanche gauche, son bassin est large. L’obscurité et ses formes me donnent l’impression d’abuser d’une statue antique que j’aurais dérobée au Louvre ou sur un site archéologique et planquée sur ma banquette arrière. Ma statue joue le jeu, ne bouge pas, je remonte avec tendresse sur la ligne de son flanc, mes pupilles s’enrobent autour de la ligne de son sein. Elles tombent sur une épaule d’androgyne, aux ligne droites d’homme et à la légereté féminine. Je remonte le long de son cou, ma vue s’étire en 16/9ème et j’applique deux bandes noires horizontales en haut et en bas de l’écran pour ne voir que ce menton et cette bouche humide et entre ouverte. Vue en plongée, je zoome légèrement, mes yeux passent en mode travelling de gauche à droite. Je suis le spectateur unique d’un spectacle unique. Soudain l’écran s’étire verticalement et mes yeux tombent dans ceux de F. qui me fixe, ébahie. Elle ne dit pas un mot, ses yeux crient que « merde ! personne ne m’avait regardée comme ça ! Tu es qui bordel ? Qui te permets ? Qui te permets de t’arrêter ne serait ce qu’une seconde de me voir ainsi ! Continues ou je nous tue, là ! ». J’en ai le vertige, de cette communication silencieuse, de ma façon de regarder que je n’avais jamais connu jusqu’alors. Ma tête s’écrase contre son ventre. J’ouvre la bouche pour embrasser cette peau qui est aussi la mienne. Je lui tourne la tête et descend lentement jusqu’à la commisure de ses jambes. Je la respire et un voile noir me force à fermer les yeux. Nous jouons, jouons lèvres contre lèvres, lèvres contre doigts, bouche contre peau, bouche contre bouche, langue contre lèvres. Nous découvrons un monde, une Volvo dans laquelle Adam et Eve auraient trouvé un plein panier de pommes, nous les jettons à la figure en riant, nous les écrasons sur le corps, léchons le fruit tombé en compote et le recrachons dans la bouche de l’autre.

J’ai trente et un ans et je n’ai jamais réussi à faire l’amour à une femme le premier soir. J’ai toujours eu besoin de me sentir un peu amoureux, un peu impliqué pour que mon corps me permette le laisser-aller nécessaire à la pénétration. L’érection masculine est un abandon, pas vis-à-vis de l’autre, mais vis-à-vis de soi même. Bien des hommes et des femmes prennent le phallus en érection pour une prise de pouvoir, une domination. C’est l’inverse, c’est avant tout une capitulation, une soumission à un état naturel. L’homme doit d’abord se soumettre à sa propre animalité s'il veut être pleinement viril.

Avec F. cette barrière n’existera pas. Je me glisse entre ses jambes, elle s’avance sur le bord du siège. Je lui chuchote à l’oreille « Je t’aime. Je veux te faire un enfant ». Nous plongeons l’un en l’autre dans une douceur à la hauteur de notre passion. Notre étreinte est longue, nous respirons comme des animaux, nous émerveillons comme des enfants, exultons comme des adultes. Florence me renverse, m’assois au milieu de la banquette et vient sur moi. Elle colle ses mains au plafond de l’habitacle pour se tenir, ses longs cheveux sont partout, la statue antique est une Gorgone qui me chevauche pour mieux trouver son plaisir.

L’air dans l’habitacle est devenu un mélange d’azote, d’oxygène, de gaz rares et de 80% d’émanations charnelles. Il est possible que tout être terrestre n’aurait pas survécu dans cette atmosphère, elle est celle où nous respirerons le mieux. Nous restons enlacés, couverts de sueur, j’entrouve une fenêtre pour laisser s’échapper la fumée de nos cigarettes. L’heure est aux confidences, nous chuchotons pour ne pas être entendus par les voitures du parking. Chaque mot est un délice, dans la justesse de son choix comme dans la maladresse.

Fin.

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