Chapitre 1: Le mage et le hibou
Leivig contempla d'un coup d'œil rapide la forêt qui s'étendait à l'ouest, océan de vert dans un vallon sauvage. Le toit de feuilles cachant des troncs qui lui étaient familiers, et des ombres laissant deviner la présence d'animaux se mouvant entre les arbres firent éprouver au jeune mage un élan de mélancolie. Il poussa un grand soupir, et tendit une main vers sa forêt en signe d'adieux.
- "Vraiment, vous êtes certain que ça en vaut la peine?" S'exclama-t il.
Un hibou au plumage brun tacheté vint dans un grand bruissement d'ailes se poser sur son bras tendu. L'oiseau de proie le regarda dans les yeux en donnant l'impression qu'il fronçait les sourcils. Leivig leva les yeux au ciel en disant:
- "Bon. Bon. Je vois. Je me tais. Voilà."
Tournant le dos à sa forêt bien aimée, le jeune mage se mît en marche en s'aidant d'un bâton, et avec toujours le volatile perché sur son bras.
Après un moment, il leva les yeux vers le hibou et demanda:
- "C'était bien: plein est, puis au sud après Vildegar? C'est bien ça?"
Le hiboux ne cilla pas.
- "Ça doit être ça!" Dit Leivig pour lui même. "Et donc si j'ai bien la forêt derrière moi…"
Il tourna la tête pour vérifier, et s'aperçut que la forêt était presque à sa droite. Il eut un petit rire nerveux, tandis que le rapace le regardait avec l'air de le juger.
- "Hé hé. Je suis pas très orienté vers l'orientation vous savez. J'ai du virer un peu vers le sud sans faire exprès, mais ça ne se reproduira pas." Et il se replaça avec la forêt derrière lui avant de repartir au pas.
Quelques heures plus tard, il se retourna à nouveau pour faire le même constat qu'avant.
- "Bon!" Dit il. Je vais changer de plan. Je prends la première route que je trouve, et je demande mon chemin une fois arrivé dans un village. Ça m'offrira l'occasion de pratiquer la langue."
Il se mît aussitôt en quête d'un chemin, mais il n'en vit nulle part.
Le hibou secoua alors la tête, puis prit son essor. Leivig resta alors un instant pétrifié, puis il se mît à courir désespérément derrière l'oiseau en l'appelant pour qu'il revienne.
Finalement, épuisé et essoufflé, Leivig s'arrêta pour reprendre son souffle, plié en deux et la langue pendante. C'est alors que le hibou vint se poser directement sur sa tête. Le jeune mage se redressa avec l'espoir de le faire tomber, sans succès. Le hibou s'accrochait à ses cheveux en le dominant de par son perchoir.
Leivig poussa une longue plainte, lassé.
- "Quoi donc encore. Vous êtes énervant vous savez!"
Le volatile tira sur ses cheveux, lui arrachant un cri d'indignation, puis battit des ailes pour venir se poser sur le sol. Ce n'est qu'alors que Leivig réalisa que le hibou l'avait mené jusqu'à la route. Le chemin était pavé impeccablement, et se dirigeait directement d'ouest en est en serpentant quelque peu.
- "Oh! Vous aviez trouvé le chemin alors. Et bien il fallait le dire tout de suite." Fit Leivig.
Le hibou fit un bond et en trois battements d'aile il se posa à nouveau sur la tête du jeune mage, s'agrippant à ses cheveux avec ses serres. L'action fit crier Leivig plusieurs fois comme on lui tirait les cheveux, et finalement il se mît en route rapidement, suivant le chemin pavé en grommelant son mécontentement.
Lorsqu'il finit par croiser un homme sur la route, celui ci s'était arrêté pour le regarder avec de grands yeux curieux. Leivig remarqua la présence d'un humain, et il fit un geste du bras pour signifier au hibou qu'il devrait changer de perchoir. Celui ci s'empressa de venir se poser sur son bras.
Avec l'élégance de celui qui devait son éducation sur les bonnes manières par des livres, il salua l'étranger d'une révérence en peinant pour ne pas se prendre les pieds dans son grand manteau avec une longue cape. Il se redressa et fit un sourire radieux à l'homme qui le regardait avec un mélange de curiosité et de surprise.
Leivig chercha ses mots et prit d'abord bien soin de les articuler soigneusement, puis il se laissa vite aller et parla de plus en plus vite.
- "Bonjour! Salutation brave et noble voyageur! Je me prénomme Leivig, pour vous servir. Je suis vaguement étranger à cette région particulière de l'empire, aussi je vous saurai gré de me venir en aide pour ce qui serait de trouver le chemin menant à Vildegar."
Le paysan fit comme s'il ne l'avait pas entendu , et demanda:
- "Vous êtes étranger vous. Vous venez de loin ou je me trompe?
- Oh… pas si loin…" fit le mage, un peu gêné. L'indigène haussa un sourcil en ajoutant:
- "Et sinon, les cheveux verts là, c'est normal?"
Leivig porta instinctivement la main vers ses cheveux. Ceux ci étaient effectivement verts comme de la mousse, et s'étalaient en touffes mal peignées dans toutes les directions. Tout en tâtant un de ses cheveux épais, il déclara en riant:
- "Oh ça, c'est très naturel. Ils ont toujours été comme ça, depuis ma naissance. Chez moi c'est naturel, tout ce qu'il y a de plus naturel."
Le paysan haussa les épaules, l'air modérément convaincu.
- "Vous allez à Vildegar c'est ça?" Dit il finalement. "Vous êtes sur le bon chemin, vous aurez qu'à prendre à droite au prochain croisement, mais vous allez peut être devoir marcher toute la journée avant d'arriver à la ville. Enfin moi c'est pas mon problème, je rentre à ma ferme après avoir fait mes offrandes. Je m'en lave les mains."
Et à ces mots, le paysan sortit du chemin et partit à travers la prairie, suivant un chemin que visiblement il connaissait bien.
Leivig le regarda partir, puis lorsqu'il eut disparu, il poussa un soupir.
- "J'espère que mes cheveux ne m'apporteront pas de problèmes à la ville. Ce serait bête tout de même."
Sans lui laisser plus de temps pour réfléchir, le hibou retourna sur sa tête et tira à nouveau sur ses cheveux pour lui ordonner d'avancer. Tout en serrant les dents, Leivig se remit en marche, suivant la route vers Vildegar.
Vildegar était une bourgade pittoresque placée subtilement au beau milieu de nulle part. Comme beaucoup de villes dans l'empire, celle ci n'avait comme raison d'être que les granges collectives. En effet, depuis fort longtemps, les nobles de l'empire mettaient à la disposition des paysans de leurs terres de grands greniers à grains dans lesquels étaient entreposées toutes les récoltes de tous les paysans. Moyennant, bien évidemment une taxe, le peuple y plaçait ses biens comme à la banque, et l'administration seigneuriale s'occupait d'elle même de toutes les procédures liées aux impôts, et s'engageait à rendre à tous les paysans le fruit de leur labeur afin qu'ils puissent se nourrir et vendre les récoltes. Évidemment il était très risqué pour les paysans de placer leur revenu entre les mains des autorités, les fonctionnaires corrompus y piochaient parfois, des erreurs pouvaient être commises, et surtout en cas de crise le seigneur avait le pouvoir de facilement réquisitionner toute la nourriture pour lui même et d'affamer son peuple. Mais en contrepartie, les récoltes étaient théoriquement en relative sécurité. En effet, les campagnes de l'empire étaient des terres hostiles infestées de brigands, de bêtes sauvages et bien pire encore. Toute sorte de choses auraient tôt fait de s'emparer des récoltes de paysans isolés. Or, les greniers communautaires étaient déjà à l'origine de véritable forts gardés par les soldats seigneuriaux, mais en plus, au fil du temps, ces points d'intérêts, seuls endroits bien défendus en dehors des grandes cités, avaient fini par attirer des habitants, et la plupart des villes de l'empire s'étaient à l'origine bâties autour des granges communes.
Vildegar était une petite ville bien développée, ayant pour centre le grenier communautaire, elle s'étendait dans toutes les directions, mêlant dans un splendide capharnaüm quartiers résidentiels et auberges, casernes et tavernes, temples et maisons de débauche. La ville avait néanmoins acquise une certaine réputation comme relais de mercenaires, sans doute en raison de sa relative proximité avec la frontière et de son isolement comme une île de civilisation au milieu de territoires sauvages, deux choses connues pour attirer les soldats, mercenaires et autres aventuriers.
En conséquence, les auberges étaient coutumières à la présence de rustres alcoolisés chantonnant des exploits violents et salaces et portant des armures, des haches et des épées; et bien évidemment les mêmes auberges n'étaient pas étrangères à quelques combats sanglants mêlant soudards et soulards s'entredéchirant dans une violence tranquille et un calme sanguinaire. Les aubergistes ne réagissaient plus en voyant leurs clients en attraper certain pour frapper les autres, et c'est dans une forme de douce quiétude qu'ils voyaient les tripes voler en cas de malentendu et les crânes être fendus en cas de désaccord.
Pourtant, à l'auberge de la Grenouille Lubrique, tout semblait aller bien pour l'instant. Sous le regard bienveillant et plein d'espoir de l'aubergiste, des mercenaires de tous horizons buvaient chantaient et jouaient aux cartes dans la joie et l'allégresse. Tant qu'il y avait de l'alcool et des jeux, l'aubergiste se persuadait que rien de fâcheux ne pourrait arriver.
Des hommes en armes s'amusaient en narrant leurs exploits sur tous les fronts du pays ou face aux créatures infestant les étendues sauvages de l'empire.
Claus Reinhard était seul à une table. Minutieusement, il comptait chacune des pièces qui lui restaient. En comptant le prix de la bière qu'il était en train de siroter, le prix de la chambre pour une nuit supplémentaire, sans oublier le coût de l'écurie pour son cheval, il en vint à la sordide conclusion que s'il ne trouvait pas un contrat dans les plus brefs délais ce qu'il lui restait d'argent passerait à la trappe et il serait alors sans le sou. Avec un grognement, il résolut qu'il lui faudrait sûrement quitter la ville pour chercher du travail ailleurs. Il eut un regard furibond vers les autres mercenaires. Claus était persuadé qu'il valait bien mieux que tout ce menu fretin, et quelque part, il brûlait de le démontrer incontinent. Ces individus monopolisaient sans doute tous les contrats de la région, alors qu'ils n'étaient au fond que des néophytes comparés à lui.
Trois hommes en particulier attiraient son attention parce qu'ils parlaient particulièrement fort. Le trio était visiblement un groupe de mercenaires issus de la gentilhommerie, ainsi que l'indiquaient les armoiries sur leurs plastron d'acier. Le meneur de la bande avait pour blason une falaise rouge, Claus le connaissait de réputation, c'était Jörn Redcliff le fratricide, un guerrier de renom dont la tête était aisément reconnaissable, il avait les cheveux et la barbe blanche et touffue, un long nez pointu, et des yeux vairons, un œil rouge et un œil vert. Il avait une voix tranchante comme des cisailles qui résonnait avec une violente éloquence. Alors qu'il était plongé dans le récit captivant de son combat contre un ours albinos et des bandits cannibales, il remarqua Claus.
Soudain devenu muet, il pencha légèrement la tête, et observa attentivement le mercenaire solitaire de ses yeux dérangeants. Finalement il lança:
- "Hé mais je vous reconnais vous."
Claus le regarda, interloqué.
- "Ha bon?" Fit il.
- "Vous seriez pas par hasard Claus Reinhard?"
Avec un grognement de frustration, Claus répondit:
- "Oui c'est moi.
- Pas sérieux! Vous êtes Claus Reinhard?!
- Oui.
- Le Claus Reinhard!
- Oui.
- C'est vous? Le célèbre Claus Reinhard?"
- Oui." Fit Claus un brin agacé.
- "Lui même?!" Insistait le mercenaire.
- "Oui! Lui même!
- Celui qui est connu pour être une victime tellement honteuse qu'on l'a renvoyée de l'armée!"
Et un rire tranchant comme du rasoir jaillit de sa gorge. Ses deux compères éclatèrent de rire également, en même temps que plusieurs autres personnes dans la taverne. L'aubergiste, sentant l'air se charger prit soin de mettre sa vaisselle à l'abris.
Mais Redcliff n'en avait pas fini. Avec un sourire cruel il fit quelques pas vers Claus, qui restait toujours stoïque, en disant d'un ton pédant:
- "Vous savez, j'ai entendu tout le récit par un de mes amis. C'est un des soldats envoyé tuer ta famille, et il m'a tout raconté dans les moindres détails. Tu veux savoir comment ça c'est passé?"
Claus ne répondit que par un grognement. Jörn poursuivit sur un ton toujours plus nonchalant.
- "Il parait que ta femme a gémi comme une putain pendant que tous les hommes se la faisaient encore et encore."
Claus se crispa d'un coup, la main serrée sur la poignée de sa chope de bière.
Les rires fusaient de toute part. Fier de son effet, Jörn émit un petit rire avant d'ajouter:
- "Et on m'a di que ton fils avait eu un orgasme quand ils l'ont foutu sur un pal!"
La seconde d'après, Claus était debout et il lui assénait un violent coup en plein visage avec la chope qui vola en éclat sur le coup.
L'aubergiste ne perdit pas de temps, ils hurla au personnel les instructions: ramasser la vaisselle, rentrer le chat, verrouiller les placards, déplacer le miroir, et tous aller se réfugier dans l'arrière de l'auberge. Avec un certain désespoir, il implora les dieux en leur demandant ce qu'il avait mal fait. Il y avait de l'alcool et des jeux, qu'est ce qui aurait pu mal tourner.
Claus Reinhard avait sorti son épée du fourreau en un éclair, et il déclara avec mépris:
- "Jörn Redcliff le fratricide, sache à l'avenir qu'avant de dire de telles choses sur mon fils tu devrais commencer par tirer le fer avant d'ouvrir la bouche!"
Il frappa de taille, mais Redcliff, bien que sonné par le coup précédent, eut le réflexe de se laisser tomber en arrière. Il fit une roulade ratée et finit par terre en se tenant le visage où des débris de récipient étaient encore plantés, tandis que de son autre main il tentait de dégainer. Claus avançait sur lui mais ses deux compagnons interposèrent leurs lames pour stopper le mercenaire courroucé. Celui ci les jaugea d'un rapide coup d'œil, puis il souffla et fit mouvement en un éclair pour passer sous la garde du premier et lui frapper le bas du ventre avant de s'élancer vers le deuxième en se lançant dans une série de feintes pour le faire reculer. Le premier recula d'abord effrayé, avant d'être rassuré en voyant que son armure légère avait absorbé le coup. Il s'élança pour frapper Claus de dos, mais celui ci fit volte face et glissa pour s'abaisser tout en le désarmant d'un coup de pied avant de pousser de toute ses forces sur ses jambes pour se fendre et planter avec vigueur son épée dans l'aisselle non protégée de son adversaire. Puis il se retourna à nouveau pour parer une attaque, puis sans lui laisser le temps de récidiver, il administra un violent coup de tête à son adversaire qui recula en titubant. Claus en profita pour lui écraser la jambe de manière à le mettre à terre. Un os craqua et avec un râle aigu l'homme tomba à genoux. Mais c'est alors que Jörn se releva, l'épée au poing et frappa Claus avec rapidité et vigueur. Claus para un coup, le suivant fut amorti par son épaulière droite, au troisième Claus souleva une petite table avec sa main gauche et s'en servit comme d'un bouclier. Les yeux vairons de Redcliff brillaient de haine, et ses coups acharnés réduisirent petit à petit le meuble en charpie. Mais à frapper aussi énergiquement, il finit par perdre un peu son souffle. Sitôt qu'il ralentit, Claus retourna la table et lui envoya le pied de celle ci dans la figure. Jörn hurla de colère et repoussa le meuble pour aussitôt voir l'épée de son adversaire filer vers sa tête à toute vitesse.
Mais le mouvement ne parvint pas à son terme, car sous l'impulsion d'un quelconque instinct, Claus se retourna pour parer un coup que lui portait son précédent adversaire. Claus se démena alors entre Jörn et son sous fifre qui l'attaquaient des deux cotés opposés. Le mercenaire se retournait, parait et feintait avant de se retourner à nouveau suffisamment vite pour ne pas être touché. Puis brusquement il s'élança vers le sbire qui fut décontenancé par ce mouvement imprévisible et lui enfonça sa lame dans la gorge. Puis il contourna l'adversaire en ayant toujours son épée dans sa chair, et plaça le sbire entre lui et Jörn.
Jörn Redcliff s'accorda le temps de grogner comme un chien hargneux, et dédaignant les cris de douleurs de son ami, il assena à celui ci un coup d'épée sur la gorge d'une telle violence qu'il trancha son cou, libérant par la même l'épée de Claus qu'il avait plantée dans sa chair, tout en le tuant sur le coup. Son camarade s'effondra dans une mare de sang, et Jörn s'avança avec une rage féroce. Claus recula instinctivement avant même que la pluie de coups d'épée ne s'abatte, déchirant le parquet, démolissant le mobilier et anéantissant la décoration tandis que Claus esquivait systématiquement chaque coup.
Un coup d'épée vint s'abattre sur une table. Hélas, sur cette table, deux hommes saouls au point d'en être incapable de percevoir ce qui se passait autour d'eux étaient absorbés par une partie de cartes. L'un d'eux dégrisât néanmoins très vite quand l'épée de Jörn Redcliff lui trancha trois doigts de sa main gauche qui reposait sur la table.
Il poussa un grand cri puis se leva d'un coup en sortant sa dague de laquelle il frappa le coupable au visage, lui crevant un œil. Jörn hurla de douleur en frappant à l'aveuglette avec son épée. Claus esquiva par le côté en cherchant une ouverture, mais Jörn donnait des coups d'épée dans tous les sens pour se protéger contre ce qu'il ne voyait pas. Alors Claus lui lança un tabouret pour faire diversion et en même temps il se jeta sur lui et lui trancha la cuisse avant de se retirer. Jörn Redcliff s'agita encore un temps, puis tomba par terre sous le coup de la douleur tandis que son sang jaillissait à un débit effrayant.
Les autres clients hurlèrent de consternation. Plusieurs d'entre eux avaient été aspergés de sang.
- "Cet enculé, il tâché mon pantalon tout neuf! Il l'a fait exprès je suis sûr!" Cria un homme dont le pantalon venait d'être intégralement repeint en rouge.
Plusieurs hommes se levèrent et commencèrent à débattre violemment à voix hautes, l'alcool n'aidant pas le raisonnement. Certain assurèrent qu'il fallait tuer Claus, d'autres notamment celui qui avait perdu trois doigts affirmaient qu'il avait bien fait en tuant Redcliff. Puis un homme émergea discrètement, portant un bandage de fortune sur l'aisselle. C'était le premier adversaire que Claus avait blessé. Il déclara assez fort pour que tous puissent l'entendre:
- "Lui! C'est Claus Reinhard et il a essayé de voler la caisse de la taverne, j'en suis sûr je l'ai vu."
Alors les compromis devinrent impossibles, tous sortirent leurs armes, la plupart avec dans l'idée d'écharper Claus, les autres appuyèrent leurs propres opinions avec véhémence en attaquant les premiers. Et la dispute vira à la bataille sanglante. Claus qui voyait les regards se tourner vers lui recula prudemment vers l'entrée, l'épée en avant, sans quitter des yeux la foule agitée.
C'est à ce moment là que la porte de l'auberge s'ouvrit avec fracas, révélant un personnage pittoresque qui en un instant attira tous les regards, y compris celui de Claus Reinhard.
C'était un jeune homme, très jeune sans doute puisqu'il ne portait ni barbe ni moustache, ce qui était rare dans l'empire, ce devait donc être soit un très jeune garçon, soit un étranger, ou encore une femme grimée en garçon. Il était d'une morphologie svelte, et très fin, pour ne pas dire frêle, avec des épaules étroites. Il portait un grand manteau vert avec un col relevé assez extravagant, avec une longue cape traînant jusqu'à ses pieds. En dessous il portait une tenue en cuir ornementée de nombreux symboles d'aspect ésotériques. Dans sa main droite il tenait un bâton, sur son bras gauche était perché un hibou. Son visage arborant un sourire un peu forcé avait des traits fins, trop fins pour un humain normal semblait il, et il avait des yeux verts pétillants et surtout ce qui était étrange était ses cheveux gras en bataille d'un vert sombre et profond qui n'étaient pas sans rappeler des algues.
N'ayant visiblement pas cerné la situation, le jeune homme fit moult saluts, courbettes et révérences en déclarant comme un texte écrit à l'avance:
- "Salut à vous joyeux habitants de cette sympathique bourgade. Je suis heureux d'être parmi vous, et je me réjouis par avance de l'accueil que vous me faites en votre immense magnanimité. Je suis actuellement désespérément à la recherche d'un guide ou d'une aide quelconque pour m'accompagner dans une quête qui est la mienne et qui me mènera loin d'ici. M'étant déjà renseigné auprès d'autres habitants on m'a gentiment conseillé de venir m'adresser ici. Aussi si cela n'est pas trop demandé et sachant qu'il n'est aucunement dans mon intention d'altérer d'une façon ou d'une autre le bon déroulement de vos sympathiques coutumes, j'oserai demander s'il serait opportun que je me permette de vous demander si l'un ou l'autre d'entre vous aurait l'extrême et remarquable bonté de se dévouer pour m'aider au cours de ce voyage périlleux que j'entreprends en échange bien entendu d'une modeste rémunération qui je l'espère vous satisfera dans l'idée où…"
Il y avait quelque part dans tout cela le mot rémunération. Claus Reinhard en était persuadé. Alors que tous étaient ébahis et que sur le coup de la brusque rupture avec leur précédent état de pensée tous les mercenaires de la salle s'étaient arrêtés dans leurs gestes pour étudier mentalement et instinctivement l'offre qui leur était faite, Claus Reinhard ne prit pas le temps de réfléchir ou même d'attendre plus de détail, et lui qui par chance se trouvait le plus près de la porte, il se précipita sur l'étranger et l'attrapa sans trop de ménagement par les cheveux en déclarant:
- "Excellent petit! Ne cherches plus! Dans ma grande magnanimité j'accepte de rentrer à ton service. Partons dès maintenant sans faire d'histoire veux tu!"
Et tout en poussant devant lui le jeune homme qui paraissait légèrement perdu, il sortit de l'auberge en vitesse alors que tous regardaient la scène, bouche bée.
Ils allaient se lancer à sa poursuite, mais Claus lança:
- "J'ai oublié ma bourse avec tout mon or sur la table."
Puis il se mît à courir, toujours en poussant le jeune homme devant lui.
- "Pourquoi courre-t on?" Questionna celui ci.
- "T'occupes! Cours! Mon cheval doit être par là."
Claus eut le temps de sortir son cheval de l'écurie pendant que les mercenaires se disputaient l'argent qu'il avait laissé à la taverne, mais quand il amena son cheval dans l'avenue, il vit les mercenaires s'extirper de l'auberge et se diriger d'un pas décidé dans sa direction.
Claus enfourcha son cheval avant d'ordonner avec empressement au jeune homme:
- "Vite montes en croupe."
Le hibou prit son essor et vint se poser sur l'épaule de Claus qui n'y prit pas garde.
Le mercenaire regarda le jeune homme avec inquiétude pendant quelques instants, se demandant si celui ci savait monter à cheval. L'étranger ferma les yeux une seconde, et posa la main sur la croupe du cheval. Puis en un bond il passa une jambe par dessus le cheval et se retrouva assis derrière Claus, lequel resta un temps médusé avant de lancer son cheval au galop pour sortir de la ville.
Les poursuivants coururent tout d'abord après le cheval, mais s'arrêtèrent finalement, constatant qu'ils ne pourraient pas le rattraper.
L'homme portant un bandage à l'aisselle leva le poing et hurla à l'attention du fuyard:
- "On se retrouvera Reinhard! Et ce jour là on te fera la même chose que ce qu'on a fait à ton fils! On verra bien si ça te fera jouir!"
Reinhard ne répondit strictement rien, et son cheval sortit bientôt de la ville, laissant sur place les mercenaires dépités et définitivement dégrisés.
Le cheval galopait dans le crépuscule, et Leivig s'efforçait de ne pas prendre en compte les mouvements du cheval qui lui martelaient l'entrejambe. Le hibou s'était envolé sitôt que le cheval s'était mi au galop. Leivig supposait qu'il devait les suivre, même s'il devait sans doute trainer un peu derrière le cheval.
Pour correspondre à ce qu'il croyait être le modèle de politesse, Leivig articula entre les secousses:
- " Hem… monsieur? Aie… puis je vous deman… Aie… vous demander votre nom? Aie…
- Reinhard. Claus Reinhard.
- Ah. Aie…
- Et toi?" Répliqua le mercenaire.
- "Et moi?
- Toi! C'est quoi ton nom.
- Euh… Leivig.
- Leivig quoi?
- Leivig… Leivig Leivig?" Hasarda le jeune mage.
Claus se contenta de pousser un soupir. Assez timidement, Leivig demanda:
- "Euh… si puis me permettre… Claus…
- Quoi?
- Qu'est il arrivé à votre fils au juste? Pourquoi cela l'a-t-il fait… jouir?"
Claus fit s'arrêter le cheval en tirant vivement sur les rênes. Puis une fois le cheval totalement arrêté il pivota pour faire face à Leivig et le regarda dans les yeux pendant une seconde. Puis il lui donna un coup de poing en pleine figure, si fort qu'il en tomba de cheval. Puis Claus repartit sans un mot, lançant à nouveau le cheval au galop.
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