Clair de lune
Les gouttes de pluies éclaboussaient les bottines du jeune homme. Il n’entendait plus que cela, les grondements du tonnerre paraissant si lointains. Au loin, ses camarades se ruaient pour protéger leurs frères et soeurs. Leurs bouches s’ouvraient sur des cris muets.
Les doigts de « .. » s’écartèrent en lâchant son fusil, tétanisés. Il fit un pas, une enjambée tremblante, mais sa jambe s’enlisa dans la boue et il s’effondra au sol. Vite, il se releva, puis fit un deuxième pas. De plus en plus vite, il courait, chutait, se remettait debout, continuait. Dans sa tête, la douce mélodie de Debussy se répétait.
“J’écrirai un livre qui sera le plus beau, et le plus grand de tous !”
Le piano s’écoulait, dévalait la montagne de son coeur. Son virevoltement ne s’arrêtait jamais,. La mélodie déambulait dans les airs, emportait avec elle les larmes du garçon.
“Tu verras, on ira voir des tas et des tas de concertos. Tu deviendras le prodige du piano, on t’acclamera, te jettera les plus jolies roses, on scandera ton nom.”
Un éclair déchira le ciel. Tout se passait au ralenti. Il n’était plus qu’à quelques mètres d’elle. Ses douces boucles blondes étaient salies par la vase. Il tomba à genou devant elle. Le piano marqua un arrêt. Et là, il implosa. Les pleurs naquirent, une vive douleur brûla sa gorge, l’hurlement de désespoir avait surgit.
Agonisant presque sous sa voix qui rugissait son nom, il portait son buste sans vie contre son torse. Détruit, « … » plongea sa tête au creux de son cou encore chaud. Il l’a suppliait de revenir, pour ses rêves inaccomplis, pour ses amis, pour cette fichue guerre qui était enfin terminée, pour lui, juste pour lui. Encore, encore et encore, il l’appela. Mais ses scintillants yeux bleus demeuraient obstinément fermés. Plus jamais il n’aurait la chance de les revoir se poser sur lui, avec plus d’amour qu’il n’avait oser un jour l’imaginer. C’était impossible, inimaginable.
“Viens « … », si tu ne cours pas plus vite, on loupera le festin de ce soir”
Ses mains étaient maintenant recouverte de ce maudit liquide vermeil. L’homme ne voyait plus que cela, le sang qui recouvraient ses vêtements, la terre visqueuses et les débris d’obus. Le corps de « … » était sous ses yeux mais il ne le voyait pas. Elle n’avait même pas pu voir la fin de la guerre.
– « … », je t’aime ! Je t’aime ! Je t’aime ! Je t’aime ! Hurla-t-il de sa voix écorchée par les pleurs. Écoute moi, la guerre est finie, tu as vu ? Elle est finie, regarde. Regarde ! Ouvre les yeux ! Il souriait à travers ses gémissements.
« … » pleura sans jamais s’arrêter. Et hurla à s’en déchirer les poumons. Il frappait violemment tous ceux qui osaient penser à les séparer. Il resta assis au même endroit pendant si longtemps, hors du monde. Le ciel continuait de déverser une pluie noire et acide sur lui, mais il ne sentait rien. Incapable de réaliser que le temps continuait à avancer alors que lui était resté bloqué à cet instant précis. Il priait pour qu’elle se réveille et que tout ça ne soit qu’une vaste blague de sa part. Il priait pour que le sol l’avale à tout jamais et qu’il ne fasse plus face à cette mascarade. Le jeune homme maudissait la façon qu’avait son coeur de battre, prouvant qu’il était encore en vie alors que l’être qu’il aimait le plus au monde n’était plus. Son sourire, ses rires, il s’accrochait à ses souvenirs aussi fort qu’il le pouvait, espérant que jamais personne ne les lui arrache.
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