La vision de Samaël.

5 minutes de lecture

Pour la première fois, il jetait un vrai regard de ses yeux de flammes jaunes sur son royaume de sable et de dunes, sur ses sujets, une bande de pillards et de nomades oubliés de tous.

Samaël avait surgi de son puits au matin. Maintenant on était au mitan de cette journée, le soleil avait atteint cet apogée fulgurant où l’air en fusion vibre et pâlit à l’horizon, où le ciel vire à la couleur laiteuse des lames des épées.

Des traces de son combat, il ne restait que quelques débris de tentes. Il saisit au passage un drap blanc qui flottait au vent pour s’en revêtir. À moins d’un stade devant lui se dressait la grande dune.

Il se baissa, prit dans chaque main une poignée de sable. Puis il se redressa avec lenteur. Il écarta les bras, desserra ses poings, le sable s’écoula.

  • Les Dieux vous ont assez punis, ils ne veulent plus vous laisser seuls sans guide dans ce désert, avec le souvenir de la douleur et le désespoir des oubliés. Je suis venu pour vous guider. Je vous aimerai comme mes malheureux enfants, je vous soutiendrai comme des fils affaiblis. Grâce à moi, vous serez respectés et craints. Je suis l’ange de la douleur, celui qui vient lorsque les autres ont fui. Tremblez ennemis de mon peuple choisi ! Les Dieux vous ont envoyé le prophète de leur colère. Vous m’avez éveillé au monde, tant pis pour vous, car vous connaitrez bientôt le prix du sang, des larmes et des armes. Tant pis pour le monde. Maintenant, laissez-moi seul. Le chant des dunes doit me murmurer les secrets des mers de sable. Je vais sur la grande dune, mais avant je veux du vin pour que ce sable assoiffé connaisse le goût du sang de la terre. À mon retour, soyez prêts à plier bagages. Que la caravane soit prête, les chameaux et les tribosses* bâtés.

Il jeta un regard sur l’horizon, puis sans effort sa queue battant l’air, il gravit la grande dune. Dans une main il tenait une amphore transpirant sa fraicheur. Il étala l’étoffe qui lui servait de pagne, s’assit en tailleur. En bas il voyait sa tribu qui s’affairait. L’eau sortait du puits à gros bouillon, elle avait déjà creusé une mare où les enfants jouaient, où les animaux s’abreuvaient et où déjà les femmes emplissaient les outres de cuir.

Le temps passa…

Les lointaines dunes tremblaient sur leur base et le jaune se mêlait de rose, d’orangé et de rouge profond. Elles gardaient le reg immense et surveillaient les cieux incandescents. Samaël se leva, s’avança sur la lèvre de la dune. Il avait recouvert sa monstrueuse nudité du drap blanc. Et il parla comme pour lui-même :

  • Ô terre de désolation, tu me fais endurer le frisson du mystère. Et ton domaine immense est mien, comme le vide de mon âme. Mes souvenirs sont peut-être ceux d'un autre. Je voue mon destin à ce désert. Nul n’a bercé ma tristesse. Nul n’a pris mes mains. Nul visage ne m’a souri. Ô Terre. Ô Ciel envoie-moi un signe, un message. Et que le mystère de ma foi s’accomplisse.

Là-bas, un surgissement, un tourbillon naissait, sa tête dans les nuées, ses pieds dans ce sable d’où il tirait sa puissance. Cette colonne de sable, cette tour presque droite s’avançait. Elle prenait vie et force. À chaque instant ses contours encore flous s’élargissaient. C’était un bouquet destructeur, une floraison funeste, une manifestation de la terre et du ciel, qui l’appelaient comme une mère, comme une amante.

Il leva les bras et cria, « C’était écrit ! ».

Et devant ses nouveaux sujets effrayés, il se précipita étreindre la tornade d’abeilles de silice en furie. Épée de sable hurlante, épée brûlante vacillant sur elle-même, mais qui jamais ne retombait, fantôme de l’enfer, elle l’attendait pour le couronner.

Samaël se fondit dans la tourmente, disparaissant à la vue de tous. Il ressentait la puissance brute de ce tourbillon de sable se déchaîner autour de lui. Le vent hurlant envahissait ses pensées, brouillant la frontière entre réalité et illusion. Le monde devint flou, mélange de douleur et de fureur cinglante. Ses yeux de flammes jaunes se fermèrent alors qu'il luttait pour se maintenir debout. Mais au milieu de ce maelstrom, il sentit une présence, une énergie ancienne qui semblait reconnaître son âme tourmentée. Une force bien au-delà de la simple violence de la tempête. Une force venant du fin fond de l’univers. Puis, le temps se figea, tout devint silence. Le sable cessa de mordre sa peau, l'éclatante lumière du soleil fut voilée par une étrange pénombre. Le vent se fit murmure, et Samaël rouvrit les yeux pour découvrir qu'il n'était plus sur la dune. Autour de lui, des ruines massives s'élevaient, des colonnes et des arches brisées évoquaient une gloire passée. Une cité oubliée, perdue dans le lit des âges, se dressait devant lui : Hiérosolyme, joyau du désert.
La cité semblait presque vivante, avec des ombres furtives glissant entre les édifices. Ses oreilles bourdonnaient du vacarme de la tornade. Il avait l’étrange impression de déambuler, ses pas résonnant étrangement sur le pavé ancien.
Chaque recoin de la cité lui chuchotait ses secrets, chaque pierre semblait chargée d'une histoire millénaire. Au centre de cette cité abandonnée, un grand temple se dressait, ses portes grand ouvertes comme une invitation. Sans savoir comment, le cœur battant à tout rompre, il se trouva à l'intérieur d’une vaste salle ceinturée de hautes colonnes, où une lumière douce et dorée baignait un immense trône. Sur son dossier, une inscription gravée illuminée par une lumière diffuse. Ses doigts effleurèrent les caractères anciens. Les mots semblaient danser sous ses yeux, se transformant et se réarrangeant pour qu'il puisse les lire :
« Celui qui entend le souffle du désert et saisit la colère divine, celui-là seul pourra régner sur cette terre oubliée, guérir ses plaies et apaiser ses tourments. »
Samaël sentit une chaleur intense se propager depuis le trône jusqu'à son corps, une énergie qui infusait chaque fibre de son être. Il se redressa, sentant une transformation subtile mais puissante opérer en lui. Il n’était plus simplement l’ange de la douleur, mais l’élu, le souverain légitime de cet empire de silence et de sable. Le tourbillon s'était apaisée. Maintenant, le soleil glissait lentement vers l'horizon, peignant le ciel de teintes rougeâtre et or. Au loin, ses nouveaux sujets attendaient, leur regard anxieux fixé sur lui. Il savait ce qu'il devait faire.
Samaël, rejoignit son peuple.

  • Nous partirons de nuit, déclara-t-il d'une voix ferme et résolue. " Je vous mènerai dans un lieu connu de moi seul, dans un lieu perdu au milieu de la Mer de Sable à plusieurs semaines de marche. En ce lieu, il est une ville déserte emplie de grands édifices, de jardins et de sources. Elle avait pour nom Hiérosolyme* et ce sera ma résidence royale."

La nuit enveloppait le désert alors que les étoiles commençaient à briller. Samaël regardait son peuple s'affairer avec une énergie nouvelle. Il savait que la route serait longue et semée d'embûches, mais avec de la volonté, il était certain d’un avenir meilleur. Et ainsi, sous le firmament, le voyage vers Hiérosolyme commença.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire sergent ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0