Un dernier chant (6)

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Lysbeth s’immobilisa au sommet de la crête. Sous un ciel céruléen, les hauteurs et les vallons se succédaient jusqu’à l’horizon, de plus en plus bleutés dans le lointain. Quelques colonnes de fumées sombres troublaient la sérénité du paysage. Au creux de la combe suivante, une petite chaumière paraissait avoir échappé aux pillages.

Elle se retourna pour voir l’ermite qui gravissait le versant à sa suite, Tya dans les bras. Il était essoufflé. Chargé comme un mulet, avec la gamine, son sac de voyage, une besace, sa mandoline et son arbalète en bandoulière, il suait sans émettre la moindre plainte. Elle avait proposé de le relayer, mais il avait refusé.

Plus loin encore derrière eux se traînait Terreur. Le chien lui faisait plus pitié encore que Saule. Il déclinait à vue d’œil depuis le début de la matinée. Le mufle au ras du sol, sa tête ballottait à chaque pas. Il claudiquait horriblement. Sa patte blessée effleurait à peine le sol et il compensait avec les trois autres. Toutefois, lui non plus ne se plaignait pas.

L’ermite s’immobilisa à côté d’elle. Il se tordit le cou pour s’éponger le front sur l’épaule.

— Il y a une maison, là-bas, dit Lysbeth en pointant le doigt. Nous pourrions y faire une halte.

Saule hocha la tête et reprit la marche. Aux abords du sentier qui menait à la petite habitation, il posa Tya par terre, à l’ombre d’un buisson d’aubépine. Il se défit du sac, de la besace et de la mandoline, puis arma son arbalète.

— Attendez-moi ici, souffla-t-il. Je vérifie que c’est sans danger.

Lysbeth s’assit à côté de sa fille et regarda leur étrange bienfaiteur se faufiler à pas de loup en direction de la chaumière. À chaque rocher, à chaque arbuste, il s’arrêtait et tendait l’oreille. Il finit par disparaître de son champ de vision.

Allongée sur l’herbe jaunie par le soleil, Tya grelottait. Lysbeth écarta une mèche plaquée sur son front et la rangea derrière son oreille. Ensuite elle se pencha et y déposa un baiser. Sa fille lui sourit.

— Je crois que je suis malade, chuchota-t-elle.

— Tu vas guérir, ma chérie. Et ta jambe, ça va ?

— Ça fait mal. Ça brûle. Mais j’ai été courageuse, hein ?

— Très courageuse. Je suis fière de toi.

Le regard brillant de Tya glissa pour regarder par-dessus son épaule et Lysbeth sursauta en voyant déjà réapparaître Saule.

— La maison est vide et personne aux alentours, dit-il. On peut y aller.

Elle se redressa et fit mine de prendre Tya dans ses bras.

— Laissez, grommela Saule, je m’en occupe. Prenez les sacs.

Lysbeth obéit. Les manières brusques de l’ermite ne lui inspiraient pas beaucoup de sympathie. Elle avait beau lui être reconnaissante pour son aide, elle ne parvenait pas à étouffer complètement sa méfiance. Mais elle n’était plus tout à fait elle-même depuis la veille. Quelque chose était mort en elle. Peut-être n’accorderait-elle jamais plus sa confiance à quiconque. Cette pensée la glaça.

À mesure qu’ils approchaient, elle reconnut les lieux. C’était la maison des Bergen. Ils y venaient parfois, pour leur miel. Les Bergen avaient quelques ruches. Elle ne s’en était pas rendue compte jusque-là, mais jamais elle n’était arrivée par les collines. Et jamais elle n’avait été à ce point bouleversée et à bout.

— C’est étrange, on dirait que la maison est intacte. Peut-être que les pillards l’ont épargnée.

— Non, répondit Saule.

— Non ? Comment ça ? Il y avait quelqu’un à l’intérieur ?

— Personne de vivant.

— Mais ils n’ont pas brûlé la maison.

— Ils les ont poursuivis, je pense. Ils n’auront simplement pas pris la peine de revenir pour brûler la maison.

C’est alors qu’elle les aperçut. Elle ne comprit pas immédiatement ce qu’étaient les longues silhouettes pendues aux branches de cet arbre, découpées dans le contre-jour, au sommet de la crête suivante. Elle ne ressentit rien. Ou pas grand-chose. Un frémissement. Ce manque de réaction aussi la glaça.

Ils entrèrent. Lysbeth remarqua quelques taches de sang sur le seuil et une flaque plus importante dans la pièce principale. Mais pas de corps. Soit il pendait avec les autres, soit Saule leur avait épargné ce spectacle.

L’ermite disparut dans une pièce adjacente et en rapporta une paillasse, qu’il jeta auprès du foyer. Il y allongea Tya et l’enveloppa d’une couverture. Puis il s’autorisa enfin un soupir.

— Nous resterons ici jusque demain, dit-il.

— Au moins nous avons un toit, ici.

— En effet. Nous mettrons peut-être le temps, mais nous atteindrons Tierne.

Il entassa quelques bûches dans le foyer.

— Vous allez faire du feu ?

— C’est un risque qu’on va devoir courir. Son pansement sent mauvais. Je vais le changer et nettoyer la plaie. Il faut faire bouillir de l’eau. Et puis elle risque aussi d’avoir froid la nuit.

Lysbeth s’agenouilla à côté de la paillasse. Elle prit la main de sa fille dans les siennes. Brûlante. La petite s’était déjà assoupie.

— Je peux m’occuper de quelque chose ? Aller chercher l’eau ?

— Je vais m’en charger, répondit Saule, c’est peut-être plus prudent.

— Je me sens… impuissante.

— Il y a un cellier derrière. Je crois qu’ils n’y ont pas touché non plus. Vous pouvez voir s’il n’y a pas quelques provisions à récupérer.

— D’accord.

Ils se levèrent. Saule ramassa un seau, prit la direction de la porte puis s’immobilisa soudain sur le seuil.

— Qu’y a-t-il ? s’inquiéta Lysbeth.

— Le chien. Il a fini par arriver.

Elle jeta un œil par-dessus son épaule. La pauvre bête était allongée juste devant la porte, au milieu du passage. Sa cage thoracique se gonflait et se dégonflait lentement. L’ermite s’accroupit et le caressa. Le chien émit un gémissement presque inaudible.

— Ça aussi, je vais devoir m’en occuper.

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