La terre tourne.

D’abord informe, les mains expertes s’appliquent à la modeler, la façonner, à force de patience et de manipulations subtiles. On ajoute de l’eau, on évase les bords et sur son tour la terre s’incurve et monte. De la base au sommet, l’artisan la gratifie de courbes empruntées à la sensualité féminine. Le col fin et élégant, l’épaule généreuse plonge ensuite vers une panse étroite.

Il la scrute, gomme les derniers défauts. D’un œil exercé, il en apprécie les proportions. Ce qui n’était qu’un amas argileux possède à présent une beauté brute. C’est sans doute l’étape qu’il préfère. La voie est tracée, mais tout est encore possible.

Il y ajoute une anse. Ses doigts sont épais, abîmés par le travail, mais d’une délicatesse qu’on ne leur soupçonnerait pas. Peu à peu, la greffe prend et se fond au corps voluptueux auquel elle est destinée. C’est déjà du bel ouvrage. Le potier sourit. Tout est encore possible… et il succombe à son envie. Il travaille un nouveau morceau de terre. Il ajoute une anse. Ce n’était pas prévu. Mais indubitablement, cette cruche a de l’allure. Des airs de trophée.

Reste à la cuire, à la figer dans la forme qu’il lui a choisie. Mais autant il était maître du modelage, autant le four a ses propres lubies. Un éclat, une difformité, une fissure peut se former à partir d’un défaut caché. Cette pièce-ci fait partie des victimes de ces caprices thermiques. De deux caprices, à vrai dire, car il s’agit de cette seconde anse, ajoutée sur un coup de tête. Si d’aventure la cruche doit se briser, elle commencera par là.

Mais il lui conserve toute son affection, car ces légères imperfections les rendent toutes uniques.