Le Coucou (3)

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Un ciel uniformément gris pesait sur la lande monotone. La route de Tristheim sinuait à peine dans la vaste étendue, pas de quoi rompre l’uniformité du paysage. Le calme, le silence et l’ennui régnaient sans partage.

Au loin, l’envol soudain de quelques paires d’ailes noires signala l’approche d’un changement. Même la sentinelle, assoupie au-dessus de la porte de la ville, ouvrit un œil et rajusta sa barbute.

Un convoi en approche. La voiture, un lourd véhicule tiré par quatre chevaux, avait des allures de prison sur roues. Les ouvertures en étaient barrées d’acier et occultées par des rideaux de velours. Entièrement peinte en noir, à l’exception de la portière, rouge et frappée d’un faisceau d’Yseh dont l’or luisait comme une mise en garde. Quatre cavaliers aux trognes de tueurs à gages l’escortaient.

La route, transformée en mare de gadoue par les récentes averses, sembla se soulever à son passage. Deux grandes gerbes brunâtres se déployèrent telles des ailes liquides et arrosèrent les battants du portail à son entrée. Les roues renforcées de fer produisirent un vacarme infernal sur les pavés et le convoi s’engouffra dans les rues sans daigner ralentir. Les rares passants et les curieux, intrigués par le tapage, s’écartaient bien vite de sa route. Les habitants s’enfermaient à double tour à la vue du faisceau or sur rouge.

Le funeste équipage traversa Tristheim en laissant derrière lui un sillon de terreur.

L’attelage finit par arrêter sa course sur la grand place, au cœur de la ville, juste devant l’ordinat. Deux notables l’y attendaient. Le père Armund, responsable local de l’Ordonnance, et sir Bertold, envoyé et représentant du baron. Tous deux se recroquevillèrent à l’arrivée de la voiture noire. Et, lorsque la portière s’ouvrit, ils se tassèrent encore un peu plus.

Une forme se mut à l’intérieur. Une botte arracha un grincement au marchepied, une autre fit jaillir une flaque entre les pavés inégaux. Le questeur était aussi terrible qu’attendu. Immobile, il observait les deux notables comme s’il s’apprêtait à en faire son déjeuner. Son surcot à capuche était frappé du même emblème que la portière, une menace en soi. Il portait un heaume aux ouvertures étroites, en croix étoilée comme le faisceau divin. À sa ceinture pendait une masse à ailettes dont les arrêtes clamaient avec une éloquence brutale l’odieux ouvrage auquel elle était destinée. Rien qu’à la voir, on entendait des os broyés.

Les quatre membres de l’escorte mirent pied à terre. Ils formaient une compagnie hétéroclite et menaçante, digne d’une escouade de mercenaires. Le plus remarquable était une montagne de muscles borgne et couverte de cicatrices, avec une lourde francisque dans le dos. Les autres, un type au regard triste affublé de tatouages brümiens, un échalas rasé au regard dément et un étranger, basané, impassible, auraient pu passer pour des demi-portions à côté de lui.

La fente sombre du heaume décrivit un arc de cercle, tandis que le questeur observait les alentours. Puis il avança de quelques pas en direction des deux hommes venus l’accueillir.

— Bienvenue, héraut, dit le prêtre. Je suis le père Armund. Vous êtes mon invité pour la durée de votre séjour et considérez-moi comme étant à votre entière disposition.

Le casque hocha brièvement.

— Moi, c’est sir Bertold, dit l’autre. Je suis un proche du baron. Il sera ravi d’apprendre votre arrivée. À vrai dire, nous vous guettions.

— Je veux le voir.

— Euh… pardon ?

— Le baron. Je veux le voir.

Le front de sir Bertold se plissa.

— Il est… indisponible, pour le moment, j’en ai peur. D’autres affaires requièrent son attention.

— C’est lui qui a fait appel à moi.

— En effet, oui. Nous avons grand besoin de vous.

— Eh bien, qu’il me reçoive.

— Bien entendu. Je suis certain qu’il vous recevra sitôt qu’il en aura l’occasion.

Un soupir, presque imperceptible mais aussi froid qu’une bise hivernale, s’échappa de sous le heaume.

— En attendant, je vous prie de me suivre, intervint le père Armund. Vous vous installerez au presbytère. J’ai essayé de rendre les lieux aussi confortables que possible. Ce n’est pas un palais, mais c’est propre, vous verrez.

— Je n’ai que faire du confort. Mais j’ai besoin de place.

— De place, monseigneur ?

— Pour mes vénates : Ulrich, Hagan, Klaes et Melvellio. Et pour frère Ubbe, mon aide, ajouta-t-il en désignant l’homme quelconque assis sur le banc de conduite, complètement éclipsé par les soudards de l’escorte. J’ai besoin d’eux et je les veux auprès de moi.

— Très bien, nous y veillerons. Nous ferons de la place.

Le questeur prit la direction du presbytère et, arrivé à hauteur de sir Bertold, marqua un arrêt.

— Et je veux voir le baron. Il m’a appelé, je suis venu et ses autres affaires peuvent attendre.

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