2. Arrivée à Bordeaux
PAUL
*
28 avril.
Bordel !
Vite la liberté !
Je descends enfin de cet appareil de malheur. Monsieur Roger, ce vieil homme de soixante-dix ans installé dans le fauteuil à côté du mien durant le trajet, ne m’a pas lâché la grappe une seule seconde. Deux heures de vol animées par les paroles de ce cher monsieur. Et je suis content de savoir qu’il vient à Bordeaux pour rendre visite à sa petite-nièce.
Ah, non ! La belle affaire !
Par sa faute, il m’a été impossible d’admirer la vue. Et les hôtesses de l’air que je trouvais si charmantes avant notre départ n’ont eu de cesse de nous prendre pour un « père » et son « fils ». Une horreur complète agrémentée de cette phrase magnifique : « Vous êtes adorable de partir en vacances avec votre papa. ». Je suis en joie, c’est clair… Comme quoi, il ne faut pas toujours compter sur la chance.
D’ailleurs, ce n’est pas la récupération de ma valise qui fera changer la donne. Au contraire même ! Ce bon monsieur Roger me colle au train. Sérieux, il ne veut pas me lâcher ? J’ai juste le temps de grommeler intérieurement qu’un cri enjoué résonne derrière nous :
— TONTON !
— Je suis sauvé… murmuré-je soulagé.
Toutefois, curieux, je me retourne pour observer une préadulte s’élancer et se jeter dans les bras de mon compagnon de voyage. Je lâche un soupir quand je suis certain que le vieil homme est occupé. Je peux m’échapper. Rassuré, je prends une grande inspiration et sursaute de peur en sentant un poids se poser sur mon épaule. Quoi, encore ? Fronçant les sourcils, mon corps pivote pour se retrouver nez à nez avec…
— Arthur !
Un sourire béat sur son visage, mon ami m’accueille guilleret :
— Bienvenue chez toi, mon petit.
Accolade et grognement de ma part répondent à son ton léger. Ce qu’Arthur ne manque pas de noter. Il examine en deux coups d’œil la scène face à lui et son visage s’éclaire.
— Oh. D’accord. Mauvais voyage, peut-être ? Viens par ici. Quand nous serons dans mon humble demeure, tu seras égayé par la beauté de notre dépendance. Elle te rappellera ton sinistre appartement en plus… spacieux !
Il glousse, mais sa moquerie de bas étage ne m’atteint pas. J’ai l’habitude. Pourtant l’état de mes nerfs aurait pu affecter ma réaction. D’ailleurs, il va devoir m’aider à trouver un moyen de faire redescendre ma pression. Pourquoi pas en me laissant les clés de sa voiture, par exemple ? Je tends la main vers lui, et l’ouvre grand.
— Tes clés.
Arthur s’arrête de sourire, son visage se fige. Il hésite un long moment, scrutant les moindres détails de mon visage pour déceler un indice de mon humeur. Puis, il finit par comprendre que je ne plaisante pas. Malheureusement pour lui, la conduite est une des seules solutions efficaces pour me calmer. Mais les négociations s’annoncent rudes. Le regard de mon ami me foudroie sur place, ne laissant pas de chance à un dialogue. Pourtant, je force tentant de gagner la partie avec des supplications.
— S’il te plait, s’il te plait. Arthur… je t’en prie. Je t’en supplie même. Je veux juste me détendre un minimum pour me présenter en toute tranquillité devant Vanessa.
Pour toute réponse, j’ai le droit à un soupir de défaite et deux simples indications :
— Tu as intérêt de faire attention. Cette voiture, c’est la sienne.
Il cède à mon caprice et je sautille de joie quant à ma victoire. Les clés en main et un air satisfait visé sur mon visage, j’avance au rythme des pas de mon ami d’enfance vers la sortie de l’aéroport. Sûr de moi, je le dépasse, me dirige droit devant avant d’être stoppé net dans mes mouvements par une poigne qui me retient par le col.
— Quoi ? râlé-je.
— Par là-bas.
Arthur m’indique la position inverse de celle que je suivais. Au revoir, les abords de l’entrée et bonjour, le fond du parking. La petite auto rouge dont Vanessa est si fière nous y attend. Et il serait préférable pour moi que j’en prenne soin, sinon gare à mes oreilles. Les pauvres. Cinq minutes de marches nous ont permis à rejoindre la carrosserie flamboyante. Et au moment où nous nous apprêtons à nous introduire dans le véhicule, impatients de quitter les lieux, quelqu’un me hèle à grand coup de : « Hé ! ».
Oh non… pourquoi moi ?
Monsieur Roger.
Il trottine vers nous, tout en faisant des gestes larges avec ses bras pour attirer mon attention. Il est suivi de près par sa nièce qui n’arrive pas à l’atteindre alors qu’il a le double voir le triple de son âge. C’est d’ailleurs drôle à observer. Mais en attendant, maintenant que je l’ai remarqué, je me vois être dans l’obligation d’entendre ce que cet homme tient tant à me dire.
— Excusez-moi. Je voulais. Vous remercier. Pour votre compagnie. Durant le voyage.
Sa phrase est saccadée par sa respiration irrégulière. Il est essoufflé de m’avoir couru après. Son air sincère me tire un mince sourire.
— Ce n’est rien.
— Si, si ! Je sais bien que je suis un grand bavard. Vous comprenez. Vous voir ainsi m’a rappelé mon jeune âge. À cette période, je prenais régulièrement l’avion pour rejoindre ma femme. C’est d’ailleurs après un séjour à Bordeaux que nous nous sommes rencontrés. Alors je tenais à vous exprimer ma gratitude pour ce plongeon dans le passé.
— Tonton ? On doit y aller à présent.
L’intervention de la nièce de Monsieur Roger vient conclure notre échange. Ils hochent tous les deux la tête dans notre direction avant de nous quitter. Arthur en profite pour s’installer dans l’habitacle et quand je suis certain de la conclusion de l’affaire Roger, je suis ses mouvements. La portière claque en même temps que mon soupir de soulagement. Très vite accompagné par un rire à gorge déployée de mon ami. Je ne manque pas de le fixer et de le fusiller de mes yeux vairons. Ce qui a le pouvoir de le faire taire en un instant. Et c’est d’un geste décidé que je fais gronder le moteur de la voiture.
Élément qui ne m’avait pas manqué : le périphérique de Bordeaux et ses embouteillages. C’est une horreur sans nom ! L’avantage qu’ils représentent ? La discussion que j’ai avec Arthur. Il partage avec moi les péripéties de ses explorations et me parle du nouvel emploi de Vanessa. Elle est professeur de français dans une université, dans laquelle elle s’épanouit. Je suis heureux de découvrir leur quotidien. Et je les admire par la même occasion, eux qui arrivent à combiner leur emploi du temps pour organiser des sorties de couple.
Notre conversation tourne un moment autour de ce sujet et je l’écoute avec plaisir. C’est un quotidien ordinaire et pourtant je les envie. Cette vie à deux, est-ce que moi aussi, je pourrais y avoir droit ? Je suis un tombeur, j’adore plaire et séduire, mais… ce n’est pas ça qui me fera trouver l’amour. Mes sourcils se froncent, Arthur note tout de suite le changement dans mon comportement et il intervient en évoquant la mission que je dois mener.
— Tu te sens prêt à me suivre sur les eaux, Monsieur le grand aventurier ?
— Avec plaisir, oui. Depuis le temps que tu me rabâches les oreilles avec tes explorations. Je ne manquerais ça pour rien au monde.
C’est un véritable aveu qu’Arthur semble heureux d’accueillir. Il est fou de son boulot et depuis le temps qu’il me bassine avec cette passion qui l’occupe chaque jour, je suis impatient de le suivre dans sa prochaine aventure. Ses expéditions sont comme ses bébés, et je sens que cette histoire de « continents de déchets » le travaille beaucoup. Alors mon sujet tombe à pic ! Arthur m’a tant exprimé sa ferveur par rapport à ce thème que je suis certain de remplir mon dossier avec facilité. Et il n’a pas hésité un seul instant à m’inviter sur son bateau quand je lui en ai parlé.
Nous approchons de la fin des embouteillages. J’aperçois la sortie qui nous guidera vers Pessac. Lieu de résidence de mes amies, légèrement en retrait de la grande ville. D’ailleurs, je déteste conduire dans les rues de Bordeaux, les gens n’ont aucune patience et ils ne me laissent même pas une minute pour trouver mon chemin que déjà une cacophonie de klaxons m’agresse.
— Et toi alors ? Toujours un coureur de jupons ? Quand, penses-tu te poser ? m’interroge Arthur tandis que je grogne contre un nouveau coup de klaxon.
Je ne réfléchis pas longtemps avant de lui faire ma réponse. Un sourire carnassier sur les lèvres, j’amorce d’un ton assuré :
— Tu me connais. J’aime plaire et me pavaner. Donc… ce n’est pas demain le veille que je vais trouver chaussure à mon pied. La seule option pour cela serait que celle en face de moi soit une forte tête.
Mon meilleur ami hoche la tête et nous rions tous deux. Sauf que nos respirations se coupent la seconde qui suit au moment où un énorme fracas résonne dans l’habitacle en même temps que nos ceintures se resserrent sur nos poitrines. Merde ! La voiture ! Vanessa va me tuer sur place ! Ses foudres vont s’abattre sur moi. Un instant. Une minute. Non, une seconde d’inattention a suffi à me faire manquer le feu rouge. Mon pied n’a pas eu la moindre chance d’enfoncer la pédale de frein que nous entrions déjà en collision avec le hayon du véhicule devant nous.
En observant Arthur, je remarque son visage pâlir et je comprends tout de suite qu’il n’est pas serein. Pas qu’il ait peur de sa femme, mais… plutôt des dégâts causés par ma maladresse. Le choc nous a surpris en pleine rigolade. La Fiat 500 qui nous précède en a subi les conséquences. D’ailleurs, elle est à l’arrêt quand la porte côté conducteur s’ouvre avec force. Moi ? Je ne bouge pas. N’engage aucun mouvement. Arthur non plus.
Mon regard par contre, il se fixe sur la portière de l’auto devant nous. Et je suis étonné de découvrir de longues jambes dorées en sortir. Appuyées sur des talons noirs, elles sont habillées d’un short en jeans. Mes yeux poursuivent leur contemplation vers les bords d’un haut blanc. Il semble léger. Le tout est enfilé sur une silhouette parfaite, pulpeuse et généreuse, qui termine sa descente de l’habitacle en m’offrant un spectacle appétissant. Je suis sans voix, subjugué par la jeune femme qui se dessine face à moi. Et ma découverte se conclut sur une chevelure flamboyante qui vole au vent.
Ma respiration se coupe.
Cette fois ce sont ses émeraudes foudroyantes qui m’hypnotisent. Ses iris me clouent au siège. Mon cœur s’affole. J’ignore ce qu’est ce sentiment, mais j’ai l’impression de fondre, embrasé par la lumière que dégage cette femme.
Elle est magnifique.
— Unique, soufflé-je.
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