6. Sur les eaux
PAUL
*
02 mai.
Trier et classer mes recherches, post départ à Bordeaux, nous aura pris quatre jours de dur labeur avec Arthur. Et c’est aujourd’hui que nous embarquons pour naviguer sur les eaux.
Enfin !
L’océan Atlantique est à nous !
A peine à bord de son navire, j’admire mon ami à l’œuvre. C’est un bateau de taille moyenne dans un style classique. En y regardant de plus près, il me fait penser à ceux que nous pourrions voir dans les films de catastrophe naturelle. Même si… je l’avoue, cette embarcation n’est pas équipée du dernier cri comme on pourrait l’observer à travers nos écrans, elle n’en reste pas moins impressionnante. Quoi que je ne serais pas prêt à mettre ma main à couper pour parier là-dessus. Surtout qu’au fond, je ne connais presque rien de ce type d’engin.
Mais passons !
En arrivant sur le pont, j’ai le droit à une présentation de l’équipage en bonne et due forme. Arthur est fier de son équipe, pour qui il ne manque pas d’éloges. Quatre aventuriers, prêts à voguer à contre-courant. Bien entendu, mon meilleur ami en est le capitaine et le chercheur principal dans le domaine de la biologie marine. Mais cela ne l’empêche pas de valoriser ses coéquipiers en commençant par la seule femme à bord : Romane. Sexy à point, elle est minutieuse quand il s’agit de la logistique et de la cartographie des flots qu’ils traversent.
« L’ancêtre » de l’équipe, comme s’amuse à l’appeler les autres, est Philippe. Responsable de la cuisine et du remorquage des filets, il occupe un poste des plus importants surtout quand ils partent pour trois semaines d’explorations. Un peu comme maintenant, en fait. Et j’ai failli oublier, le petit dernier, le « jeune » de la bande. Il y en a toujours un ! Jack. Un gringalet qui à ce que j’en ai conclu à passer son diplôme en un temps record. Analyste spécialisé dans l’étude des résidus plastiques dans les océans, il a le privilège de passer ses journées au sein du laboratoire.
Laboratoire au cœur du navire de recherches. Bien sûr.
Moi, dans tout ça ? J’apporte mon grain de sel, petit nouveau de cette fine équipe, toujours autant étonné et choqué par les résultats des examens d’Arthur et son équipage. J’étais loin de m’imaginer l’ampleur de ces « continents de déchets ». En poursuivant mes recherches, en les approfondissant, nous avons découvert que ces « sols contaminés » sont plus communément nommés « îles poubelles » par les chercheurs spécialisés dans le domaine. De même que l’évolution de leur nom, ces terres faites de plastiques sont, depuis peu, peuplées par des immigrés. Ils vivent et travaillent sur ces terrains d’emballages.
Drôle de situation…
Être payé à trier le sol sur lequel tu marches et vis chaque jour. Un lieu instable qui pourrait couler à tout instant. Fuyant une situation difficile pour en découvrir une nouvelle, différente mais toujours, incertaine. Loin d’être gaie, n’est-ce pas ?
Ces trouvailles me poussent vers des réflexions plus raisonnées. Qui entrainent une multitude de questions à fleurir dans mon esprit. Comme par exemple : Comment ces gens ont pu arriver jusqu’à ces îles ? Pourquoi trier ces matières plastiques alors que leur quotidien se situe sur ces mêmes matières ? Et surtout… la principale interrogation. Comment diminuer l’accroissement et la prolifération de nos détritus dans nos océans ? Sauf que… pour le moment, je n’ai aucune réelle réponse à apporter.
Alors que je suis installé au bureau qu’Arthur a libéré pour moi, mon regard dérive du remous de l’eau et mon attention vient se plaquer sur Romane. Cette jeune femme connaît ses atouts. Elle s’en amuse, revêtant un short en jeans et un débardeur blanc qui laisse tout apercevoir des formes de son corps. Elle se cale contre moi, ses coudes s’appuyant sur le rebord de mon plan de travail. De sa voix fluette, elle m’annonce que nous approchons des premiers îlots d’emballages.
Impatient de voir ce spectacle de mes propres yeux, je lâche mes ébauches et brouillons en tout genre pour la suivre. Tout en admirant son fessier arrondi, bien sûr ! Nous remontons vers le pont avant et y sommes accueillis par un râle de gorge d’Arthur. Un rappel à l’ordre qui m’incite à redresser mon regard vers cette vue censée être splendide. Mais là, en face de nous, c’est une scène polluée et à l’allure désastreuse qui se joue.
— C’est…
— Pire que ce que tu aurais pu imaginer ? Je t’avais prévenu. Les océans ne sont plus si calmes et bleus que ce qu’on essaie de nous faire croire. Je sais, ce que je raconte est souvent barbant mais ça, c’est…
— Dégueulasse. C’est le mot que je cherchais. On est vraiment des porcs, ma parole ! Pourquoi personne ne fait de mise en garde auprès des consommateurs ? Les autorités, nous cachent trop de vérités pour avoir l’audace de dénoncer notre surconsommation ?
Arthur me lance un regard désolé. Le silence est la seule réponse à mes questions. L’équipage au complet m’examine du coin de l’œil, s’attendant à ce que j’explose. Mais rien ne vient. Alors chacun retourne à ses occupations ou presque. Romane ne manque pas une occasion pour coller ses courbes contre moi. Et cette fois-ci, elle se penche contre ma hanche m’expliquant de son index les limites de l’île de déchets tout en m’indiquant que celle face à nous n’est qu’une des plus petites qu’ils aient eu l’occasion de voir.
Sidéré par cette vue malheureuse, je suis réconforté par la douce chaleur émanant de la poitrine de Romane. Elle la plaque sur mon torse, se protégeant d’une bourrasque. Ses cheveux viennent fouetter mon visage mais ma concentration se focalise sur le reste du corps de la jeune femme que j’éloigne de moi.
Merde… Pourquoi ? Si depuis notre départ, cette femme n’a de cesse de tout mettre en œuvre pour m’avoir dans sa couchette, pour le moment, plus que de me plaire son jeu me rassure. J’adore découvrir que j’ai ce pouvoir sur elle. Voir sa libido dégouliner de son regard quand elle pose les yeux sur moi est un pur délice. Pourtant… je n’arrive pas à envisager ne serait-ce qu’une seule partie de jambes en l’air avec Romane.
Chaque fois que son corps se rapproche du mien, l’image d’une chevelure rousse s’incruste sous mes paupières. Et je me torture l’esprit. Pourquoi cette furie m’a-t-elle résisté ? Pourquoi ne m’a-t-elle pas prêté la même attention que Romane ? D’ailleurs, la cartographe en question se frotte à mon entrejambe sans pudeur à l’heure actuelle. Attaquant sans filtre l’objet de son désir.
Mais je l’ai déjà analysée… elle est tout le contraire de ma belle à la chevelure rousse. Grande, un grain trop mince à mon goût et des cheveux d’un noir de jais épais. Elle est loin de l’image de celle qui m’a marqué au premier regard. Irrité par la situation et le comportement insistant de Romane, j’arrive à une constatation qui me surprends moi-même. Là où d’habitude, je ne me soucie pas de l’apparence de mes conquêtes, heureux du pouvoir que j’ai sur elles, aujourd’hui je remarque chaque détail de ma coéquipière. Chaque élément qui me renvoie loin de… Laure.
Comme cet acharnement à se frotter à mon entrejambe alors qu’il n’y a aucune réponse de ma part. Ni aucune réaction, d’ailleurs. Rien. Bordel ! Et quand je dis « rien », je veux dire que le frisson que je ressens en temps normal est digne du néant à cet instant. Romane n’a pas d’effets sur mon corps ce qui est regrettable. Pour moi comme pour elle. Pourtant sur ce navire, nous n’avons pas vraiment l’embarras du choix. Merde… je me dégoûte ! C’est quoi cette pensée de vieux pervers ?
Un vrai goujat. Un Don Juan de pacotille qui sait pertinemment que cette façon d’être est horrible. Et pourtant… c’est ce que je suis depuis des années. C’est l’identité que je me suis construite pour me protéger. Pour prendre ma revanche sur les autres. Mais pourrais-je la changer ?
— Monsieur le journaliste, avez-vous avancé comme vous le vouliez dans vos analyses ?
Romane. De sa voix aiguë, elle coupe court à mes pensées. Mais je ne prends pas la peine de formuler une réponse. Elle commence à me taper sur les nerfs à force de me lécher les bottes de cette manière. C’est une belle femme, elle mérite mieux que ce comportement ! Décidé, je rejoins Arthur. Avec son binôme, Philippe, ils remontent les filets.
Ce piège tissé est parfait pour apercevoir l’étendue des dégâts… Des sachets plastiques entremêlés à des emballages de canettes, en passant par des poissons qui se tortillent dans tous les sens dans l’espoir vain de se libérer de cette prison. Un piège mortel que nous avons créé. Nous, les humains, si intelligents…
— Viens nous aider ! Nous devons faire vite si nous voulons pouvoir sauver quelques-unes de ces pauvres bêtes !
Le cri de Philippe me rappelle à l’ordre. Romane se précipite pour exécuter sa demande. Moi ? Je sors mon appareil dans l’idée de capturer ce moment. Instinct de journaliste. Et pour cause. Les photographies témoins sont l’un des éléments clés dans mes articles. Des preuves. Toutefois, je n’oublie pas que j’ai promis à Arthur d’aider en cas d’urgence et quand je relève la tête de mon objectif, cela semble être le cas. Alors je me lance dans la mission : « libération des poiscailles » !
Je me remonte les manches, puis je plonge tête la première entre les mailles des filets. Je tire, dénoue et arrive tant bien que mal, en forçant ici et là sur les liens à permettre aux poissons de s’évader de leur enfer. Sains et saufs. Pour la plupart. Alors que beaucoup pourraient trouver ce sauvetage inutile, nous nous efforçons de préserver des bêtes en danger.
Et pendant un instant, je cesse de divaguer et de me perdre dans des pensées envahies de cette chevelure de feu. J’ignore pourquoi, je suis hantée par cette femme. Mais j’espère, malgré les battements irréguliers de mon cœur, que sa silhouette s’estompera bientôt de mon esprit. Pour pouvoir savourer en toute tranquillité, les avances d’une demoiselle telle que Romane.
Alléchantes. Tentatrices. Au point où, même si elle sait qu’un haut blanc devient transparent au contact de l’eau, elle n’hésite pas à le mettre. Comme maintenant. Laissant tout le plaisir à l’ensemble de l’équipage, constitué de mâles, d’admirer ses formes et ses seins dressés par la fraîcheur du liquide.
— Tu te fous de moi ? Tu pourrais faire preuve de plus de décences, Romane ! Tu te crois où ?
Arthur en bon capitaine, nous sort tous de notre transe. Furieux.
— Je… je…
— Je, je, quoi ? Écoutes-moi. Je ne tolèrerais pas indéfiniment ton comportement de chatte en chaleur ! Tu as beau être la cousine de Vanessa, tu es loin de lui arriver à la cheville. Et cesse de te comporter de la sorte ! Tu te rends compte de l’image que tu renvoies ? Non ? Alors s’il te plaît, ressaisis-toi…
Mince alors ! Depuis quand Arthur a-t-il des crises de colère de ce genre ? Et quoi ? J’ai bien compris, Romane est la cousine de Vanessa ? Sérieux… Je n’y aurais pas cru. Elles sont si différentes que cette révélation est une énorme surprise. Mais vu le regard furieux que la jeune femme adresse à mon ami, je n’ose pas remettre sa parole en question. Merde ! J’avais déjà du mal avec Romane mais là, je ne me risquerais pas à attirer les foudres de Vanessa.
Et au fond, mon esprit semble rassurer de voir cette tentation me glisser entre les doigts. Des mèches rousses volent devant mes yeux, tel un mirage. Et mon cœur lui me hurle que peu importe l’identité de Romane, ses battements ont déjà trouver leur écho. Ma tête… elle, n’est pas prête à croire qu’un regard, une collision, un instant a suffit à me foudroyer, me faire fondre pour une femme dont j’ignore tout.
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