On se retrouve au Bar du Dehors, un bar grouillant de personnes de tous âges et de tous horizons ayant en commun leur conscience politique et leur appétit pour ce qu'on appelle : changement, transition, volution, révolution ou bien d'autres synonymes encore.

Peu importe, après tout. Moi, le mot que j'use varie selon mon auditoire. Je comprends de toute façon tout ce qu'implique ce mot et c'est le principal.

Bref. J'arrive en retard. Elle est là, assise à une table dans l'ombre avec ce halo de lumière venant de son ordinateur qui ne laisse apparaître que son visage et ses petits cheveux de bébé qui tombent devant ses yeux. Elle est fatiguée mais au taquet. Elle ne me voit pas arriver. J'en profite pour rester là debout, à l'observer. Ces petits moments, totalement libres, où le monde entier s'affole sur la folie globale de l'instant, alors que tu profites de détails. Les détails de la position de sa main sur sa cuisse, les détails de sa mèche rebelle qui a décidé de suivre une autre dimension, mais qui réussit tout de même l'exploit de finir dans son décolleté... Elle me lance un regard à ce moment-là. Je la fixe, pas gêné, car notre philosophie de vie ne nous l'interdit pas.

Elle me lance :
- "Alors ?"
- "Pas mal du tout."
- "Je parle du job."
- "C'est de ça que je parlais, quoi d'autre ?"
- "Tu n'es pas curieux de savoir ?"

Sa voix et son accent sont des artefacts uniques : un véritable assemblage de différents sons rares et recherchés. D'où tout cela peut venir ? De l'univers, sans aucun doute. Je le sais très bien en fait, au fond de ma mémoire, mais j'aime beaucoup me poser ce genre de questions. Comme avant.
Je me rassemble et essaie de la provoquer un petit peu.

- "Oh je sais déjà tout. Tu as contacté des amis, payé des mecs ? Tu sais que ça représente des risques ?"
- "J'ai tout fait seule."

Je m'arrête et la regarde de travers.
Comment a-t-elle pu apporter des documents à un sénateur, à un ministre et à un député tout en s'occupant de modifier tous les sites impactés ? Le tout sans se faire détecter... Sinon elle ne serait pas ici libre avec un accès à internet.

- "Impossible."
- "Déjà jaloux ?"
- "Crache le morceau, allez."
- "Puis-je vraiment te faire confiance, Lysandre ?"

Les rôles viennent d'être inversés. En un échange, les yeux dans les yeux, je comprends qu'elle me met dans la position de l'élève. Et elle vient de prononcer la première partie de ce qui m'identifie devant tous. Sans aucun doute, elle sait déjà beaucoup de choses. Une drôle de partie vient de commencer.